Le Chou-king

Couverture du Chou-king, trad. Gaubil. Le Chou-king [Shu jing]. Ouvrage recueilli par Confucius, Traduit et enrichi de notes, par Antoine Gaubil (1689-1759). Revu et annoté par Joseph De Guignes. — Tilliard, libraire, Paris, 1770.

Ouvrage recueilli par Confucius,
Traduit et enrichi de notes, par Antoine GAUBIL (1689-1759)

Revu et corrigé sur le texte chinois, accompagné de nouvelles notes, par M. De Guignes

Tilliard, libraire, Paris, 1770, 476 pages.

  • Préface de J. De Guignes : "Cet ouvrage est le Livre sacré d'une nation sage & éclairée, qu'il est la base de son gouvernement, l'origine de sa législation, le livre dans la lecture duquel ses souverains & ses ministres doivent se former, la source la plus pure & la moins équivoque de son histoire, le livre le plus important des livres sacrés des Chinois, pour lequel ils ont autant de respect & de vénération que nous en avons pour les textes de l'Écriture Sainte, & auquel ils n'oseraient changer un seul de ses caractères, qu'ils ont tous comptés ; enfin des empereurs ont fait graver ce livre tout entier sur des monuments publics."
  • "Ce livre renferme une morale austère ; il prescrit partout la vertu, l’attachement le plus inviolable au souverain, comme à une personne sacrée mise sur le trône par le Ciel, dont il tient la place sur la Terre, un profond respect pour le culte religieux, la plus parfaite soumission aux lois, une entière obéissance aux magistrats. Il contient de plus les devoirs de ces magistrats & de tous les officiers à l’égard des peuples regardés comme les enfants du souverain, & les obligations du souverain lui-même, auquel on accorde à peine quelques délassements. Un trône, dit le Chou-king, est le siège des embarras & des difficultés."
  • "Pour donner une idée plus exacte de l’ancienne histoire de la Chine, j’ai rapporté, entre les différents chapitres de ce livre ancien, 1° l’histoire des princes même dont le Chou-king fait mention, parce qu’elle n’y est pas complète, & que tous les événements, supposés connus, n’y sont pas indiqués, 2° celle des princes qui y sont entièrement omis ; c’est pourquoi, entre les différents chapitres du Chou-king, j’ai joint un article que j’intitule Addition au Chou-king : ainsi on pourra lire ce livre seul & tel qu’il nous a été conservé, & ceux qui voudront joindre à cette lecture celle des Additions, auront une idée beaucoup plus exacte de ce qui nous reste de l’ancienne histoire chinoise."

Extraits : A. Gaubil : Histoire critique du Chou-king - Le texte : Tcheou contre Chang. La Grande règle.
Les instruments de musique au temps du Chou-king
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A. Gaubil : Histoire critique du Chou-king

L’an 484 avant J. C., Confucius rassembla en un seul corps d’ouvrage le livre appelé Chou-king. On convient que ses différentes parties étaient tirées des historiens publics des dynasties dont il est parlé dans ce livre, mais on ne peut pas dire quelle était sa forme, ni de combien de chapitres il était composé du temps de ce philosophe ; on ne sait pas même en quel état il fut après sa mort, jusqu’au temps de Chi-hoang-ti qui ordonna de brûler nommément ce Chou-king, que des lettrés de la famille de Confucius cachèrent. Lorsque l’empereur Ven-ti voulut recouvrer, s’il était possible, cet ancien livre, il fallut s’adresser à un vieillard de plus de quatre-vingt-dix ans, qui était de Tsi-nan-fou, ville capitale de la province appelée aujourd’hui Chan-tong. Ce vieillard nommé Fou-cheng, avait présidé à la littérature chinoise dans le temps de l’incendie des livres ; il savait par cœur beaucoup d’endroits du Chou-king, & les expliquait à des lettrés & à des disciples qui étaient de son pays. Comme Fou-cheng n’articulait pas bien les mots, & qu’il avait un accent différent de celui du pays où était la cour, les gens envoyés de la part de l’empereur pour avoir de lui ce qu’ils pourraient, eurent plus d’une fois besoin d’interprètes, & furent obligés d’avoir recours à ceux qui, à force d’entendre Fou-cheng, comprenaient ce qu’il disait ; on écrivit ainsi ce livre qu’on appelle Chou-king de Fou-cheng ; & parce qu’il fut écrit en caractères de ce temps-là, on l’appela Chou-king du nouveau texte.

Le manuscrit fait sur ce que Fou-cheng avait dicté, fut offert à l’empereur, qui le fit examiner par l’Académie de littérature ; on s’empressa de le publier.

Quelque temps après, sous l’empire de Vou-ti, on trouva des livres écrits en caractères antiques dans les ruines de l’ancienne maison de la famille de Confucius, un de ces livres était le Chou-king. Parmi les lettrés qu’on fit venir pour pouvoir le lire & le copier, était le célèbre Kong-gan-koue, de la famille de Confucius, & un des plus savants hommes de l’empire ; ce savant était d’ailleurs ennemi des fausses sectes, surtout de celles qui donnaient dans la magie & les sortilèges.

Kong-gan-koue se servit du manuscrit de Fou-cheng, & de quelques habiles lettrés pour déchiffrer le Chou-king que l’on venait de découvrir ; ce livre était écrit sur des tablettes de bambou, & dans beaucoup d’endroits, les caractères étaient effacés & rongés des vers. On trouva que ce vieux Chou-king était plus ample que celui de Fou-cheng, & on en mit au net cinquante-huit chapitres. Kong-gan-koue fit un petit commentaire d’un bon goût & fort clair ; il y ajouta une préface curieuse, dans laquelle il rapporte que le Chou-king de Confucius, outre les 58 chapitres dont il déchiffra les textes, en contenait encore quarante-deux autres ; il expliqua une préface en anciens caractères, qu’on prétendait avoir été composée par Confucius, & où l’on indique le nom & le sujet de chaque chapitre qui étaient au nombre de cent. Kong-gan-koue fit aussi un court commentaire, mais clair, sur cette préface ; & parce que le Chou-king de Kong-gan-koue était écrit en vieux caractères, on l’appela le Chou-king du vieux texte. Les critiques assurent que cette préface dont je viens de parler n’est nullement de Confucius, & la plus grande antiquité qu’on lui donne, est de quelque temps avant l’incendie des livres.

Quoique les lettrés chinois ne paraissent pas douter de l’existence ancienne du Chou-king en cent chapitres, cependant il est à remarquer que les livres classiques Se-chou, Tso-tchouen, Meng-tse, faits par Confucius & par des auteurs contemporains, citent souvent des textes ou traits d’histoire du Chou-king, & jamais rien des chapitres qu’on dit perdus.

Kong-gan-koue ayant remis ses manuscrits aux lettrés de l’Académie, on eut peu d’égard à son ouvrage, & dans les collèges on ne lisait que celui de Fou-cheng ; mais plusieurs lettrés, même habiles, ne laissèrent pas de se servir du Chou-king de Kong-gan-koue, & de le louer. Les choses restèrent en cet état sous les Han, & même quelque temps après ; ainsi il ne faut pas être surpris que des lettrés du premier ordre, du temps des Han & des Tsin qui leur succédèrent, n’aient point cité les chapitres du Chou-king de Kong-gan-koue, ou aient traité de peu authentiques les chapitres qui ne sont pas dans le Chou-king de Fou-cheng. Les choses s’éclaircirent ensuite, on examina à fond les mêmes livres, & dès l’an 497 de J. C., les cinquante-huit chapitres de Kong-gan-koue furent généralement reconnus pour ce qu’on avait de l’ancien Chou-king, & c’est ce Chou-king que j’ai traduit ; depuis ce temps il a été expliqué & enseigné dans tous les collèges de l’empire.

Le nom de king joint à celui de Chou, fait voir l’estime qu’on a de ce livre ; king signifie une doctrine certaine & immuable ; chou veut dire livre : en quel temps, avant les Han, a-t-on employé le mot king ? je n’en sais rien. Il paraît que le nom de Chang mis au-devant de Chou, a été donné vers le commencement des Han, ou tout au plus quelque temps avant l’incendie des livres sous Chi-hoang-ti ; avant ce temps-là on citait ce livre sous le nom de quelqu’une de ses parties ; par exemple, livre de Hia, livre de Tcheou, &c.

On n’a point de commentaire du Chou-king qui soit antérieur aux Han. Kong-ing-ta fit, par ordre de l’empereur Tai-tsong, des Tang, un recueil des commentaires de Kong-gan-koue, & des notes, des remarques & autres commentaires faits par des auteurs qui vécurent entre lui & Kong-gan-koue ; ce grand homme y ajouta son commentaire, & c’est, pour l’érudition & les recherches savantes, ce qu’on a de mieux sur le Chou-king. Durant la dynastie des Tang, on fit quelques autres remarques & des critiques utiles qu’on a insérées dans d’autres recueils. Depuis ce temps il s’est fait une grande quantité de commentaires, de gloses, de notes de toutes espèces, & on en a formé d’amples recueils. Dans notre Maison Française nous avons les diverses collections de ces commentaires sur le Chou-king, & j’ai eu grand soin de les consulter dans les endroits qui m’ont paru mériter des recherches.

Au reste, le Chou-king est le plus beau livre de l’antiquité chinoise, & d’une autorité irréfragable dans l’esprit des Chinois. Je me suis déterminé à en communiquer la traduction, parce que j’ai su qu’en Europe on avait vu quelques fragments de ce livre, & qu’on s’en était fait de fausses idées.

Du temps de l’empereur Kang-hi, on a fait une belle édition du Chou-king ; on y a ajouté un commentaire fort clair pour expliquer le sens du livre ; ce commentaire s’appelle Ge-kiang. L’empereur fit ensuite traduire en tartare-mantchou le texte du Chou-king & le commentaire Ge-kiang ; ce prince revit & examina lui-même cette traduction faite avec beaucoup de soin & de dépense ; les plus habiles Chinois & Tartares furent employés à cet ouvrage. La langue tartare a une construction & des règles fixes comme nos langues ; un Européen qui traduit le tartare ne sera pas sujet aux méprises auxquelles la construction chinoise l’expose, s’il ne prend de grandes précautions. J’ai fait la traduction le plus littéralement qu’il m’a été possible ; j’ai consulté d’habiles Chinois sur le sens de quelques textes que j’avais de la peine à expliquer ; j’ai ensuite comparé l’explication que j’avais faite du texte chinois avec le texte tartare, & dans les endroits difficiles du texte tartare, j’ai consulté le R. P. Parennin, qui entend à fond cette langue tartare.

Etendards et armes. Le Chou-king [Shu jing]. Ouvrage recueilli par Confucius, Traduit et enrichi de notes, par Antoine Gaubil (1689-1759). Revu et annoté par Joseph De Guignes. — Tilliard, libraire, Paris, 1770.
Etendards et armes au temps du Chou-king.

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Le texte :
Tcheou contre Chang. La Grande règle.

[On peut comparer la traduction d'A. Gaubil à celle de S. Couvreur.]

Mou-chi. Ordres donnés dans la plaine de Mou-ye.

Au premier jour du cycle, de grand matin, le roi arriva à Mou-ye, vaste campagne du royaume de Chang. En donnant ses ordres, il tenait de sa main gauche une hache où l’or brillait, & de sa droite il portait élevé un étendard blanc, & s’en servait pour donner les signaux.

— Que vous venez de loin, dit-il alors, hommes d’Occident l

Vous, Seigneurs héréditaires des royaumes voisins, & vous qui êtes préposés au gouvernement des affaires, vous se-tou, se-ma, se-kong, ya-lu, che-chi. Vous qui êtes à la tête de mille hommes, vous qui commandez cent hommes.

Vous qui êtes venu des pays de Yong, de Chou, de Kiang, de Meou, de Ouei, de Lou, de Peng & de Pou.

Élevez vos lances, préparez vos boucliers ; j’ai des ordres à vous donner.

Selon les anciens, continua le roi, la poule ne doit pas chanter ; si elle chante, la famille est perdue.

Aujourd’hui Cheou, roi de Chang, ne suit que les avis d’une femme ; c’est elle qui fait tout, & il ne se met nullement en peine des sacrifices ni des cérémonies ; c’est pourquoi rien ne lui réussit. Il a des oncles paternels, des frères aînés de père & de mère, au lieu de les avancer il les abandonne, pour faire venir de tous côtés des gens qui méritent l’exil & les supplices. C’est en eux cependant qu’il met sa confiance ; c’est à eux qu’il donne les emplois ; il en fait ses ministres, ses grands & ses officiers ; aussi le peuple est-il traité cruellement, aussi les désordres & les fourberies règnent-ils dans la cour de Chang.

Aujourd’hui, moi Fa, j’exécuterai respectueusement les ordres du Ciel. Dans le combat que nous allons livrer, après six ou sept pas, arrêtez-vous & remettez-vous en rang ; redoublez vos efforts.

Après quatre, cinq, six & sept attaques, arrêtez-vous, & remettez-vous en rang ; redoublez vos efforts.

Dans cette campagne de Chang, combattez vaillamment comme des tigres & des ours ; ne faites aucun mal à ceux qui viendront se soumettre & servir nos gens d’Occident : redoublez vos efforts.

Quiconque ne fera pas attention à ce que j’ai dit, & marquera de la lâcheté, sera puni.



Vou-tching. L’expédition de Vou-vang contre Cheou, & la conquête qu’il fait du royaume.

I. Le vingt-neuvième jour de la première lune, le lendemain du jour où la lune est obscurcie, le roi était parti de Tcheou pour aller attaquer & soumettre le royaume de Chang.

II. Il avait averti l’auguste Ciel, le heou-tou, les célèbres montagnes qu’il avait vues en passant, & les grandes rivières, des crimes du roi Chang, en leur adressant ainsi la parole :

— Moi, Fa, roi de Tcheou, arrière-petit-fils de celui qui avait une si grande vertu, je vais châtier le roi de Chang. Ce prince, contre toutes les lois, prive cruellement les peuples des choses que le Ciel a faites pour eux ; il protège & soutient les scélérats, ainsi que ceux qui ont mérité l’exil & les supplices. Ces scélérats vivent en sûreté sous lui, comme des poissons cachés au fond d’un profond étang, comme des bêtes féroces dans de grandes & épaisses forets. Moi, qui suis si peu de chose, ai eu le bonheur d’avoir des gens sages & vertueux ; nous nous sommes conformés avec respect aux ordres du souverain Seigneur (Chang-ti), pour dissiper de pernicieux complots. Les peuples de Hoa, de Hia, de Man & de Me, me sont attachés.

III. Ô vous, esprits, soyez-moi propices, qu’il ne m’arrive rien qui puisse vous déplaire ni vous couvrir de honte !

IV. Au cinquante-cinquième jour du cycle, l’armée, qui était passée à Mong-tsin, fut, au soixantième jour, rangée dans la plaine du royaume de Chang, & on attendit l’ordre admirable du Ciel. Au premier jour du cycle, Cheou (roi de Chang), dès le matin, avant le lever du soleil, se mit à la tête de son armée, aussi nombreuse que les arbres d’une forêt. Les deux armées se trouvèrent en présence à Mou-ye ; celle de (Cheou) ne combattit pas contre nous ; mais les soldats qui étaient au premier rang tournèrent leurs armes (contre eux-mêmes) ; on vit couler des ruisseaux de sang, sur lesquels flottaient des branches & des pièces de bois : une fois on s’arma & cette fois seule décida du sort de l’empire. On remit le gouvernement de Chang sur l’ancien pied ; on fit sortir Ki-tse de prison ; on fit à Pi-kan une sépulture, à laquelle on mit des marques pour la reconnaître. On alla saluer Chang-jong dans son village ; on distribua l’argent & les effets qui se trouvèrent dans Lou-tai, on tira les provisions de Ku-kiao ; on fit de grandes largesses dans tout l’empire, & les peuples témoignèrent beaucoup de joie de se voir soumis au roi de Tcheou.

V. À la quatrième lune, la clarté ayant paru, le roi partit du royaume de Chang & alla à Fong : il congédia les troupes, & gouverna en paix. Il renvoya les chevaux au sud de la montagne Hoa, & les bœufs à la campagne de Tao-lin, en avertissant tout le royaume qu’ils ne serviraient plus (pour les armées).

VI. Après la pleine lune, les seigneurs héréditaires des principautés, les grands & les officiers reconnurent Tcheou pour leur maître.

VII. Au quarante-quatrième jour du cycle on fît la cérémonie dans la salle des ancêtres de Tcheou ; les grands du royaume s’empressèrent à l'envi de tenir les instruments pour cette cérémonie. Après trois jours, c’est-à-dire, au quarante septième jour du cycle, on brûla du bois, on regarda en haut de tous côtés, & on annonça, en grande pompe la fin de l’expédition militaire.

VIII. Le roi dit :

— Grands du royaume, écoutez : le roi prédécesseur fonda notre royaume, Kong-lieou l’agrandit, & donna un nouveau lustre à l’ouvrage de ses prédécesseurs. Tai-vang fut le premier qui porta le titre de roi. Vang-ki fut très attentif à l’honneur de la famille royale : mon illustre père Ven-vang se rendit recommandable par de grandes actions & par des services considérables : le Ciel le chargea de ses ordres & ce prince donna partout des marques de son amour pour les peuples ; les grands royaumes le redoutèrent, & les petits eurent confiance en sa vertu. Après neuf ans il laissa son grand ouvrage, sans avoir pu y mettre la dernière main ; mais tout faible que je suis, j’ai suivi ses vues & ses projets.

IX. Par respect pour l’ordre absolu du Ciel, j’allai vers l’orient pour châtier les méchants : je mis la tranquillité partout ; c’est pourquoi tous les peuples, hommes & femmes, venaient offrir des pièces de soie noires & jaunes dans des coffres, & louaient notre royaume de Tcheou : touchés du bonheur dont le Ciel les favorisait, ils voulurent être sujets du royaume de Tcheou.

X. On établit cinq dignités ; la division des apanages fut de trois espèces ; les charges ne furent données qu’à des gens sages, les affaires furent mises entre les mains de ceux qui pouvaient les régir. On donna au peuple cinq grands documents. On eut grand soin de fournir abondamment des vivres ; on fit garder le deuil & respecter les sacrifices & les cérémonies ; la bonne foi & l’équité régnèrent : on rechercha les gens capables, on récompensa le mérite ; alors ce prince gouverna avec la même facilité qu’il aurait tourné sa main.


Hong-fan, Grande ou sublime règle.
[Ce chapitre est un monument de la science & de la doctrine des anciens Chinois. C’est tout à la fois un traité de physique, d'astrologie, de divination, de morale, de politique & de religion que Ki-tse, dont nous avons déjà parlé, fait connaître au roi Vou-vang. Les Chinois pensent, comme on le verra dans ce chapitre, que ce traité fut refusé par le Ciel à Kuen, à cause de sa désobéissance, & qu’il fut donné à son fils Yu, à cause de ses vertus. Il ressemble assez à celui d’Ocellus Lucanus ; mais il est plus ancien, puisque Confucius, né l’an 550 avant J. C., n’a fait que nous le conserver. Le prince Ki-tse, à qui on le rapporte ici, vivait, comme on le voit, sous Vou-vang. Ainsi voilà le plus ancien ouvrage de cette espèce qui nous soit connu ; il est très obscur & très difficile à entendre.]

À la treizième année le roi interrogea Ki-tse.

Il lui dit :

— Oh ! Ki-tse, le Ciel a des voies secrètes par lesquelles il rend le peuple tranquille & fixe. Il s’unit à lui pour l’aider à garder son État. Je ne connais point cette règle : quelle est-elle ?

Ki-tse répondit :

— J’ai ouï dire qu’autrefois Kuen ayant empêché l’écoulement des eaux de la grande inondation, les cinq hing furent entièrement dérangés ; que le Seigneur (Ti), qui en fut indigné, ne lui donna pas les neuf règles du Hong-fan ; que ce Kuen, abandonnant la règle fondamentale, fut mis en prison, & mourut misérablement ; mais qu’Yu, qui lui succéda, reçut du Ciel ces neuf règles, & qu’alors la règle fondamentale fut en vigueur.

La première règle du Hong-fan est ce que l’on nomme les cinq Hing ; la seconde, est l’attention dans les cinq occupations ; la troisième, est l’application aux huit règles du gouvernement ; la quatrième, est l’accord dans les cinq périodes ; la cinquième, est l’usage du but ou terme, ou milieu du maître souverain ; la sixième, est la pratique des trois vertus ; la septième, est l’intelligence dans l’examen de ce qui est douteux ; la huitième, est l’attention à toutes les apparences qui indiquent quelque chose ; la neuvième, est la recherche des cinq félicités, & la crainte des six malheurs.

1° Les cinq hing sont, 1. l’eau, 2, le feu, 3. le bois, 4. les métaux, 5. la terre. L’eau est humide & descend ; le feu brûle & monte ; le bois est courbe & se redresse ; les métaux se fondent & sont susceptibles de changements ; la terre est propre aux semences & aux moissons. Ce qui descend est humide, a le goût du sel ; ce qui brûle & s’élève, a le goût amer, ce qui se courbe & se redresse, est acide ; ce qui se fond & se transforme, est d’un goût piquant & âpre ; ce qui se sème & se recueille, est doux.

2° Les cinq occupations ou affaires sont, 1. la figure extérieure du corps, 2. la parole, 3. la vue, 4. l’ouïe, 5. la pensée. L’extérieur doit être grave & respectueux, la parole doit être honnête, la vue doit être distincte, l’ouïe doit être fine & la pensée doit être pénétrante. Si l’extérieur du corps est grave & respectueux, on est respecté ; si la parole est honnête, on garde les règles (de son état) ; si la vue est distincte, on a de l’expérience ; si l’ouïe est fine, on est en état de concevoir & d’exécuter de grands projets ; si la pensée est pénétrante, on est parfait.

3° Les huit règles du gouvernement sont, 1. les vivres, 2. les biens, 3. les sacrifices & les cérémonies, 4. les se-kong, 5. les se-tou, 6. les se-keou, 7. la manière de traiter les étrangers, 8. les armées.

4° Les cinq périodes sont, 1. l’année, 2. la lune, 3. le soleil, 4. les étoiles, les planètes & les signes, 5. la méthode de calculer.

5° Le terme du souverain (ou le milieu du souverain), est que si le souverain fait voir dans sa propre personne ce juste milieu, il se procure les cinq félicités, & il les procure ensuite aux peuples. Ceux-ci gardant le juste milieu qu’ils trouveront dans vous, vous le feront toujours conserver.

Lorsque parmi les peuples on ne voit pas de liaisons criminelles, de mauvais complots ni des mœurs corrompues, c’est parce que le prince fait garder ce juste milieu.

Lorsque parmi les peuples il y en a qui ont de la prudence, qui travaillent beaucoup, & qui sont sur leurs gardes, vous devez les favoriser. S’il y en a qui ne peuvent parvenir exactement à ce juste milieu, mais qui ne font pas de fautes, vous devez aussi les recevoir & les traiter avec bonté : voyant que vous êtes content d’eux, ils font des efforts pour être vertueux ; ne laissez pas ces efforts sans récompense. C’est ainsi que les sujets garderont ce juste milieu, qui est celui que doit chercher un roi.

Ne soyez pas dur à l’égard de ceux qui sont sans appui, ne faites paraître aucune crainte à l’égard de ceux qui sont riches & puissants.

Si vous faites en sorte que les hommes qui ont du mérite & des talents se perfectionnent dans leur conduite, votre royaume sera florissant. Si vos officiers ont de quoi vivre, ils feront le bien ; mais si vous n’encouragez pas les familles à aimer la vertu, on tombera dans de grandes fautes ; si vous récompensez des gens sans mérite, vous passerez pour un prince qui se fait servir par ceux qui sont vicieux.

Peuples, ne suivez pas une voie écartée, qui n’est pas unie : imitez la droiture & l’équité de votre roi. Dans ce que vous aimez & dans ce que vous haïssez, conformez-vous à la loi & à la conduite de votre prince ; ne vous en écartez pas ; sa loi est juste & équitable ; ne violez pas les règles, ne vous en écartez pas ; la route que le roi tient est droite ; unissez-vous & conformez-vous au juste milieu.

Ces préceptes sur l’auguste milieu sont la règle immuable & renferment de grandes instructions ; ils sont la doctrine même du Seigneur (Ti).

Si tous les peuples prennent ces paroles pour la vraie doctrine qu'ils doivent connaître, & pour la règle de conduite qu'ils doivent suivre, afin de se rapprocher de la lumière du fils du Ciel : ils diront le Ciel a pour nous l'amour d'un père & d'une mère, il est le maître du monde.

6° Les trois vertus sont, 1. la droiture, 2. l'exactitude & la sévérité dans le gouvernement, 3. l'indulgence & la douceur. Quand tout est en paix, la seule droiture suffit ; s'il y a des méchants qui abusent de leur puissance, il faut employer la sévérité ; si les peuples sont dociles, soyez doux & indulgent ; mais il faut encore de la sévérité à l'égard de ceux qui sont dissimulés & peu éclairés, & de la douceur à l'égard de ceux qui ont l'âme grande & l'esprit élevé.

Le Maître Souverain seul a droit de récompenser, de punir & d'être servi magnifiquement à table.

Si les sujets récompensent, punissent & sont servis magnifiquement, leurs familles & leurs royaumes périront. Si les officiers ne sont pas droits ni équitables, le reste du peuple donnera dans des excès.

7° Dans l'examen des cas douteux, on choisit un homme pour le pou & pour le chi ; on le met en charge ; il examine ce pou & ce chi.

C'est-à-dire, 1. la vapeur qui se forme, 2. celle qui cesse, 3. l'obscurité ou le terne (de l'écaille), 4. les fentes isolées & celles qui se croisent & se tiennent.

Les deux prognostiques sont, 1° le tching, 2° le hoei.

Ce qui fait sept, dont cinq sont pour le pou & deux pour le tchen ; on examine les fautes dans lesquelles on pourrait tomber.

Cet homme est mis en charge pour examiner par le pou & par le chi. S'il se trouve trois hommes qui usent du tchen, on s'en tient à ce que deux de ces trois diront.

Si vous avez un doute important ; examinez vous-même ; consultez les grands, les ministres & le peuple : consultez le pou & le chi.

Lorsque tout se réunit à indiquer & à faire voir la même chose, c'est ce qu'on appelle le grand accord, vous aurez la tranquillité, la force, & vos descendants seront dans la joie.

Si les grands, les ministres & le peuple disent d'une manière, & que vous soyez d'un avis contraire, mais conforme aux indices de la tortue & du chi, votre avis réussira.

si vous voyez les grands & les ministres d'accord avec la tortue & le chi, quoique vous le peuple soyez d'un avis contraire, tout réussira également.

Si le peuple, la tortue, le chi sont d'accord, quoique vous, les grands & les ministres vous vous réunissiez pour le contraire, vous réussirez dans le dedans, mais non au dehors.

Si la tortue & le chi sont contraires au sentiment des hommes, ce sera un bien que de ne rien entreprendre, il n'en résulterait que du mal.

8° Les apparences qui indiquent sont, 1. la pluie, 2. le temps serein, 3. le chaud, 4. le froid, 5. le vent, 6. les saisons. Si les cinq premiers arrivent exactement suivant la règle, les herbes & les plantes croissent en abondance.

Le trop & le trop peu font beaucoup de mal.

Voici les bonnes apparences : Quand la vertu règne, la pluie vient à propos ; quand on gouverne bien, le temps serein paraît ; une chaleur qui vient dans son temps, désigne la prudence ; quand le froid vient à propos, on juge sainement ; la perfection est désignée par les vents qui soufflent selon la saison.

Voici les mauvaises apparences : Quand les vices règnent, il pleut sans cesse ; si on se comporte légèrement & en étourdi, le temps est trop sec ; la chaleur est continuelle, li l'on est négligent & paresseux ; de même, le froid ne cesse point, si on est trop prompt, & les vents soufflent toujours si on est aveugle sur soi-même.

Le roi doit examiner attentivement ce qui se passe dans une année, les grands ce qui se passe dans un mois, & les petits officiers ce qui se passe dans un jour.

Si la constitution de l'air dans l'année, le mois & le jour est conforme au temps, les grains viennent à leur maturité, & il n'y a aucune difficulté dans le gouvernement ; on fait valoir ceux qui se distinguent par leur vertu, & chaque famille est en repos & dans la joie.

Mais s'il y a du dérangement dans la constitution de l'air, dans les jours, dans les mois & dans l'année, les grains ne mûrissent pas, le gouvernement est en désordre, les gens vertueux demeurent inconnus, & la paix n'est pas dans les familles.

Les étoiles représentent les peuples : il y a des étoiles qui aiment le vent, d'autres qui aiment la pluie. Les points solsticiaux pour l'hiver & pour l'été sont indiqués par le cours du soleil & de la lune ; le vent souffle & la pluie tombe selon le cours de la lune dans les étoiles.

9° Les cinq bonheurs font, 1. une longue vie, 2. les richesses, 3. la tranquillité, 4. l’amour de la vertu, 5. une mort heureuse après une longue vie.

Les six malheurs sont, 1. une vie courte & vicieuse, 2. la maladie, 3. l’affliction, 4. la pauvreté, 5. la cruauté, 6. la faiblesse & l'oppression.

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Les instruments de musique au temps du Chou-king.

Instruments de musique au temps du Chou-king. Le Chou-king [Shu jing]. Ouvrage recueilli par Confucius, Traduit et enrichi de notes, par Antoine Gaubil (1689-1759). Revu et annoté par Joseph De Guignes. — Tilliard, libraire, Paris, 1770.

Les Chinois ont une très grande idée de leur ancienne musique qu’ils ont perdue : ils la nomment Yo, & en font remonter l’invention aux temps les plus éloignés, c’est-à-dire, aux temps fabuleux. Ils disent qu’un de leurs rois, nommé Tcho-yong, qui précéda de beaucoup Fo-hi, ayant écouté le chant des oiseaux, fit une musique dont l’harmonie pénétrait partout, touchait l’esprit intelligent, & calmait les passions du cœur, de manière que les sens extérieurs étaient sains, les humeurs du corps dans l’équilibre, & la vie des hommes plus longue. Cette musique était appelée tsie-ven, tempérance & grâce.

Le but principal de cette ancienne musique était l’harmonie de toutes les vertus ; de manière que le concert n’était parfait que quand le corps & l’âme étaient d’accord, & les passions soumises à la raison.

Cette musique était toujours jointe à la politesse. Celle-ci, disent-ils, qui regarde le dehors, doit venir de l’intérieur, comme l’harmonie qui est dans le cœur, doit se répandre au dehors.

En général les Chinois parlent de cette ancienne musique, comme les Grecs ont parlé de celle d’Orphée & de la lyre de Mercure, dont les parties répondaient à celles de l’univers. Ils avaient des officiers chargés de l’enseigner aux musiciens employés dans les cérémonies religieuses.

M. l’abbé Arnaud, qui a eu en communication un traité de l’ancienne musique chinoise, dont il a fait imprimer un extrait dans ses Variétés littéraires, a observé que le système de cette musique est le même que celui de Pythagore & des Égyptiens.

« Le principal objet de la musique, ont dit tous les pythagoriciens, est de calmer les passions, d’éclairer l’entendement & d’inspirer l’amour de la vertu. Posséder son âme en paix, disent les Chinois, être modeste & sincère, avoir la droiture & la confiance en partage, aimer tout le monde, surtout ceux de qui l’on tient la vie, voilà les vertus que la musique doit inspirer, & qu’il faut absolument acquérir, si l’on veut mériter le nom de musicien. »

Ainsi indépendamment du système musical, les pythagoriciens & les Chinois se réunissent encore sur la haute idée qu’ils s’étaient formée de la musique.

Mais cette musique si parfaite ne tarda pas à dégénérer, & l’on voit dans le Chou-king qu’on blâme une musique qui tendait à la corruption des mœurs, une musique déshonnête. Sans doute que les chansons licencieuses que l’on chantait alors, en accompagnant les instruments, contribuaient à cette dépravation.

Aujourd’hui les Chinois ont un instrument nommé pe-pan : il est composé de plusieurs petites planches de bois dur, longues d’un pied & larges de quatre doigts plus étroites par le haut, elles sont enfilées ensemble ; ils s’en servent comme nous nous servons des castagnettes, c’est avec cet instrument qu’ils battent la mesure quand on chante.

N° 1. On dit des choses singulières de cet instrument nommé kin, dont l’invention est attribuée à Fo-hi. On rapporte que ce prince donna les règles de la musique, & qu’après avoir établi la pêche, il fit une chanson pour les pêcheurs ; comme après lui Chin-nong, inventeur du labourage, en fit une pour les laboureurs.

Fo-hi prit d’un bois appelé tong, le creusa & en fit le kin, long de 7 pieds 2 pouces. Les cordes étaient de soie & au nombre de 27 ; il voulut qu’on appelât cet instrument li.

Les Chinois ne sont pas d’accord sur les cordes de cet instrument ; les uns lui en donnent 27, d’autres 25, d’autres 20, d’autres 10, & enfin quelques-uns seulement 5. On dit que Ven-vang & Vou-vang y en ajoutèrent deux autres, ce qui fait sept. Pour la longueur, les uns lui donnent 7 pieds 2 pouces, d’autres 3 pieds 6 pouces 6 lignes. On dit que le dessus était rond comme le ciel, le dessous plat comme la terre ; que l’étang du long ou du dragon (c’était un endroit de cet instrument) avait 8 pouces pour communiquer avec les huit vents ; que l’étang du fong ou du phénix (autre endroit) avait 4 pouces pour représenter les quatre saisons. Ceux qui ne lui donnent que 5 cordes, disent qu’elles étaient le symbole des cinq planètes. Quand Fo-hi touchait cette lyre, elle rendait un son céleste. Il jouait dessus un air nommé Kia-pien, pour reconnaître les bienfaits de l’Esprit intelligent, & pour unir le Ciel à l’homme. D’autres ajoutent que cet instrument détournait les maléfices & bannissait du cœur l’impureté.

Les Chinois ne sont pas trop d’accord sur cet instrument, ni sur le suivant, sur sa forme ni sur son inventeur.

J’ai dit que ses cordes étaient de soie, on n’en a pas encore d’autres à la Chine pour tous les instruments à cordes ; mais on fait un choix dans la soie, & on prétend que celle qui vient des vers nourris avec les feuilles d’un arbre appelé u-tché, est beaucoup meilleure, & que les cordes que l’on en fait sont plus sonores. Cet arbre ressemble au mûrier, porte des fruits gros comme des avelines, sa coquille est noire, sa chair blanche & bonne à manger. On se sert encore de cet arbre pour teindre en jaune-aurore.

L’arbre dont Fo-hi se servit pour faire le kin est appelé tong : il y en a de plusieurs espèces. Le tsin-tong, ou le noir, ne porte point de fruits, ses feuilles & ses branches sont un peu noirâtres : le pe-tong ou le blanc, parce que ses feuilles sont blanches, porte au commencement du printemps des fleurs jaunes & violettes ; ses feuilles ne viennent qu’à l’équinoxe, les feuilles & les fleurs servent en médecine. C’est le bois de celui-ci qu’on emploie encore pour les instruments de musique. Il y en a d’autres dont les feuilles & l’écorce sont grisâtres, & qui portent un fruit rond gros comme une pêche, dont on tire de l’huile pour délayer les couleurs : on ne le mange point.

Il y en a qui ont les feuilles & l’écorce verdâtres, dont le fruit gros comme une noisette est bon à manger. D’autres produisent des fleurs sans fruits, d’autres des fruits sans fleurs.

Indépendamment de cet arbre on se sert encore, pour le même usage, d’un arbre nommé ye, arbre que les Chinois nomment le roi des arbres. Il sert aussi pour les planches d’impression.

N° 2. Le se. Cet instrument, que j’appelle cythare ou guitare, est encore attribué à Fo-hi. On dit que ce prince prit d’un bois appelé sang, & en fit l’instrument nommé se, qui avait 36 cordes. Cet instrument servait à rendre les hommes plus vertueux & plus justes. Les uns prétendent qu’il avait 50 cordes, mais que Hoang-ti en fit un de 25, parce que le se de Fo-hi rendait un son trop triste. D’autres disent que ce fut Niu-va, femme de Fo-hi, qui les réduisit ainsi, qu’alors tout fut dans l’ordre dans l’univers.

Cet instrument avait 8 pieds 1 pouce de long, & 1 pied 8 pouces de large.

N° 3. Le ming-kieou, ou simplement kieou, était un instrument fait en forme de triangle, ou rond, car on en trouve de ces deux façons dans les livres chinois. Il était de pierre, & rendait un son harmonieux : il en est parlé dans le chapitre Y-tsi du Chou-king. Cette pierre était suspendue, comme on le voit sur la planche. Dans le Lo-king-tou, ou Table des livres sacrés, on en voit qui ont deux rangées de ces pierres en forme de triangle sans base, & à chaque rangée il y a huit de ces pierres. On nommait celui-ci pien-king.

Il y avait encore un autre instrument fait comme le premier, mais beaucoup plus grand, c’est pourquoi on le nommait ta-king.

N° 4, 5, 6 & 7. Les Chinois avaient plusieurs espèces de flûtes : la plus simple, nommée yo, n’avait que trois trous, elle se jouait transversalement.

Le tchong était aussi une espèce de flûte ou trompette : car il est difficile de bien distinguer ces instruments. Celui-ci était de métal, il était percé de cinq trous d’un côté, & d’un de l’autre.

Ce même caractère tchong était le nom d’un ancien musicien qui avait un frère, nommé Pé, également habile dans la musique. Leurs noms Tchong-pé réunis sont pris métaphoriquement pour signifier les frères d’une personne, comme chez les Grecs Castor & Pollux étaient le symbole de la fraternité.

Le tié était une autre flûte qui se jouait de même : celle-ci avait cinq trous ; c’est celle du n° 4.

Le kuon était une double flûte ; chacune avait six trous. Quelques-uns confondent cette double flûte avec la flûte simple. On la voit au n° 5.

Le tchi était une autre flûte, faite comme les précédentes de roseau. Il y en avait de deux espèces: les grandes avaient 1 pied 4 pouces de long & 3 pouces de circonférence ; les petites avaient 1 pied 2 pouces. Les uns prétendent que ces flûtes avaient huit trous, les autres qu’elles n’en avaient que sept.

L’instrument nommé siao était composé de vingt-trois flûtes ou tuyaux, il avait 4 pieds de long. Il y en avait un plus petit nommé tchao, qui n’avait que seize tuyaux ; il avait 1 pied 2 pouces de longueur. Le son de ces instruments, dit-on, ressemblait au chant du fong-hoang, & leur figure à ses ailes. Le siao est gravé au n° 6.

Cet instrument, appelé seng, que l’on voit au n° 7, était une espèce d’orgue portatif, il avait 4 pieds de hauteur : il y en avait de deux espèces ; le grand avait dix-neuf tuyaux, le petit treize. On en attribue l’invention à Niu-va, femme de Fo-hi, & l’on dit qu’elle en jouait sur les collines & sur les eaux, & que le son en était fort tendre.

Le yu était une autre espèce d’orgue plus grand que le précédent ; il avait 4 pieds 2 pouces, & trente-six tuyaux longs de 4 pieds 2 pouces.

N° 8. Le tao-kou dont il est parlé dans le chapitre Y-tsi était un petit tambour ; on en voit la figure sur la planche. Il servait dans les cérémonies religieuses. Indépendamment de ce tambour, les Chinois en avaient de plusieurs autres espèces que l’on battait suivant les esprits ou les divinités auxquelles on faisait des cérémonies ; tels étaient :

Le fen-kou ou fuen-kou, que l’on battait dans les expéditions militaires. Ce tambour était grand & suspendu à une machine semblable à celle que l’on voit sur la planche n° 3, mais sans les ornements qui y pendent ; il avait 8 pieds de long : il en est parlé dans le chapitre Kou-ming XXII de la quatrième partie du Chou-king.

Le loui-kou, ou le tambour du tonnerre. Ce tambour avait huit faces sur lesquelles on frappait ; on s’en servait dans les cérémonies que l’on faisait aux chin ou aux esprits supérieurs.

Le lou-kou était un autre tambour à quatre faces, dont on se servait dans les cérémonies, faites aux kuei ou esprits inférieurs, & aux ancêtres.

Le ling-kou avait six faces, on s’en servait dans les cérémonies faites à la Terre : tous ces tambours étaient suspendus.

Il y avait encore plusieurs autres tambours qui étaient destinés aux usages civils, & que l’on portait, entr’autres un nommé tong-leao, qui est une espèce de tambour de basque.

N° 9 & 10. Le tcho était une espèce de vase de bois vernissé, dans lequel, avec la machine appelée tchi, qui est gravée au n° 10, on frappait dans les parois, ce qui rendait un son. On se servait de cet instrument lorsque l’on commençait la musique ; il avait 2 pieds 4 pouces de grandeur en dehors, & sa profondeur en dedans était d’un pied 8 pouces.

N° 11. Le yu était un autre instrument qui ressemblait à un tigre couché & à l’affût ; les poils de son dos étaient assez élevés, & avec une machine qui ressemblait à un bâton, on frappait sur cet animal, & cela annonçait que les musiciens devaient finir, ou plutôt on frappait cet instrument un peu avant la fin de la musique, à laquelle il contribuait vraisemblablement par le son qu’il rendait. Il y avait sur son dos vingt-sept de ces touffes de poil, qui étaient comme autant de touches sonnantes. Cet instrument était de métal, & le bâton de bois avec lequel on en jouait avait un pied de long ; il était appelé tchin.

Il y avait encore un autre instrument nommé hien ou hiuen, qui était un petit vase de terre cuite ; il avait six trous ; on s’en servait dans la musique ancienne. On en attribue l’invention à Fo-hi ; je ne l’ai point fait graver.

N° 12. La cloche qui est gravée sur la planche est appelée yong. C’est une grande cloche de métal; c’est de celle-ci dont il est fait mention dans la première partie du Chou-king.

Les Chinois en avaient encore une autre dont le bas était arrondi, & qui était appelée tchong. On suspendait dans une machine pareille à celle qui est gravée, deux files de ces cloches plus petites ; chaque file en avait huit, & cet instrument était appelé pien-tchong.

Po était une espèce de cloche dont on ignore la grandeur ; il paraît que c’était une sonnette.

Il y avait un instrument de métal dont le son s’unissait à celui du tambour ; il était rond & long, plus large par en haut que par en bas.

Il paraît qu’ils mettaient des sonnettes aux tambours : il y en avait de plusieurs espèces, les unes appelées tcho, les autres chao & d’autres to. Ils les ont faites en forme de cloches, mais ce pouvait être des grelots.

Ils avaient des cloches qu’ils appelaient mo-to, cloches de bois, parce que le battant était de bois ; celles dont il était de métal étaient nommées kin-to, ou cloches de métal. Les cloches de bois étaient petites. Le battant des cloches était nommé che, la langue, parce que c’est cette machine qui fait résonner la cloche. On se servait des cloches appelées cloches de bois, pour faire assembler le peuple & l’exciter à la vertu. Ces cloches étaient portées à la main.

Lo-chou et Ho-tou. Le Chou-king [Shu jing]. Ouvrage recueilli par Confucius, Traduit et enrichi de notes, par Antoine Gaubil (1689-1759). Revu et annoté par Joseph De Guignes. — Tilliard, libraire, Paris, 1770.
Lo-chou et Ho-tou.

La figure de droite est celle du Ho-tou, ou de la table sortie du fleuve Hoang-ho. La plupart des écrivains, & principalement Kong-gan-koue, disent que ce fut un dragon cheval qui, sous Fo-hi, sortit du fleuve portant cette table sur son dos, que d’après cela Fo-hi forma les huit koua.
La figure de gauche est celle du Lo-chou, c’est-à-dire, écriture sortie du fleuve Lo. C'est encore une ancienne figure sur l’origine de laquelle on débite beaucoup de fables. Le sentiment le plus reçu est que Yu travaillant à l’écoulement des eaux du déluge, une divine tortue nommée Hi se présenta à lui ; elle portait sur son dos des traits au nombre de neuf, ce qui donna occasion à Yu de faire ce que les Chinois appellent les neuf espèces ; on les a vues dans le chapitre du Chou-king intitulé Hong-fan ; ainsi le Ho-tou est l’origine de l’écriture, & le Lo-chou l’origine des sciences, de la morale & du gouvernement.


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