Nicolas Prjévalski (1839-1888)

MONGOLIE ET PAYS DES TANGOUTES

Librairie Hachette, Paris, 1980, LVI+344 pages, + 42 gravures+4 cartes.  Traduit du russe par G. du Laurens et de l’anglais (Introduction et préface) par J. Belin de Launay.

Cartes et dessins extraits de l’ouvrage, et de la Revue Le Tour du Monde, Paris : volume 34, 1877/02, pp. 161-208.

 

Quelques gravures - Table des matières
Extrait : La chasse du yak sauvage

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Quelques gravures


Table des matières


Avis des éditeurs. — Préface du traducteur anglais — H. Yule : Observations préliminaires — Table des gravures — Table des cartes — Préface de l’auteur.

I. — De Kiakta à Pékin : La veille du départ. — Communications postales à travers la Mongolie. — Départ de Kiakta. — Aspect de la contrée jusqu’à Ourga. — Description de cette ville. — Gobi, son caractère physique ; oiseaux et quadrupèdes du désert. — Chaînes limitrophes du plateau de Mongolie. — Ville de Kalgan, caravanes de thé. — Grande muraille. — Connaissance avec les Chinois. — Voyage jusqu’à Pékin.

II. — Les Mongols : Aspect, vêtements et habitation des Mongols. — Leur genre de vie, caractère, langue, usages. — Religion et superstitions. — Administration et gouvernement.

III. — Frontière sud-est du plateau de Mongolie : Préparatifs de l’expédition. — Exiguïté de nos ressources pécuniaires. — Difficultés qu’offre la monnaie chinoise. — Caractère physique de la chaîne qui limite la Mongolie au nord de Pékin. — Ville de Dolon-Nor. — Collines sablonneuses de Goutchin-Gourbou. — Incendie dans les steppes. — Lac Dalal-Nor. — Travaux géodésiques. — Route de Dolon-Nor à Kalgan. — Pâturages impériaux. — Température du printemps. — Description du chameau.

IV. — Région sud-est du plateau de Mongolie (suite) : Trajet de Kalgan au fleuve Jaune. — Mission catholique de Si-Inza. — Chaînes de Chara-Khada et de Souma-Khada. — L’argali. — Territoire militaire des Ourotis et des Toumites occidentaux. — Importunité des Mongols. — Animosité et fourberie des Chinois. — Montagnes de Mouni-Oula. — Région alpestre et forestière. — Tradition locale sur l’origine de la chaîne. — Notre séjour de deux semaines. — Visite à la ville de Baoutou. — Traversée du fleuve Jaune jusque dans l’Ordoss.

V. — L’ordoss : Topographie de l’Ordoss. — Divisions administratives. — Coude septentrional du fleuve Jaune. — Sa vallée. — Sables de Kouzouptchi. — Séjour près du lac Ozaldemin-Nor. — Traditions sur Gengis-Khan. — Continuation du voyage. — L’antilope kara-soulta. — Couvent de Chara-Dsou. — Troupeaux sauvages. — Ordre de marche de la caravane. — Montagnes d’Arbous-Oula. — Ce qui nous arrive dans la ville de Din-Khou.

VI. — Ala-Chan : Aspect physique du désert de l’Ala-Chan. — Mongols du pays. — Notre voyage dans le nord de l’Ala-Chan. — Ville de Din-Iouan-In. — Le prince de l’Ala-Chan et ses fils. — Lama Baldin-Sordji. — Vente de nos marchandises. — Dalaï-Lama actuel. — Prédiction sur le pays de Chambalin. — Entrevue solennelle avec le prince. — Monts de l’Ala-Chan. — Chasse des koukou-laman. — Cause de notre retour à Kalgan.

VII. — Retour à Kalgan : Maladie de mon compagnon. — Lac salin de Djarataï-Dabassou. — Chaîne de Kara-Narin-Oula. — Caractéristique des Doungans. — Rive gauche du fleuve Jaune. — Difficultés de la route en hiver. — Perte de nos chameaux. — Halte forcée près du couvent de Chireti-Dzou. — Rentrée à Kalgan.

VIII. — Second voyage dans l’Ala-Chan : Préparatifs d’une seconde expédition. — Nouveaux cosaques. — Mars et avril dans le sud-est de la Mongolie. — L’Ala-Chan au printemps. — Résistance du prince de l’Ala-Chan à notre départ. — Caravane de Tangoutes avec laquelle nous nous dirigeons vers la province de Han-Sou. — Aspect de l’Ala-Chan méridional. — Grande muraille. — Ville de Dadjin.

IX. — Province du Han-Sou : Trajet de Dadjin au temple de Tcheïbsen. — Description de ce temple. — Nation des Daldis. — Aperçu du climat, de la flore et de la faune. — Séjour dans les montagnes. — Chaînes de Sodi-Sorouksoum et de Gadjour. — Lac Demtchouk. — Halte dangereuse près de Tcheïbsen. — Préparatifs pour le Koukou-Nor. — Voyage à Mour-Zasak. — Description du bassin supérieur de la rivière Tétoung-Gol. — Arrivée sur les bords du lac Koukou-Nor.

X. — Les Tangoutes et les Doungans : Aspect physique, langue, vêtement et habitations des Tangoutes. — Leurs occupations, leur nourriture et leur caractère. — Insurrection mahométane dans l’ouest de la Chine. — Mouvement insurrectionnel dans le Han-Sou. — Mesures adoptées par le gouvernement chinois. — Démoralisation de l’armée chinoise. — Prise de la ville de Si-Ning par les Doungans.

XI. — Koukou-Nor et Dzaïdam : Description du lac Koukou-Nor. — Légende sur son origine. — Steppes environnants. — L’âne sauvage. — Mongols du pays et Kara-Tangoutes. — Divisions administratives de la province de Koukou-Nor. — Notre entrevue avec un ambassadeur thibétain. — Médecins thibétains. — Récits sur le couvent de Goumboum. — Rivière Boukhaïn-Gol. — Chaîne méridionale du Koukou-Nor. — Marais salants de Dalaï-Dabassou. — On me prend pour un saint et un docteur. — Province de Dzaïdam. — Chameaux et chevaux sauvages. — Trajet jusqu’à la frontière du Thibet.

XII. — Thibet septentrional : Chaînes de montagnes de Bourkhan-Bouddha, de Chouga et de Baïan-Khara-Oula. — Caractère des déserts du Thibet septentrional. — Route ordinaire des caravanes. — Fabuleuse abondance des animaux sauvages : le yak sauvage, l’argali à poitrine blanche ; les antilopes orongo et ada, le loup, le renard de Tartarie. — Petit nombre des oiseaux. — Notre genre de vie pendant l’hiver. — Ouragans de poussière. — Le Mongol Tchoutoun-Dzamba, notre guide. — Rivière Mour-Oussou (fleuve Bleu). — Retour dans le Dzaïdam.

XIII. — Le printemps près du lac Koukou-Nor et dans les montagnes du Han-Sou : Précocité du printemps dans le Dzaïdam. — Aspect hivernal du Koukou-Nor. — Petit nombre des oiseaux de passage. — Rapide dégel du lac. — Voyage depuis Koukou-Nor jusqu’à Tcheïbsen. — Température d’avril. — Gypaètes ou griffons des neiges. — Vie exubérante sur les montagnes au mois de mai. — Faisan. — Ours. — Marmotte. — Résistance de la flore des montagnes aux variations climatériques.

XIV. — Retour dans l’Ala-Chan.— Route d’Ourga par le Gobi central : Traversée de l’Ala-Chan méridional. — Rencontre avec la caravane des pèlerins. — Arrivée à Din-Iouan-In. — Montagnes de l’Ala-Chan pendant la belle saison. — Inondation imprévue. — Marche sur Ourga. — Mort de notre chien Faust. — Caractère du désert de l’Ala-Chan jusqu’au massif de Khourkou. — Description de ce massif. — Les routes de Koukou-Khoto à Oulia-Soutaï. — Transformation du désert en steppe. — Arrivée à Ourga. — Fin du voyage.


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La chasse du yak sauvage


La chasse du yak sauvage est aussi attrayante que dangereuse, car l’animal blessé se précipite sur le chasseur. Le plus grand sang-froid est nécessaire ; la balle de la meilleure carabine ne brise pas toujours la boite crânienne et n’atteint pas le cerveau, dont le volume est du reste insignifiant, comparé à celui de la tête, qui est énorme. Un coup dirigé en plein corps est rarement mortel. Le chasseur peut donc viser juste et n’être pas sûr de tuer ni surtout de sortir victorieux de la lutte. Ce qui vient à son aide, c’est la stupidité, c’est l’irrésolution de l’animal qui, malgré sa férocité, a peur devant l’homme. Mais, si ce buffle était un peu plus intelligent, sa chasse présenterait autant de danger que celle du tigre. Car, je le répète, il est presque impossible de le tuer d’un seul coup ; le nombre des balles seul vient à bout de lui, et il est indispensable que le chasseur soit armé d’une carabine à plusieurs coups. Nous ne parlons ici que des vieux taureaux, car tous les autres se sauvent au premier coup de feu sans engager le combat.
 
Il arrive pourtant que les taureaux, même blessés, prennent la fuite ; il faut alors les faire poursuivre par les chiens qui les saisissent par la queue et les forcent à s’arrêter. Fou de rage, le yak se jette sur les chiens et ne s’inquiète plus du chasseur. Avec un bon cheval, il est encore plus facile et moins dangereux d’attaquer un taureau isolé et même un troupeau entier. Par malheur nos deux chevaux, que l’insuffisance de leur nourriture avait exténués, pouvaient à peine se soutenir et nous dûmes renoncer à ce plaisir.

Mais nous pûmes chasser les yaks à pied avec nos compagnons autant que nous le désirions. Armés de carabines à plusieurs coups, nous partions de grand matin et les suivions à la piste. On peut aisément distinguer à l’œil nu, à une distance de plusieurs verstes, la grosse masse noire de l’animal couché ; il est vrai qu’on peut se tromper et la confondre avec un bloc de rocher. Du reste, à partir de la rivière Chouga et surtout dans les Baïan-Khara-Oula ou sur les rives du Mour-Oussou, ces bêtes devinrent si nombreuses que, à peu de distance de notre tente, on voyait continuellement des individus isolés ou même des troupeaux paître en pleine tranquillité.
 
Il est plus aisé de s’approcher du yak à portée du fusil que de tout autre animal sauvage. Généralement on peut arriver jusqu’à trois cents pas, distance à laquelle les taureaux laissent venir le chasseur, même lorsqu’ils l’ont remarqué de loin. Comme ils sont très confiants dans leur vigueur, ils se contentent de le fixer très attentivement et de secouer leur énorme queue ou de la rejeter sur leur dos. C’est ainsi que, sauvages ou domestiques, les yaks manifestent leur colère, et ils se fâchent quand on veut interrompre leur repos.

Si le chasseur continue à s’avancer, l’animal fuit et fait halte de temps en temps pour regarder son ennemi. Quand on l’a effrayé ou blessé d’un coup de feu, il court pendant plusieurs heures de suite.

Dans les montagnes en profitant du vent, on arrive à s’approcher du yak jusqu’à cinquante pas. Quand un yak stationnait dans un endroit découvert et que je désirais arriver très près de lui, j’employais le moyen suivant. Je me mettais à genoux, tenant au-dessus de ma tête, ma carabine qui, avec sa fourchette, formait une espèce de cornes. Comme, à la chasse, j’étais toujours vêtu d’une jaquette sibérienne en peau de cerf avec le poil en dehors, mon vêtement aidait encore à tromper la mauvaise vue du gibier, qui me laissait arriver jusqu’à deux cents et même cent cinquante pas de distance.
 
Alors, je posais ma carabine sur sa fourchette, je retirais à la hâte mes cartouches que je plaçais sur ma casquette devant moi et, à genoux, j’envoyais mes balles à leur adresse. Parfois l’animal, à la première détonation, se sauvait ; alors je l'accompagnais de coups de feu jusqu’à six cents pas et plus. Si c’était un vieux taureau, le plus souvent, au lieu de fuir, il se précipitait sur moi, les cornes en ayant, la queue sur le dos. C’est alors que se révélait la stupidité du yak. Au lieu de continuer vigoureusement sa charge ou de se décider à battre en retraite, il s’arrêtait après quelques bonds en remuant sa queue ; il recevait alors une nouvelle balle, se jetait de nouveau en avant, puis s’arrêtait, et la même scène se renouvelait. Finalement l’animal tombait frappé mortellement, après avoir reçu dix balles et souvent plus ; pendant tout cet intervalle, il ne s’était pas rapproché de moi de plus de cent pas. Quelquefois, après deux ou trois coups de feu, l’animal fuyait ; une nouvelle balle l’atteignait, il revenait vers moi, un autre projectile le frappait et ainsi de suite. De tous les yaks tués ou blessés par nous, deux seulement s’approchèrent jusqu’à quarante pas et se seraient peut-être encore avancés davantage s’ils n’eussent succombé. Il est à remarquer que, plus ce buffle s’approche du chasseur en le chargeant, plus il devient timide dans son attaque.

Il m’est arrivé dans une excursion de rencontrer tout à coup trois yaks qui se reposaient tranquillement sans m’apercevoir. Je n’hésite pas et je leur tire dessus : les trois buffles font un saut, mais, ne comprenant pas ce dont il s’agit, ne se sauvent point. Un second coup de feu tue net un d’entre eux. Les deux autres restent toujours immobiles et se mettent à remuer la queue. D’un troisième coup, je casse la jambe au second, et le mets hors d’état de bouger même s’il le voulait. Je dirige ensuite mon feu sur le troisième, dont je ne vins pas à bout si facilement. Au premier coup qui l’atteint, l’animal se rue de mon côté, mais après une dizaine de pas s’arrête court, reçoit une nouvelle balle, se précipite de nouveau, puis fait halte ; il s’approche ainsi jusqu’à quarante pas et ce n’est qu’à la septième balle, qui le frappe dans la gorge, que l’énorme animal s’affaisse sur le sol. J’abats ensuite sans peine le yak à la jambe cassée. Ainsi quelques instants m’avaient suffi pour mettre à mort trois de ces formidables buffles. En m’approchant d’eux, je vis que celui qui avait le plus longtemps résisté portait les sept boutonnières des balles de la carabine Berdan logées dans sa poitrine. Il faut connaître toute la force d’une balle de carabine pour se faire une idée de la vigueur d’un animal qui résiste à de pareilles blessures faites à bonne portée. Le projectile de petit calibre, comme celui de Berdan, peut percer le corps, endommager le cœur ou les poumons, sans que pour cela l’animal succombe immédiatement ; un vieux yak court encore quelques moments. Quant à le viser à la tête, même avec un projectile de gros calibre, il ne peut en être question ; s’il ne se loge pas immédiatement dans le cerveau, c’est un coup perdu qui contourne seulement la boîte crânienne. Il me semble que le meilleur moyen, si l’on se voit chargé résolument par un buffle, c’est de lui tirer dans les jambes ; une fois blessé de cette façon, on en vient facilement à bout.

Les vaches et les jeunes mâles sont aussi très résistants, et il est d’autant plus difficile de les tuer que, comme ils font partie d’un troupeau, on ne peut pas diriger son feu avec certitude sur la même bête. Il faut encore noter que les troupeaux sont toujours beaucoup plus prudents que les individus isolés. Pendant nos quartiers d’hiver dans le Thibet, nous avons tué trente-deux yaks, sans compter les blessés qui échappèrent, et parmi eux seulement huit femelles.

Les Mongols redoutent vivement le yak et ils nous ont raconté que, lorsque les caravanes en rencontrent un dans une gorge étroite, elles attendent jusqu’à ce que l’animal prenne fantaisie de se déranger. Pourtant les indigènes du Dzaïdam s’aventurent à le chasser. Le principal attrait de cette chasse est pour eux l’énorme masse de viande qu’ils en retirent, et leur gourmandise est plus puissante que leur crainte. Les chasseurs, au nombre d’une douzaine, s’arrangent pour surprendre le buffle sans être vus et tirent dessus tous à la fois, tout en restant cachés. Outre sa viande, les Mongols prisent aussi le cœur et le sang de l’animal, qui sont employés dans la thérapeutique locale. Les peaux sont expédiées à Donkir pour y être vendues et les longs poils de la queue et des flancs sont utilisés pour en tresser des cordes.

La chair de l’adulte, et surtout celle de la génisse et du jeune mâle, a très bon goût, pourtant celle du yak domestique est préférable. Quant aux vieilles bêtes, on ne peut pas les manger.



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