Louis-François DELATOUR (1727-1807)

ESSAIS
sur l'architecture des Chinois, sur leurs jardins, leurs principes de médecine, et leurs mœurs et usages

Imprimerie de Clousier, Paris, An XI, 1803, XII+568 pages.

  • "On donne dans ce volume, divisé en deux parties,... quatre essais différents, ou petits Traités, renfermant chacun un tout : l'un sur l'architecture des Chinois, l'autre sur leurs jardins, un troisième sur les principes de médecine adoptés par cette nation, et le quatrième sur ses mœurs et usages."
  • "La connaissance des mœurs et des usages des anciens peuples, est un des plus intéressants objets de l'Histoire. Si le récit des victoires et des conquêtes des nations célèbres et belliqueuses excite souvent notre admiration, celui de leur vie privée, de leur économie civile et politique, la peinture de leur luxe et de leurs cérémonies religieuses, ne méritent pas moins de fixer l'attention. En offrant ses tableaux d'une teinte plus douce, et plus variée, plus satisfaisante pour la curiosité, ils présentent en même temps à l'esprit des réflexions et des comparaisons dont la morale peut tirer de grands avantages.
    C'est pourquoi on a cru devoir rassembler dans un même volume tout ce qui concerne la vie sociale, les mœurs et les usages des Chinois, et présenter comme sous un seul point de vue, des détails épars et qu'on ne pourrait parvenir à connaître que par des recherches p.374 pénibles dans les nombreux ouvrages, et les relations multipliées qui nous ont été données depuis deux siècles et demi, sur ce peuple aujourd'hui un des plus anciens de la terre, et qui a survécu à tant d'autres qui ont disparu de la surface de notre globe"

Extraits : Règles que les Chinois suivent en traçant les jardins -
Allumettes, Bains, Bâtons d'odeur, Bougies, Chandelles, Mèches,...
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Règles que les Chinois suivent en traçant les jardins

La nature est le modèle constant des jardins des Chinois, et leur but est de l'imiter dans toutes ses belles irrégularités. D'abord ils examinent la forme du terrain, s'il est uni ou en pente, s'il y a des collines et des montagnes, s'il est étendu ou resserré, sec ou marécageux, s'il abonde en rivières et en sources, ou si la disette d'eau s'y fait sentir. Ils font une grande attention à ces diverses circonstances, et ils choisissent les dispositions qui conviennent le mieux à la nature du terrain, qui exigent le moins de frais, et qui sont les plus propres à cacher ses défauts et à faire ressortir ses avantages.

Voici les préceptes que Lieou-tcheou, auteur chinois, déjà cité, donne pour former des jardins : il les expose d'une manière très éloquente dans son texte, ou par son traducteur, M. Cibot.

« L'art de tracer les jardins, consiste à y rassembler si naïvement la sérénité, la verdure, l'ombrage, les eaux, les points de vue, les variétés et la solitude des champs, que l'œil trompé se méprenne à leur air simple et champêtre, l'oreille à leur silence ou à ce qui le trouble, et tous les sens à l'impression de jouissance et de paix, qui en rend le séjour si doux. Ainsi, la variété qui est la beauté dominante et éternelle de la campagne, doit être le premier objet de la distribution du terrain.

Quand il est assez vaste pour suffire à tous les modèles sur lesquels la nature range les collines, élève les monts, sépare les allées, étend les plaines, assemble les arbres ou les isole, fait tomber les ruisseaux en cascades, ou les embarrasse dans mille détours, déploie les nappes d'eau ou les ombrage de fleurs aquatiques, émaille de fleurs des tapis de verdure, ou les entrecoupe de canaux, suspend des rochers en précipices, ou les laisse à fleur de terre, creuse des cavernes obscures, ou forme des berceaux de feuillages ; variez alors vos plans comme elle, et que le faux éclat d'un premier coup d'œil ne vous fasse pas tomber dans les contraintes et les assujettissements d'une symétrie aussi fatigante que monotone.

Si votre terrain resserré dans des limites plus étroites ne vous permet pas d'y faire entrer tant de choses, faites votre choix, et assortissez ce que vous aurez adopté si naturellement que son ensemble porte l'empreinte de la simplicité, de la négligence et du caprice, qui rend la vue des campagnes si riante et si gracieuse.

En quoi le génie peut-il se signaler et lutter de près avec la nature, ou même la surpasser, c'est en plaçant tellement ses collines, ses bois et ses eaux, que leur disposition en relève la beauté, en augmente l'effet, et en varie les points de vue en mille manières ? Rien ne peut être grand dans un petit espace, mais rien ne doit être resserré ni contraint ; et dans les plus vastes emplacements, l'harmonie seule des proportions peut produire ce beau vrai, touchant, invariable, qui plaît à tous les yeux, sans jamais les rassasier.

Chaque climat a néanmoins ses convenances et ses besoins ; et si on n'y avait pas égard dans le choix d'un plan, un jardin de plaisance sortirait de sa destination. Ici la sécheresse continuelle des étés, demande qu'on y multiplie sans fin les bassins, les canaux, les petites îles, et tout ce qui entretient une paisible et agréable fraîcheur. Là, pour éviter l'humidité malsaine des longues pluies, il faut que le terrain soit plus découvert, plus aéré, plus dégagé, et tellement disposé que les pentes ne permettent pas aux eaux de séjourner, et soient cependant rompues, écartées de manière que leurs courants ne causent aucun dommage.

Dans les expositions trop ouvertes aux ardeurs du soleil et de la canicule, il faut beaucoup d'ombrage, de longs arbres contre le midi, et des gorges, des défilés, des coudes adroitement ménagés pour appeler le zéphir. Dans les lieux où l'on craint les fougueuses surprises des orages et des aquilons, les vallées doivent être plus enfoncées, plus abritées et moins couvertes ; et les collines élevées en biais à la direction la plus importante des vents.

À quelque choix que vous vous arrêtiez, continue le même auteur, souvenez-vous que rien ne pourra réparer la méprise de vos préférences. Si le terrain est mal disposé, la parure d'ornements superflus ne sert qu'à donner plus de saillie aux disproportions, aux disconvenances, et aux difformités qu'un plan mieux entendu aurait ou réparées ou effacées, et qu'on a eu la maladresse d'y ajouter.

Le plan du reste le mieux imaginé, ne peut donner un beau jardin, qu'autant que la main qui en dispense les ornements, les place avec soin, les distribue avec économie, les varie avec goût, et les unit sans affectation, non pour effacer les caprices de la belle nature, mais pour en conserver les grâces et en relever l'agrément. »

Les jardins chinois n'admettent pas tout ce qui est alignement, symétrie, vis-à-vis, régularité et exactitude. Les arbres dès là, ne peuvent pas être plantés en allées continuelles, les fleurs en parterres, les eaux enfermées dans des bassins ou canaux toisés, les endroits découverts assujettis à aucune figure régulière.

On trouve quelquefois, mais bien rarement, chez les Chinois, les avenues ou les allées spacieuses des jardins de l'Europe. Le terrain est distribué en variété de scène : des passages tournants, nommés en France tortilles, et ouverts au milieu des bosquets, vous font arriver aux différents points de vue ; chacun desquels est indiqué par un siège, par un édifice, ou par quelque autre objet.

Si l'œil est frappé à l'aspect des monticules et des petites chaînes de collines, dont les jardins de cette nation sont remplis, il faut savoir que fidèles imitateurs de la nature, leurs ancêtres ayant toujours choisi les coteaux, les collines et les montagnes, pour les plantations d'arbres fruitiers qui s'y plaisaient le plus, ils ont cru dans les jardins d'agrément, se devoir procurer, par le secours de l'art, des mêmes terrains montueux, lorsqu'ils ne les ont pas eu naturellement, et donner à leurs arbres un site de convenance, comme moyen plus assuré de les faire réussir. Les expositions sont dès lors plus variées, plus à choix ; et leur longue expérience les a avertis de réserver pour les fonds, les arbres qui demandent des eaux ou des terres humides, comme les peupliers, les saules, etc. Par cette disposition de terrains supérieurs, l'air environne plus librement les arbres, auxquels on laisse entre eux plus d'espace que nous ne leur en donnons.

Mais l'art principal d'un habile architecte chinois, est de se ménager dans la distribution de son jardin un point central, d'où l'on puisse apercevoir, d'un coup d'œil général, toutes les différentes parties dont il a décoré son terrain, et qui viennent, malgré leur étendue, s'y réunir et en étaler l'ordonnance, les richesses et les variétés, quoique chaque partie parcourue séparément ait fourni un local agréable, et quoique chacune encore n'ait pas préparé à en voir une autre de tout autre goût, et de dessin différent. On conçoit aisément qu'il faut un grand talent pour déguiser ainsi sa marche, et se déployer ensuite avec tant de magnificence.

On sait que les artistes chinois distinguent trois différentes espèces de scènes, auxquelles ils donnent les noms de riantes, d'horribles et d'enchantées. Cette dernière dénomination répond à ce qu'on nomme scène de roman, ou scène de féerie, et ils se servent de divers artifices pour exciter la surprise après l'avoir ménagée avec autant d'art que d'intelligence.

Les scènes d'horreur présentent des rocs suspendus, des cavernes obscures, et d'impétueuses cataractes qui se précipitent de tous les côtés du haut des montagnes. Les arbres sont difformes, et semblent brisés par la violence des ouragans. Quelques-uns des édifices sont en ruines, quelques autres consumés à demi par le feu.

À ce site succède communément un aspect plein de grâce ; des transitions subites, et la science des contrastes étant toujours un moyen sûr pour affecter plus fortement l'âme, on voit alors avec ravissement des oppositions de formes, de couleur et d'ombres ; puis on passe de vues bornées et circonscrites, à des perspectives étendues ; on a devant soi un ensemble de lacs, de rivières, de plaines, de coteaux et de bois, et des masses de lumières modérées par d'autres masses plus sombres.

Le matin, le midi et le soir, ont chacun tour à tour leur éclat et leur jouissance, dans les différents pavillons élevés pour profiter de chacune de ces parties du jour.

Les jardiniers chinois, attentifs à varier dans la disposition des bosquets, les formes et les couleurs des arbres, joignent ceux dont les tranches sont grandes et touffues, avec ceux qui s'élèvent en pyramides : ils y entremêlent des arbres qui portent successivement des fleurs dans les belles saisons. Mais le saule pleureur est un de ceux dont ils bordent par choix les rivières et les lacs, et ils les plantent de manière que ses branches pendent sur l'eau, qui naturellement les attire.

Enfin, ces jardiniers décorateurs, selon qu'ils travaillent plus ou moins en grand, considèrent un jardin, comme nos peintres habiles considèrent un tableau : ils groupent leurs arbres de la même manière que ces derniers groupent leurs figures, les uns et les autres ayant leurs masses principales et secondaires.

Il résulte des préceptes ci-devant développés, que l'art de distribuer les jardins dans le goût chinois, est extrêmement difficile, et tout à fait impraticable aux gens de talents bornés. Quoique les documents soient simples et qu'ils se présentent naturellement à l'esprit, l'exécution demande du génie, du jugement, de l'expérience, une imagination vive, et une connaissance parfaite de l'esprit humain ; cette méthode étant moins assujettie à des règles fixes, que susceptible d'autant de variations qu'il y a d'arrangements différents dans les ouvrages de la nature.

Chambers observe que les Chinois ont moins d'habileté que les Européens dans la pratique du dessin, mais qu'ils excellent dans la disposition des jardins ; que le bon goût qu'on y remarque est celui qu'on recherche avec tant de soin en Angleterre, sans y atteindre toujours, et qu'il a tâché dans son ouvrage de donner des idées plus distinctes, dans l'espérance de pouvoir les rendre utiles aux jardiniers.

Il n'a cependant vu que quelques beaux jardins de Canton, et ses conversations avec Lepqua, peintre chinois, ont ajouté à ses connaissances ; mais comme chaque artiste a la langue de son art, s'il avait parcouru les superbes jardins de l'empereur, quels développements intéressants ne nous aurait-il pas donnés à l'appui des charmantes descriptions du frère Attiret et de l'essai sur les jardins de plaisance en Chine, par M. Cibot ? Dans ce genre de beautés et de pièces de comparaisons, on désire les yeux d'un peintre ou ceux d'un architecte décorateur de jardins : M. Cibot, sans être artiste, mais plein de goût et de sensibilité, est devenu un grand peintre qui nous a transmis dans ses descriptions si animées, toutes les richesses et l'art des jardins chinois.

Combien d'idées, de plans et de tableaux agréables, le célèbre M. Robert, d'après l'examen des sites, n'a-t-il pas donné aux propriétaires et aux artistes, qui les ont employés pour former des jardins modernes, qui admettent nécessairement les arbres variés par leurs feuillages et leurs teintes ? Ces arbres conservant une liberté de pousse et d'extension, leur port en est plus beau, plus majestueux, selon le choix qu'on en fait. Les formes en amphithéâtre qui sont toujours employées dans les jardins chinois, demandent alors la préférence, parce qu'elles deviennent beaucoup plus agréables dans leur élévation successive.


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Allumettes, Bains, Bâtons d'odeur, Bougies, chandelles, mèches,...

Allumettes

L'ordre alphabétique pour tous ces articles isolés nous ayant semblé plus convenable, nous l'employons dans ce petit volume.

En raison de cet, ordre, l'article par lequel nous commençons est malgré nous de peu d'intérêt, et il est aussi sec, aussi mince que le chaume, ou le bois léger qui sert en France à la composition des allumettes.

En Chine elles se font de paille de gros chanvre. Le Chinois, ne perdant rien de ce qui peut tourner à l'utilité, ramasse les bouts de paille dont la terre est couverte, quand on tille le chanvre ; et il en fait des paquets qu'on enduit de soufre par les deux bouts. Une étincelle produit souvent un incendie. Dans une sédition, dans des convulsions d'État, les hommes séditieux sont figurément des allumettes qui portent partout le feu de la rébellion, et qui en propagent les désastres.

En Chine la paille de blé sarrasin est indiquée comme un préservatif contre les punaises ; mais les missionnaires préviennent qu'ils n'ont pu s'assurer par aucune expérience, si elle a effectivement cette propriété. Plusieurs voyageurs assurent que cet insecte si incommode et si fétide est supporté très patiemment par les Chinois, et qu'ils mangent même les poux qui les dévorent. Cette assertion ne concerne sans doute, que ceux du peuple dans la misère extrême, quoique les deux derniers ambassadeurs anglais et hollandais confirment le même fait ; l'Hottentot et le Lapon en usent de même, mais quelle différence entre ces peuples et les Chinois.

Bains

La province de Chen-si, hérissée de montagnes dont plusieurs sont affreuses et incultes, et d'autres, coupées en terrasses, depuis la cime jusqu'au pied et toutes couvertes de grains, contient beaucoup de sources d'eaux chaudes et bouillantes.

Une des maisons de plaisance de l'empereur Kang-hi, située dans un village à six lieues de Pékin, avait des bains d'eaux chaudes. Cette maison est composée seulement de trois petits pavillons fort simples, dans chacun desquels il y avait des bains, outre deux grands bassins carrés qui embellissaient la cour d'entrée. L'eau de ces bassins, selon la description du père Duhalde, avait quatre à cinq pieds de profondeur, et la chaleur était fort modérée : on fréquentait beaucoup ces bains.

Chambers dit expressément, en parlant des maisons de Canton, qu'on trouve dans chacune une pièce pour le bain.

Bâtons d'odeurs, espèce de bougies

Les autels dans les temples des idoles, et ceux des chapelles particulières de l'intérieur des maisons des grands, sont ordinairement décorés de gradins qui portent deux vases de fleurs, deux bougies, des des chandeliers dont les formes sont très variées, et un vase rempli de sable fin, dans lequel on enfonce trois ou quatre bâtons d'odeur qui se consument pendant qu'on fait les prosternations.

On fait usage également, pour parfumer les appartements, de ces bâtons d'odeur. À en juger par ceux qui nous sont venus de Pékin, ils sont à peu près de la longueur d'une bougie des quatre à la livre, mais moins gros, plus longs encore, et d'une couleur brune ; cependant, en raison de l'usage auquel on les destine, ils peuvent être d'un plus gros volume. Leur odeur aromatique est moins agréable que celle qui émanait des tablettes d'encens dont les Chartreux faisaient usage. La lueur qu'ils donnent est si faible, qu'un appartement, loin d'en être éclairé, resterait presque dans l'obscurité. Mais on sait que, laissant aux bâtons d'odeur la destination de répandre leur parfum, les Chinois, indépendamment de la cire d'abeilles dont ils font peu d'usage, ont l'arbre utile nommé pe-la-chu, qui porte la cire ; et qu'ils emploient pour s'éclairer, les bougies, les chandelles et l'huile, comme on fait en Europe. Voyez l'article suivant et aussi celui Sépultures et obsèques.

Bougies, chandelles, et mèches

La cire qui sert à éclairer à la Chine est de deux sortes, et l'on a différentes manières de la blanchir à Canton, où sont presque toutes les blancheries. Il est vraisemblable que les Portugais ont appris aux Chinois à perfectionner ces préparations. Cependant, suivant le mémoire curieux de M. Cibot sur la cire, il est certain, par l'histoire de la dynastie des Tang, qui a commencé en 618, qu'on blanchissait la cire en Chine dès cette époque reculée ; et que la manière de le faire s'est perdue seulement depuis la découverte de la belle cire blanche dont on se sert aujourd'hui à la cour.

La cire qui provient des abeilles est rare, parce qu'on y en élève peu depuis plusieurs siècles, et parce que la médecine et les arts emploient le miel et la cire qu'elles travaillent.

La cire d'arbre, qui est beaucoup plus belle, a été préférée par la cour. On nomme niu-tchin ou Vierge, l'arbre qui la porte, ou plutôt sur lequel habitent les vers dont on la tire. La quantité n'en est pas considérable, et la provision est bornée presque à l'empereur et à l'impératrice : une fois prélevée pour cet usage, il reste fort peu de cette cire impériale (c'est ainsi qu'on la nomme) pour le public, qui en conséquence la paye fort cher. Le palais excepté, on ne s'en sert presque jamais que dans les sacrifices au Chang-ti (au Ciel), dans les cérémonies funéraires, ou aux ancêtres, ou dans les oratoires d'idoles : les grands et les princes n'oseraient en faire une consommation journalière.

Mais on s'éclaire avec les chandelles et de l'huile. Les anciens donnaient au suif des préparations qui le purifiaient, le blanchissaient et lui ôtaient sa mauvaise odeur. Ces préparations, par le peu qu'on en dit, semblent se rapprocher de celles qu'on donne au saindoux pour en faire de la pommade. On emploie encore en partie ces moyens épuratoires et ils approchent beaucoup de ceux dont on fait usage à l'égard de la cire, soit pour augmenter sa blancheur et sa dureté, soit pour diminuer sa mauvaise odeur. Quand on veut des chandelles plus distinguées, on les couvre d'une couche de cire d'arbre, dont la croûte empêche la coulure du suif, et on le parfume dans la préparation.

Les chandelles et bougies de Chine sont moulées grosses et courtes. Duhalde dit que les chandelles faites dans la ville de Koang-si sont les meilleures qui se trouvent dans l'empire.

On fait enfin pour le service des lampes le plus grand usage d'une huile, que l'on tire d'une infinité de graines et d'amandes. On y emploie également les fleurs des arbres : celles que les Chinois nomment sai-tze sont jaunes, et elles donnent de l'huile à brûler.

La moelle de jonc desséchée sert dans les campagnes à faire des mèches pour les lampes. Ces mèches nommées hiang sont d'une très petite dépense et d'une grande commodité pour conserver du feu pendant la nuit. On tire un autre avantage encore des hiang, celui de purifier l'air en les brûlant dans les étables, quand les bêtes à cornes sont attaquées de quelque maladie épidémique.

Bourses

Celles des femmes sont petites, très jolies, d'étoffes de toutes les couleurs brodées en fleurs nuées, et tissues quelquefois en or, et en argent sur un fond qui les fait valoir. La forme en est ronde, plissée par le haut, le fil de soie qui leur tient lieu de coulisse servant à ouvrir et à fermer.

Les hommes portent la bourse qui est longue, en belle et riche soie selon les états, à la ceinture qui tient la robe : ils mettent dans cette bourse leurs pipes et le tabac à fumer. Ils attachent aussi à cette ceinture une gaine pour serrer leur couteau et les bâtonnets de bois d'ivoire qui leur servent de fourchettes.

Boutiques des gros marchands de Pékin

Ces boutiques l'emportent pour la propreté et peut-être pour la richesse sur celles des plus gros marchands de l'Europe. L'entrée est ornée de dorures, de sculptures, de peintures et de ce beau vernis qui leur donne un aspect frappant.

Les grandes boutiques des villes, et surtout des capitales, sont comme les réservoirs où viennent se décharger les différents canaux du commerce des provinces ; c'est de là qu'ils se distribuent dans les boutiques où l'on vend en détail. Il y a aussi des magasins publics où vont aboutir les marchandises, et où les ventes se font d'une manière plus prompte, plus sûre et plus juridique : elles ressemblent, à quelques égards, à celles de la Compagnie des Indes à l'Orient. Ce qui est particulier à la Chine, c'est que, comme nous l'avons déjà dit, les femmes ne paraissent point dans les boutiques, ni pour vendre ni pour acheter ; les mœurs s'y opposent. Par cette raison il y a beaucoup de petits marchands qui vont courant les rues et vendant tout ce qui est nécessaire pour le ménage et pour les pauvres gens.

Bracelets

Les bracelets, quoique cachés sous de longues manches qui tombent jusque sur les mains et les recouvrent, font partie des ornements des femmes chinoises. Cette parure, plus ou moins riche, n'a jamais été négligée par les personnes du sexe chez aucun peuple : les femmes sauvages la connaissent.

Nos preux chevaliers se paraient des bracelets qu'ils avaient reçus de leurs dames en récompense de la bravoure qu'ils avaient montrée dans les combats et dans les tournois : ils portaient aussi leurs livrées. Quand le brave et malheureux maréchal de Montmorency fut fait prisonnier à Castelnaudari, en combattant contre son roi, ceux qui le déshabillèrent pour panser ses blessures, trouvèrent sur lui un bracelet enrichi d'un portrait cher à son cœur et entouré de diamants d'un grand prix.

Les Chinois attribuent aux bracelets faits de cuivre rouge, nommé tse-lay-tong, la propriété de fortifier les bras contre les suites d'attaques de paralysie ; mais l'expérience a appris à douter de l'effet de ce métal ainsi employé extérieurement.

Les barres légères et les bracelets d'acier aimanté, que l'on porte en Europe pour diminuer, suivant l'opinion de quelques médecins, les tremblements de nerfs, ne réussissent guère mieux que les bracelets de tse-lay-tong ; mais les essais, n'en doivent pas être négligés.

Le mesmérisme n'avait-il pas dans les maladies de l'esprit fait ici des apôtres zélés parmi les différentes classes de l'État. Les hommes et les femmes, épris de vives passions et avides de nouveautés en tout genre, travaillés par la vanité, gâtés par le luxe et l'abus excessif des richesses, étaient volontairement dupes par bel air ; et cette corporation de charlatans philosophes n'a-t-elle pas préparé la voie à une foule bien plus considérable de jongleurs politiques trop connus ? Les erreurs sont bien communes, et la sagesse fort rare. Excusons donc les Chinois et passons-leur les bracelets de cuivre rouge.

J'ai dans mon cabinet de curiosités un bracelet tel que le portaient les femmes des Miao-tsee, peuple sauvage et vaillant, longtemps rebelle, vaincu et écrasé sous le règne du dernier empereur Kien-long. C'est un bois fort léger, très dur et poli, de la grosseur d'une forte ficelle, conservant son ressort, son élasticité, et rentrant par les extrémités l'une dans l'autre. Ce bracelet si simple était cependant une parure pour ces femmes barbares. Voyez Miao.

Briquets

Extrait d'une lettre de M. Bourgeois, missionnaire français à Pékin datée du 1er novembre 1778, à M...

« Je vous offre un briquet qui m'a été donné par le roi de Karsin. Ce bon prince tartare ne manque jamais de me rendre visite toutes les fois qu'il vient à Pékin. L'an passé, il voulut voir ma chambre : nous fumâmes ensemble une petite pipe de tabac ; ayant aperçu mon briquet, il me dit :

— Quel briquet avez-vous là ? je veux vous en donner un de Tartarie ; c'est bien autre chose que ces petits briquets chinois.

Dès le lendemain il m'envoya ce gros briquet que j'ai l'honneur de vous présenter. Ces pauvres princes sont ici comme Déjotarus était à Rome, c'est-à-dire qu'ils ne datent presque de rien. La première fois qu'il vint me voir, je demandai quel était le cérémonial pour ces princes étrangers, on me dit : c'est celui d'un ami à son ami. J'allai donc à lui ; il me tendit les deux mains, je lui tendis les miennes, et pendant que nous nous les serrions mutuellement, nous nous inclinâmes quatre ou cinq fois l'un vers l'autre.

Chapelets et colliers

Les Chinois en ont de toute espèce. Les gens de condition en portent à leurs ceintures, et, selon M. Pallas, jouent par délassement avec leurs grains dans la conversation. Les chapelets sont souvent de senteur ; le parfum s'en conserve fort longtemps : d'autres sont de perles, de corail, de bois odoriférants ; d'autres, de noyaux de fruits sculptés avec une grande délicatesse : on les entremêle de morceaux de cristal et de pierres fausses. Les personnes de la classe moyenne portent aussi des chapelets dont les grains sont composés de résine de mélèze séchée. La transpiration continuelle des mains les rend aussi durs et aussi transparents que s'ils étaient faits avec de l'ambre. Les Chinois les vendent alors très chèrement aux amateurs.

Nous avons parmi nos curiosités plusieurs de ces chapelets sculptés et d'autres dont les grains sont pleins de poudre parfumée où l'ambre domine toujours.

Les missionnaires nous apprennent que le sou-tchou, ou chapelet, est une espèce de cordon formé de grains de différentes matières ; que les lamas, ou prêtres d'idoles du Thibet, et les mandarins à la Chine, le portent par distinction, comme en Europe les grands officiers des couronnes portent l'ordre de la Jarretière, celui de la Toison d'or, etc.

Le collier qui est d'une plus grande dimension, indique son usage ; en passant autour du col, il tombe sur l'estomac. Les hommes en dignités sont décorés de colliers. L'empereur en fait présent aux personnes qu'il veut honorer de ses bontés. Il en donna un dont les grains étaient d'agate au père Sikelbar, missionnaire jésuite du Palais, qui était dans sa 70e année.

Le collier et les pendants d'oreilles, composés de pierres fines, font l'ornement des impératrices, des reines, des princesses et des femmes en places éminentes à la cour. Les filets de perles fines couvrent en partie, avec d'autres diamants, la toque des impératrices et des reines ; et aux dames de grande distinction, ils tombent souvent de la toque en grandes et longues pendeloques à trois rangs coupés par des nœuds jusque sur les épaules.

Charbon de terre

Le feu continuel dans la cheminée d'un appartement communique à l'air qu'on y respire des qualités nuisibles et malfaisantes.

Pour corriger ce vice de l'atmosphère, provenant des brasiers et encore plus des fourneaux et des poêles, les Chinois ont disposé par l'ouverture d'un des carreaux les plus hauts de leurs croisées, un renouvellement continuel d'air, et ils ont la précaution de placer dans les pièces des vases pleins d'eau que l'on change quand il en est temps.

Les vases et les globes de verre ou de cristal qui sont suspendus au plancher et qui font décoration, prouvent qu'à cette hauteur l'air est plus vif, plus desséchant : car l'eau s'y trouble et contracte plus promptement une mauvaise odeur que celle des vases placés plus bas.

Ce moyen est en général utile à ceux qui font emploi du charbon de terre, quelqu'épuré qu'il soit de sa partie sulfureuse, gênante pour la poitrine.

Le charbon de terre dont on fait usage en Chine pour se chauffer, donne à l'air un vice auquel on n'est pas exposé avec un feu de bois ; d'où il résulte qu'on ne doit pas considérer, comme l'effet seul du luxe, la précaution qu'ont les Chinois titrés ou opulents de distribuer dans leurs appartements, indépendamment de divers vases de porcelaines et de cristal remplis d'eau, des vases de fleurs rares et précieuses, dont l'aspiration salutaire est conforme à leurs principes en médecine. Cette habitude d'être entouré de fleurs et de parfums ne cause pas sans doute en Chine des vapeurs ni les maux de nerfs si communs en France.

Cloches, tambour, etc.

Yu, premier empereur, fit attacher aux portes de son palais selon les historiens, une cloche, un tambour et trois tables : l'une de fer, l'autre de pierre et la troisième de plomb ; et il fit afficher une ordonnance par laquelle il enjoignait à ceux qui avaient à lui parler, de frapper sur ces instruments ou sur ces tables, suivant la nature des affaires qu'on voulait lui communiquer.

La cloche était destinée aux affaires civiles ; le tambour devait être frappé pour celles qui concernaient les lois et la religion ; la table de plomb servait aux affaires propres du ministère et du gouvernement : si l'on avait à se plaindre de quelque injustice commise par les magistrats, on frappait sur la table de pierre, et enfin sur la table de fer, lorsqu'on avait reçu quelque traitement rigoureux.

Yong-yuen, au rapport des Annales, fut chargé par l'empereur Hoang-ti de faire douze cloches de cuivre qui représentaient les douze mois de l'année.

Sur la plupart des tours de la ville de Yu-tching-hien, on voit des cloches de fer fondu assez grosses.

La cloche de Pékin qui sert à sonner les heures de la nuit, est peut-être la plus grosse cloche du monde. Son diamètre au pied, tel qu'il fut mesuré par les pères Schaal et Verbiest, est de douze coudées chinoises et huit dixièmes ; son épaisseur vers le sommet est de neuf dixièmes de coudée, sa profondeur intérieure de douze coudées, et son poids de cent vingt mille livres.

Le son ou plutôt le rugissement de cette grosse cloche, est si éclatant et si fort, qu'il se fait entendre de fort loin dans le pays, : elle fut élevée sur la tour par les jésuites avec des machines qui firent l'étonnement de la cour de Pékin.

Avec cette cloche extraordinaire, les empereurs de la Chine en ont fait fondre sept autres, dont cinq sont demeurées sans usage et à terre.

Le père Verbiest, dans ses lettres, et le père Couplet, dans sa Chronologie, rapportent l'origine de ces cloches à l'année 1404 : elles furent fondues par l'ordre de l'empereur Yong-lo. On en comptait cinq, dont chacune pesait cent vingt mille livres.

La cloche de la grande tour de Pékin se fait entendre aussitôt que l'empereur sort de son appartement pour aller, le premier jour de l'an, faire sa visite à l'impératrice sa mère, et continue de sonner jusqu'à ce qu'il soit rentré dans son palais.

Les Chinois ont dans toutes leurs villes de fort grosses cloches pour sonner les veilles de la nuit. Celle de Nankin et de Pékin surpassent toutes les autres. Les cloches de la capitale sont au nombre de sept ; elles ont douze pieds de hauteur, treize de diamètre et quarante de circonférence. Le père Le Comte dit qu'elles sont fort inférieures aux nôtres pour la beauté du son, parce qu'on les frappe avec un marteau de ce bois dur qu'on appelle bois de fer : le métal est plein de grumeaux et aigre, leur forme, peu satisfaisante, étant presque aussi large en haut qu'en bas. Mais le père Magalhaens pense tout autrement, et il avance que le son est éclatant, et tellement agréable et harmonieux, qu'il paraît bien moins venir d'une cloche, que de quelque instrument de musique.

Voilà des sentiments très opposés, mais à l'appui du père Magalhaens, ne peut-on pas dire que le son qui provient d'une grosse cloche, n'est agréable et harmonieux qu'à des distances très grandes et convenables, au lieu qu'il ne produit de près qu'un bruit confus et assourdissant : ne peut-on pas dire aussi contre ce qu'avance le père Le Comte, que le battant de bois est favorable, en ce qu'il affaiblit la force du son, qu'il en déploie la douceur et les effets dès le moment qu'il frappe et qu'il ne produit pas les mêmes retentissements que le battant de métal, retentissements qui, entendus de près, sont dépourvus de toute harmonie ?

Pour annoncer les veilles de la nuit et donner les signaux, les Chinois se servent aussi de deux espèces de tambours.

Famine

L'inondation des rivières, les sauterelles qui ravagent les moissons, une stérilité presque générale, tous ces fléaux réunis ont porté plusieurs fois la désolation dans les différentes provinces de l'empire, et en ont enlevé la majeure partie des habitants.

Les magasins d'abondance en grains et en riz formés dans les villes principales de chaque province, suite d'une administration paternelle, et aussi sage que prévoyante, sont venus au secours des peuples, qu'attaquait cette calamité ; mais souvent les ordres de l'empereur ont été mal exécutés : la lenteur employée par les vice-rois, par les gouverneurs, à donner la connaissance du mal qu'ils avaient intérêt de déguiser, a multiplié l'indigence et la mortalité. Les abus du pouvoir et l'avidité du gain ne se renouvellent que trop malgré les lois ; mais sous un prince vigilant et sévère à propos, la punition en Chine est prompte et terrible.

Des lettres de Canton, selon les papiers de Londres du 17 mai 1793, annoncent qu'une famine a fait périr dans cette ville plus de cinquante mille âmes. Peut-être ces lettres rappellent-elles ce que le capitaine J. Meares a consigné dans son voyage intéressant et traduit tout récemment. C'est à l'occasion du changement des moussons, vers les mois d'avril et d'octobre dans les mers de Chine, qu'il a dit :

« Les Chinois redoutent au-delà de ce qu'il est possible d'exprimer ces terribles ouragans, qui détruisent quelquefois des villages entiers avec leurs habitants. Souvent encore toutes les moissons sont enlevées par leur souffle meurtrier, et la famine avec toutes ces horreurs vient désoler ces climats. Ce fut un de ces cruels accidents qui, avec une excessive sécheresse, occasionna en 1787 la plus affreuse disette dans les provinces méridionales de la Chine, et fit périr un nombre incroyable de leurs habitants. Il était très ordinaire à Canton de voir les malheureux que la faim dévorait rendre le dernier soupir, tandis que les mères regardaient, comme un devoir pour elles, de donner la mort à leurs enfants pour leur épargner une fin plus douloureuse.

Grands yen-yen.

En Chine les grands yen-yen qu'on donne aux princes étrangers, et à leurs ambassadeurs, ont toujours lieu sous des tentes faites exprès, qu'on dresse dans les jardins. Ces tentes sont vastes et plus ou moins magnifiques, selon que l'empereur veut plus ou moins faire honneur à ceux à qui il accorde un yen-yen. Quand le nombre des convives est grand, on unit plusieurs rangs de tentes, et on forme comme une galerie immense, qui a des bas côtés ; mais cela arrive rarement. La tente de yen-yen est environnée d'une grande enceinte de toiles peintes, proprement tendues en murailles. On y entre par des portes de toiles également peintes, auxquelles on arrive par une avenue proportionnée et symétrisée. Les Chinois entendent fort bien ces sortes de décorations : elles sont toutes assorties au plus ou moins de magnificence de la tente ; et plus riches, et plus chargées d'ornements, selon qu'elle l'est plus ou moins elle-même. La tente est toujours tournée au midi. Quand l'empereur préside au yen-yen à la tête des princes et des grands de sa cour, il est au fond de la tente sur une estrade couverte de magnifiques tapis, et où l'on monte par trois grands escaliers. La partie de la tente qui la couvre est plus élevée et beaucoup plus richement ornée que le reste, en dehors comme en dedans.

L'origine des tentes dans les yen-yen se dérobe en partie à nos recherches. Nous croyons cependant qu'elles ont commencé à être en usage dans les festins que l'empereur donnait aux princes et aux grands pendant les chasses générales qui étaient si fréquentés sous les premières dynasties. Comme les salles et les appartements du palais n’étaient pas assez vastes dans les premiers temps pour les yen-yen qu'on donnait aux princes qui venaient aux grands jours, on se servit de tentes. En consultant les King, on trouve cet ordre, que quand les princes viendront à la cour, on aura soin de tirer les tentes des magasins, pour les tendre dans la cour des cérémonies. Tso-chi dit que les princes Tchao-kong et Ngei-kong donnèrent, sous des tentes, de grands repas à leurs cours ; et on les voit en usage sous les Han, jusque-là que l'empereur Vou-ty fit bâtir un palais en tentes le long du lac Sanhou, pour donner une fête aux reines.

On a donc conservé l'usage des tentes pour les yen-yen, parce qu'il était établi, parce que les grandes salles du palais ne sont pas assez vastes, parce que ces fêtes entraînent une foule de préparatifs qui blesseraient la majesté de l'appareil impérial, causeraient de l'embarras dans les audiences, et troubleraient le profond silence qui y règne. Un fait viendra à l'appui.

L'empereur Yang-ty, de la dynastie des Soui, voulant donner une idée de sa magnificence et de ses richesses à des ambassadeurs tartares, qui étaient venus apporter le tribut de leurs maîtres, fit servir un yen-yen à cent mille mandarins, et à tout le peuple de la capitale. Soit pour sauver l'étiquette des tentes, soit pour s'accommoder aux circonstances, on imagina de tendre, d'une maison à l'autre, dans toutes les grandes rues, des toiles colorées : les tables étaient au milieu et les façades des maisons étaient cachées par des tentures de soie ; comme il y avait, de distance en distance, des chœurs de symphonie et de voix, des théâtres de baladins, des pyramides de viandes et de fruits et des fontaines de vin, ces bons Tartares, à qui on affecta de faire traverser toute la ville pour les conduire au grand yen-yen, disaient entr'eux que la Chine était le vestibule des immortels. Les historiens chinois, moralistes sévères, ne parlent, au contraire, de la somptuosité de ces fêtes, qu'en plaignant le prince qui les donne, en relevant les secours qu'elles procureraient à ses peuples par un autre emploi. (Il est cependant vrai de dire, ajouterons-nous, que c'est un moyen politique d'attirer les princes étrangers et d'accroître le trésor d'un État, enfin de faire refluer l'argent dans toutes les classes, jusqu'à celle de l'indigence.

La magnificence des tentes chinoises est au-delà de toute idée dans les fêtes extraordinaires, à cause de l'éclat du jaune citron, qui est la couleur impériale : les cordons des tentes sont en fil d'or, le dehors et le dedans de la tente sont en satin ou en brocard, les pommeaux, avec leurs aigrettes, répondent à ce luxe.

« Les hommes sont si peu conséquents, dit Tang-tchi, philosophe peu courtisan, que les princes trouvent plus de facilités pour ruiner l'État que pour y procurer et maintenir l'abondance.

Ceux qui ont voyagé dans l'Asie occidentale savent que dans l'Inde, en Perse et en Turquie, le luxe a l'adresse d'employer d'aussi grandes sommes à orner une tente qu'un appartement. La tente du fameux Kouli-kan était brodée en perles ; les pommeaux qui soutenaient les aigrettes étaient garnis de diamants et de rubis ; les clous même qu'on fichait en terre, pour la tendre, étaient d'or massif, comme l'a assuré le frère Bazin, témoin oculaire. Il est évident que quand on dressait cette tente, celles des princes, des grands et des ministres, devaient être assez magnifiques pour pouvoir paraître à côté d'elle. En Chine les tentes de chasse, qui doivent être des tentes militaires, étaient si follement ornées, qu'il a fallu faire parler la loi, pour en déterminer les dimensions et les ornements...

Dès que les chaleurs de l'été commencent à se faire sentir, on tend dans l'intérieur du Palais, de hautes tentes aussi vastes que les cours, pour empêcher que le soleil ne donne sur les appartements de l'empereur, de l'impératrice, etc. Les tentes sont soutenues en l'air par leurs montants, et se baissent sur les côtés à hauteur d'homme, pour que le vent puisse circuler librement dessous, et y entretenir la fraîcheur. Cette manière de les tendre est certainement la plus propre à obtenir ce qu'on souhaite ; parce que les cordes qui sont tout autour, les appelant vers la terre, le moindre vent dans l'air s'y engouffre, et les agite de manière à donner un zéphir fort agréable. Mais quand le vent est fort, la tente lui donnant beaucoup de prise, il l'enlèverait sûrement, si les cordes qui la tendent n’étaient attachées de façon à pouvoir résister aux bouffées les plus violentes. L'industrie chinoise a imaginé de les attacher à d'énormes colonnes (tronquées), ou plutôt à de gros blocs de marbre dont la pesanteur s'oppose aux plus fortes secousses de la tente. Ceux que M. Cibot a vu sont ronds, de marbre blanc et hauts de plus de quatre pieds, sur trois environ de diamètre. Ces blocs, au nombre de quatre, de huit et de dix, selon la grandeur de la cour, sont placés dans des angles et au bas des perrons. Pour y attacher plus sûrement et plus fortement les grosses cordes qui assujettissent, ils sont surmontés d'un gros anneau qu'on a taillé et pris sur leur hauteur.

Une impératrice, à son avènement à la couronne, donne concurremment avec l'empereur, un yen-yen aux princesses aux reines, et à toutes les femmes de la cour. Les tables sont vis-à-vis l'une de l'autre ; le cérémonial est fort long et majestueux.

C'est dans l'Asie que le luxe a toujours déployé son faste. Qu'on voie dans le tome XIV des Mém. des miss. de Pékin, pages 71 et suiv. la description de la fête d'Assuérus ; dans les histoires modernes, les richesses du grand-Mogol et de Delhi sa capitale, avant l'invasion de Thamas-kouli-kan, en 1738 ; et enfin récemment la magnificence, la somptuosité du palais et de la cour de Typo, dont les Anglais ont conquis les États et enlevé les trésors, et l'on verra la même continuité de l'expansion du luxe, en or, en pierreries, en revenus, etc.

Jeûne

Il consiste, de la part des Chinois, à ne manger que du riz, des légumes, et de ce qui n'a pas vie : il concerne moins le peuple que l'empereur et les mandarins, qui paraissent de même que les princes, s'y assujettir par politique. Lors des jeûnes, ceux de l'empereur montent à plus de cinquante selon le calendrier de sa maison. La police se borne à faire fermer les boucheries, mais bien négligemment. Dans l'antiquité, tous les marchés étaient fermés dans les jeûnes publics, toutes les fêtes étaient suspendues ; on ne rendait pas même la justice.

Jeux

Quoique le jeu soit également défendu aux mandarins et au peuple, cela n'empêche pas qu'en Chine on ne se livre avec fureur à cette passion, et qu'on ne perde souvent tout son bien, sa maison, ses enfants, sa femme même, en risquant sa liberté sur une carte : car il n'est pas d'excès où, selon le père Le Comte, le désir violent de gagner et de s'enrichir ne porte un Chinois ; les Beverley ne se bornent donc pas à l'Angleterre ?

La nation chinoise, et celle des Tartares Mantchous fondue avec elle, sont peut-être, dit M. Amiot, de tous les peuples du monde, ceux qui en apparence ont le plus d'aversion pour le jeu. Ce déguisement de l'inclination est nécessaire : car un joueur, un homme capable de tous les crimes et un malfaiteur, sont ici des termes presque synonymes. On a fait en différent temps des ordonnances très sévères contré le jeu. Les empereurs de cette dynastie, par une politique semblable à celle d'un de nos rois, qui, voulant arrêter le cours du luxe en France, permit aux courtisanes seulement ce qu'il défendait aux personnes d'honneur, prohibèrent rigoureusement le jeu dans toute l'étendue de leur empire, et le permirent aux seuls porteurs de chaises, gens sans aveu, qui sont dans un mépris général ; mais cette politique n'ayant pas eu tout le succès qu'on s'en était promis, l'empereur régnant, en renouvelant ses défenses, n'a excepté personne.

Le jeu des échecs, très anciennement connu à la Chine, a été faussement attribué au sage empereur Yao. Duhalde dit qu'il n'a commencé qu'à ces temps malheureux, où l'empire fut désolé par des guerres intestines. Indépendamment des échecs, les Chinois ont un autre jeu plus grave, qui consiste dans un échiquier divisé en trois cents carreaux et deux cents pièces, les unes blanches et les autres noires. L'habileté du joueur est d'attirer au milieu de l'échiquier les pièces de son adversaire et de saisir les cases qu'elles remplissaient. La victoire reste à celui qui en gagne le plus. La planche XXV, d'un de mes recueils de peintures chinoises, donne la forme de ce dernier échiquier.

Le jeu de dés leur est très familier, et celui des cartes ne l'est pas moins. On sait que les cartes n'ont paru en France que dans les temps désastreux de l'infortuné Charles VI, qu'il fallait distraire de ses maux habituels pendant son long règne, ou pour mieux dire pendant celui des factions puissantes, qui sous son nom déchirèrent la France et l'abreuvèrent de sang. Ainsi les échecs en Chine, et les cartes en France, ont une origine funeste. Leurs cartes, beaucoup plus petites que les nôtres, sont noires et sans autre couleur. Voyez planche XXV, du même recueil déjà cité.

Au rapport de M. Pallas, tous les instants de loisir sont donnés au jeu par les négociants chinois. On les voit assis autour d'un damier ou les cartes à la main, dès que leurs affaires leur laissent quelques moments de libres. Les Chinois de distinction s'amusent aussi à jouer avec un chapelet qui pend ordinairement à leur ceinture ; mais le savant voyageur n'indique pas le procédé de ce jeu, qui n'est peut-être qu'une manière de contenance. Un Italien a toujours les mains ou les doigts en mouvement quand il parle ; un Turc est dans l'habitude de passer sa barbe entre ses doigts, etc.

Les Chinois se plaisent à faire jouter des coqs en leur présence ; c'est un divertissement commun dans l'Orient, selon Duhalde. Les combats opiniâtres de ces animaux, qu'on arme de rasoirs, et qui se battent jusqu'à la mort avec un courage et une adresse incroyable, ont quelque chose de fort agréable aux yeux de cette nation. Les Grecs et les Romains connaissaient cet amusement, et il a encore son activité dons la Grande-Bretagne.

L'adresse et la bravoure d'un animal fier comme le coq, ont stimulé la patience et la cupidité des Chinois, et les ont engagé à d'autres essais. Ils élèvent des cailles qu'ils accoutument à combattre mâles contre mâles. Bien plus encore, ils font jouter ensemble les grillons, jeu défendu comme le précédent, et tous autres, à cause des gageures qu'ils occasionnent. Dans cette lutte singulière les deux champions, pleins de colère, ont pour arène un tamis de forme circulaire que l'on pose sur une table. Les maîtres des grillons sont devant la table ; l'un d'eux, planche XXVII de mon recueil, anime son élève avec un brin de bambou : les deux athlètes en présence s'attaquent, se pressent, cherchent à se blesser ; le plus faible cède, et le vainqueur tâche d'emporter une cuisse au vaincu, qui reste demi-mort sur le champ de bataille, ou qui se retire comme il peut, s'il est moins grièvement blessé, son ennemi ayant été plus généreux ou moins sanguinaire. Ainsi finit le combat: tel grillon bien instruit par son maître, se vendra quelquefois une pistole et plus ; mais les paris, dès que les champions se montrent dans l'arène, donnent lieu souvent à de grosses pertes.

M. Darchenbole ancien capitaine au service du roi de Prusse, parle, dans son Tableau de l'Angleterre, tome II, chap. VI, d'une course de poux, substituée à celle des chevaux et des ânes, dans les hôpitaux et à l'hôtel des Invalides. La passion des Anglais pour les paris est, dit-il, si forte, que les malades même, ne pouvant entretenir ni chevaux ni ânes, ont imaginé de les remplacer avec des poux ; nonobstant la grande propreté qui règne dans ces maisons, on est cependant contraint de les y supporter. On les place sur une table, et le plus ou le moins de célérité de cette vermine, détermine la perte ou le gain des paris. Ce n'est point de l'or, mais des pots de bière, cette boisson favorite du bas peuple, que l'on met en jeu.

Il faut des jeux pour tous les âges : ceux les plus ordinaires pour la jeunesse chinoise sont comme en Europe.

1° Le volant. On s'y exerce à retenir le volant avec le pied, le coude, la tête, sans le laisser tomber: les jeunes gens s'interdisent d'y porter la main, et reçoivent le volant plus adroitement que nous avec les raquettes. Voyez ibid. pl. XXIII.

2° Le sabot. On le fait agir, tourner et dormir avec un fouet de même qu'ici. La toupie, le petit palet et la boule amusent les différents âges.

3° Le cerf-volant. Leurs formes sont infiniment plus variées et plus élégantes que les nôtres. C'est un immortel sur un nuage ; ce sont des oiseaux de proie, des animaux, des papillons : des peintures agréables qui en font briller les figures. Voyez ibid. pl. XXVIII. Le cerf-volant une fois en l'air, on fait partir sur la corde une petite boîte de papier renfermant un papillon fait aussi de papier, qui, lorsqu'à l'aide du vent, il atteint le cerf-volant, le heurte et se développe de lui-même. On connaît en Chine la grande balançoire. Voyez le deuxième recueil de peintures, n. 31 ; mais la course de bagues n'y a pas été inventée ni introduite.


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