Michel Kleczkowski (1818-1886)

Comte Michel-Alexandre Kleczlowski : Cours graduel et complet de Chinois parlé et écrit

COURS graduel et complet DE CHINOIS parlé et écrit

VOLUME I, PHRASES DE LA LANGUE PARLÉE, tirées de l'Arte China du P. Gonçalves.

Maisonneuve et Cie, Paris, 1876, LXXII+106+232 pages.

  • "Tous les élèves formés par ses soins provoquaient, à leur arrivée dans l'Extrême-Orient, l'étonnement des Chinois et des Européens par la solidité de leurs connaissances et par la facilité et la pureté de leur élocution." (Charles Schefer).

Extraits : Les objectifs - Parcelle d'idée ou idée entière - Le caractère Yong - Début du chapitre XII
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1871, École des Langues orientales. Stanislas Julien, académicien, malade, cède la chaire de chinois vulgaire au comte Michel Alexandre Kleczkowski, qui, depuis 1847, avait rempli des fonctions d'interprète, tant en Chine qu'à Paris, à la grande satisfaction de tous. Kleczkowski annonce un but purement pratique à ses cours : former en trois ans des interprètes immédiatement compétents, une fois rendus en Chine.

Les objectifs

... Pour mettre l'élève en position d'observer par lui-même le génie de cette langue, chaque caractère chinois du texte se présente avec sa signification plus ou moins abstraite, c'est-à-dire prise isolément, et avec celle qu'il a relativement aux caractères qui le précèdent ou le suivent. A l'aide de cette méthode, pour ainsi dire synoptique, l'élève pourra saisir, à chaque pas, les différences respectives qui séparent, très souvent même presque diamétralement, le français et le chinois. L'auteur y a joint la prononciation, indiquée d'aussi près qu'il est possible en français, et des notes, soit sur la valeur des mots, ou des combinaisons de mots, au point de vue de la grammaire des langues à flexions, soit sur la géographie, l'histoire, les institutions, les coutumes et les idées des Chinois.

L'auteur a voulu par là rendre superflu pour l'élève tout autre livre, excepté, mais seulement après deux ans d'études, le dictionnaire exclusivement chinois de K'ang-chi. A côté de la traduction littérale, se trouve la traduction française, qui donne le sens précis des phrases ou des expressions, suivant la place qu'elles occupent. Lorsqu'elles se représentent plus loin, avec un autre sens et une autre portée, il n'est plus fait mention du premier sens ; c'est à l'élève à se le rappeler ; et, pour aider sa mémoire il fera bien de se composer un double vocabulaire, dès le premier feuillet du livre.

La condition essentielle pour en tirer tout le parti possible, sans que le cours de cette difficile étude dépasse la limite de quatre ans, c'est d'apprendre strictement par cœur le texte que contient chaque leçon. Il faut aussi que l'élève trouve moyen de ne jamais passer un seul jour sans travailler, ne fût-ce qu'une heure. Deux heures par jour, sans interruption, valent mieux que cinq ou six heures pendant un jour, deux heures le lendemain et rien le surlendemain. Comme il s'agit de se rendre complètement familier un système dont rien d'approchant n'existe dans aucune des langues qu'on a coutume d'étudier, il faut y apporter une forte mémoire, un jugement sûr, la faculté de l'intuition, — mais surtout beaucoup d'application, de patience et de ténacité. Le succès est à ce prix. Il est vrai que le succès offre en Chine des avantages que l'on ne rencontre plus guère dans notre Occident encombré. Il est indispensable en outre, que l'élève s'impose, dès le premier jour, le devoir de tracer des caractères au pinceau. C'est un travail qui peut d'abord paraître difficile. Mais combien la tâche se trouvera vite aplanie, si l'on a le bon sens d'y persévérer ! Il faut d'ailleurs se pénétrer de cette vérité, que jamais on ne saura bien le chinois, si l'on n'en connaît à fond les caractères, un à un, isolément, et dans toutes leurs diverses applications. Jamais, d'autre part, on ne parviendra à les bien connaître, si l'on ne réussit pas à les écrire correctement et au courant du pinceau.

Si, de mon côté, j'ai encore quelques années devant moi, — car il y a des lenteurs que peut à peine abréger le plus énergique vouloir, — et si la conviction de l'utilité de mon travail me donne, à défaut de talent, la force de l'exécuter comme je l'ai conçu, j'aurai produit un ouvrage qui mettra l'étude du chinois absolument à la portée de tout le monde. Il sera alors tout aussi facile à un jeune homme d'apprendre cette langue que s'il s'agissait du russe ou de l'allemand. Tel est le principal, sinon l'unique objet de ce livre.

Avoir, en Chine, des agents spécialement formés pour l'extrême Orient, à la fois dévoués et sûrs, connaissant le pays, parce qu'ils en connaissent pratiquement la langue, et pouvant parler et agir dans le milieu chinois, en dehors de tout secours étranger ou indigène ? Encore une fois, tel est le problème dont la solution a été cherchée par l'auteur de cet ouvrage. Il est possible qu'il ne l'atteigne pas du premier effort ; car il ne peut se dissimuler qu'elle est très ardue. Mais les résultats satisfaisants du cours qu'il dirige depuis trois années, l'autorisent déjà peut-être à bien augurer de l'avenir. C'est dans cet espoir qu'il a mis la main à son livre.

Parcelle d'idée ou idée entière

Dans nos langues européennes, les mots ne sont que des parcelles d'idée. Après avoir déterminé trente ou cinquante de ces parcelles, rien ne nous empêche d'en joindre vingt autres. Il suffit pour cela d'ajouter ou de modifier une terminaison. Nous pouvons en outre prendre quelques lettres de l'alphabet et en composer autant de mots qu'il nous sera nécessaire, sauf à assigner un sens, fût-il le plus abstrait, à chaque mot nouveau. En chinois, tout caractère, disons tout signe, représente une idée entière, dans son tout comme dans ses parties. Comment cela ? C'est que ce signe, ou ce caractère, n'était à l'origine, si reculée soit-elle, qu'une simple image, tout à fait matérielle. Aujourd'hui encore, malgré les modifications que plus de trente siècles de culture ont dû apporter dans les caractères chinois ou dans leur multiple application, rien ne serait plus facile que d'arriver à y retrouver cette image originelle, cette copie grossière de l'idée primordiale qu'ils représentent. Que l'on examine, par exemple, les caractères simples qui signifient : soleil, homme, poisson, tortue, char, porte, cerf, garçon, dragon, étoiles, hache et tant d'autres qu'il serait trop long d'énumérer ; ou qu'on analyse le signe combiné qui donne l'idée de splendeur, éclat, et qui se prononce ou yaö, (ailes des oiseaux éclairées par la lumière). Dans nos langues alphabétiques, une phrase est une agrégation de parcelles d'idées, chaque parcelle ayant un sens précis et déterminé d'avance. Dans le chinois, une phrase est un mélange, une sorte de pâte d'idées entières. Chaque signe en contient une. Aussi, pour dégager la pensée maîtresse que doit produire le rapprochement des idées réunies dans une phrase ou dans un membre de phrase, il est de toute nécessité de rechercher et de constater comment chaque signe agit sur les autres et les autres sur lui. Recourons encore à un exemple. Quand on trace isolément le caractère , soleil, personne ne saurait dire a priori ce que ce signe veut dire en réalité, ni de quel attribut du soleil il peut être question. Mais qu'on dise : sans-soleil,-gens-pas-voir, on ne saurait douter que le caractère soleil ne transmette ici l'idée de la lumière qui fait le jour. On remarque, en outre, que, dans cette phrase, le sens du mot soleil est précisé par la relation de ce mot avec voir, et ne peut l'être avant que l'œil ait aperçu le mot voir et que l'esprit en ait compris l'action sur le mot soleil. De même, lorsqu'on dira : sans-soleil,-terre-pas-produire, il sera clair qu'il s'agira du soleil comme — chaleur et non comme — lumière. Ce qui nous amène à établir cette troisième règle générale : aucun caractère chinois ne saurait avoir de sens précis pour le regard, avant que l'esprit se soit rendu un compte exact de tous les autres caractères qui s'y rattachent, n'importe comment, ou à quel titre. C'est une sorte de petite société de secours mutuels, qu'il s'agisse de simples caractères, de membres de phrases, de phrases tout entières, voire d'alinéa ou de paragraphes. Il s'ensuit forcément qu'on ne lit pas le chinois comme on lit le français ou l'anglais. Les Chinois même ne lisent pas leurs livres ou leurs écrits ; ils les méditent, ou ils les étudient, à moins qu'ils ne les parcourent de l'œil, lorsque ces livres ne méritent pas une attention plus sérieuse.

Il semble, au premier abord, qu'il en doive résulter une épouvantable confusion. Il n'en est rien, ou, du moins, c'est relativement peu de chose dans la pratique ; car, après tout, les rapports directs d'une idée à une autre ne sauraient être très nombreux. Une idée agit, une autre subit l'action. On est, on a, on emploie quelque chose ; on donne, on reçoit d'une manière ou d'une autre, que ce soit dans le passé, dans le présent ou dans l'avenir. L'essentiel, pour se reconnaître dans cet apparent imbroglio, c'est de ne pas se complaire dans des généralités de principes et de règles qui, en chinois, risquent à chaque pas de rencontrer des démentis, mais d'étudier les caractères un à un, comme font les indigènes, et d'apprendre par cœur les termes combinés que l'usage a irrévocablement consacrés, Kou veut dire cause, causer quelque chose, ancien, mourir et affaire. Quelle règle générale, établie à notre point de vue, déterminerait, pour un étudiant, l'emploi sûr de ce caractère, lorsqu'il s'essayera à écrire en chinois ? CAR C'EST LA LE POINT OU IL FAUT TENDRE ! Eh bien, lorsque l'examen du caractère kou, pris isolément, lui aura appris que, pour signifier la cause ou à cause, ce caractère doit être précédé soit immédiatement, soit à quelque distance, par le caractère yuänn, motif, exprimé ou sous-entendu, et que, dans ce cas, il termine généralement le premier membre de phrase ; qu'après la préposition vou, sans, ou le pronom ho, quel, il a également le même sens ; que, pour avoir la signification de : à ces causes, c'est pourquoi, de là, il s'adjoint généralement cheu, être, tseu, ceci, ou encore l'explétif eurr, pour faire : cheu-kou, kou-tseu, kou-eurr ; que, pour devenir l'adjectif ancien, il se met le plus souvent devant le substantif qu'il s'agit de spécifier ; que, pour désigner le grand deuil, il est toujours précédé de ta, grand ; que, pour avoir le sens d'affaire il s'associe à cheu, son synonyme dans ce cas-là ; que, pour rendre notre verbe mourir, on dira dans le style des livres vou-kou (devenir objet inanimé) et dans la langue parlée : ouang-kou, chenn-kou, pïng-kou, etc., etc., etc., l'élève ne l'oubliera plus et n'aura pas besoin de recourir à un principe grammatical, qui, sept fois sur dix, porterait à faux. On objectera que cette méthode est ennuyeuse. Du moins sera-ce une peine prise une fois pour toutes, et on aura obtenu un résultat.

Caractère YONG
qui réunit le plus grand nombre des neuf traits dont se compose l'écriture chinoise

Le caractère yong, qui réunit le plus grand nombre des neuf traits dont se compose l'écriture chinoise

Les calligraphes chinois ne sont pas d'accord sur le nombre, ni sur la forme des traits dont se compose l'écriture chinoise. Quelques-uns soutiennent qu'il n'y en a que huit et ils indiquent le caractère yong, éternel, — comme les réunissant à lui seul. Ayant adopté l'avis de ceux qui décomposent l'écriture chinoise en neuf traits..., nous ne donnons le caractère ci-contre qu'afin de montrer la manière d'employer les traits pour en composer un caractère.

Ainsi on remarquera d'abord l'ordre dans lequel les différents traits sont tracés, — ce qui est essentiel pour la beauté du caractère, — puis, une sorte de fusion dans le caractère ci-contre, entre les traits n° 5 et 6, qui sont les traits p'ié et t'i. Cette fusion a lieu constamment et diminue d'un trait, en apparence, le nombre de ceux qu'il faut compter, en dehors du radical, pour trouver le caractère dans le dictionnaire, tandis qu'en réalité il existe toujours deux traits. On fera bien de ne pas l'oublier.

Le caractère ci-dessus sert aussi à indiquer que le trait na doit précéder et non pas suivre le trait p'ié, qui se trouve à la droite du trait perpendiculaire. Ce dernier, à son tour, est composé ici, de deux traits k'ouenn et kiué, tandis que le bon sens démontre qu'il est plus naturel de le tracer d'un seul mouvement et de le considérer comme un seul et unique trait, kiué.

Début du chapitre XII

jusqu'à 17, 18, 19, 20 traits et au-delà

Cours de chinois, début du chapitre XII.

1. Lao-chiong, vieux et frère aîné, pour : mon cher et respectable ami. Locution de déférence, mais en même temps d'intimité, par conséquent familière et ne s'employant qu'entre égaux se connaissant de longue date.

2. Pao-peï, ce qui est précieux, un trésor, un bijou (au propre comme au figuré). C'est un substantif composé de deux synonymes.

3. Ling-lo, taffetas.

Il y a, en Chine, quatre grandes catégories de soieries, lïng, foulard, lo, taffetas, tch'éou, crêpe, et touann, satin. Mais ces quatre divisions se subdivisent à l'infini. Ce ling-lo en est un exemple, puisqu'il s'agit d'un taffetas de foulard, c'est-à-dire, d'une soierie de la deuxième catégorie modifiée par la manière dont on fait la première.

Les villes de Nankin (KIANG-NÏNG), Sou-tchéou et Hang-tchéou sont les trois centres principaux de la fabrication des soieries. Le gouvernement y a ses propres fabriques, dirigées par des surintendants qu'on nomme Tché-tsao.

On fait aussi des soieries à Canton, mais en vue de l'exportation, notamment les crépons ou châles brodés sans envers. Les indigènes ne s'en servent jamais et, en général, apprécient fort peu tout ce qui se fabrique dans cette ville, seul et unique marché, jusqu'en 1842, du commerce de la Chine avec l'étranger (les barbares).

On ignore peut-être que tout ce qui concerne la sériciculture, l'industrie sérigène et jusqu'à nos expressions françaises de « soie » et de « satin », nous vient, quoique indirectement, de la Chine centrale, car le premier mot dérive évidemment du mot chinois sseu, soie (grège), et le second du substantif composé sseu-touann, satin de soie. A ce seul titre, la première patrie du précieux ver à soie mériterait peut-être plus de sérieuse attention que nous ne voulons bien lui en accorder.

4. Ce caractère se prononce, véritablement po ; mais, lorsqu'il signifie, comme ici, fin, en opposition avec héou, épais, on doit le prononcer pao.

6. Li-tseu, doublure. Le caractère li, lieu, signifie aussi, comme on l'a fréquemment vu, le dedans
. Or, la doublure est toujours en dedans, (en dessous).  

Lire, sur la langue chinoise et l'historique de son enseignement à l'Ecole des langues orientales, la conférence de Paul Demiéville : Chinois.

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