Albert Tschepe, s. j. (1844-1912)

HISTOIRE DES TROIS ROYAUMES DE HAN, WEI et TCHAO

(423-230, 423-209 et 403-222 avant J.-C.)

Variétés sinologiques n° 31,
Mission catholique, T’ou-sé-wé, Chang-hai, 1910, X+164 pages+1 tableau généalogique.

  • Préface : Nous donnons ici l’histoire de l’agonie des trois États feudataires de Han, Wei, et Tchao. Puisque l’agonie n’est pas un spectacle attrayant, ces pages historiques ne sont pas précisément intéressantes. S’il s’était agi d’écrire quelque chose d’agréable, j’aurais pu parler du canal impérial, dont l’embouchure Che-men-kin au Hoang-ho vint en possession de Han après la conquête de l’État de Tcheng ; le Han était donc pour quelque temps le vrai maître du fameux canal impérial, qui date de 2.200 ans avant N. S.
    Ou bien, j’aurais pu parler des fameux Seu-hao, quatre héros ; Mong-tch’ang kiun ; Sin-ling kiun ; P’ing-iuen kiun et Tch’oen-chen kiun qui fournissent tant de matières intéressantes.
    J’aurais pu m’étendre aussi en détail sur Mencius à la cour de Wei, sur Sou-ts’in et ses frères, lettrés si fameux de cette époque, sur Tchang-i ou Wei-yang et autres lettrés et diplomates errants, pendant cette singulière époque de l’histoire de la Chine.
  • Une telle lecture aurait été plus intéressante ; mais à vrai dire, j’aurais fait un hors-d’œuvre. Car au royaume de Ts’in j’ai déjà donné la plupart des traits essentiels ; depuis Ts’in Hiao-kong (361) l’histoire de Ts’in est aussi l’histoire de la Chine et toutes les questions importantes appartiennent au Ts’in. Ici nous n’avons que quelques épis glanés çà et là, quelques traits de la si haute sagesse lettrée, qui met la Chine au-dessus de tous les autres peuples ? Ces soi-disant "chinoiseries" peignent si bien les lettrés, elles dessinent à merveille la silhouette de cette gent unique au monde. Elles ressemblent à des anecdotes spirituelles qu’on relit toujours avec plaisir. Le lettré chinois est vraiment un monde nouveau qu’il est intéressant d’étudier.

 

Extraits : Ou-ki, un homme qui pratiquait l’humanité - Ou-ling-wang. Pour l’amour d’un concubine.
Yeou-mou-wang, le dernier roi de Tchao (235-228)
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Ou-ki, un homme qui pratiquait l’humanité


Depuis longtemps, sans doute, le lecteur se demande ce qu’est devenu le fameux Kong-tse-ou-ki dont nous annoncions la glorieuse carrière, au début de ce règne ; il est temps de le faire connaître : C’était un homme qui pratiquait l’humanité, prêchée par Mong-tse et autres « saints » de ce genre ; les lettrés, sages ou non, étaient en vénération auprès de lui ; ils n’avaient pas besoin d’autres titres, pour avoir part à ses faveurs ; jamais il ne se prévalut de ses richesses ou de ses dignités, pour faire le fier devant eux. Avec une telle réputation, il les vit affluer à lui des quatre vents du ciel ; bientôt il en eut jusqu’à trois mille à sa solde ; aussi pas un souverain n’aurait osé s’attaquer à un homme servi par tant de génies supérieurs ; excepté, bien entendu, le roi de Ts’in, un sauvage.

Un jour, Ou-ki jouait aux échecs avec le roi son frère ; un messager accourut, disant que les signaux de feu annonçaient une invasion de brigands, venus du pays de Tchao ; Ngan-li-wang effrayé voulait immédiatement réunir son conseil, pour examiner ce qu’il y avait à faire ; Ou-ki l’arrêta en disant avec calme :

— C’est une fausse alerte : c’est le roi de Tchao lui-même qui chasse dans ces parages ; nos gens ont été ainsi induits en erreur ;

et il continuait à jouer comme auparavant.

Mais Ngan-li-wang n’était pas tranquille ; bientôt un second messager venait confirmer les paroles de Ou-ki, et expliquer la méprise des gardiens de la frontière. Le roi stupéfait demanda à son frère :

— Comment avez-vous pu deviner si juste ?

— J’ai, dit-il, des espions qui surveillent tous les actes du roi de Tchao, et m’en donnent des nouvelles ; c’est par eux que je savais cette circonstance.

Ce fut toute une révélation pour le roi. Désormais il eut peur de son frère, dont le talent se montrait si supérieur au sien, et qui était si bien servi par ses lettrés ; il craignait d’être supplanté par lui, et ne l’employa plus dans l’administration du royaume ; voilà pourquoi nous n’avons plus entendu parler de ce prince depuis dix ans ; voilà aussi la raison de tant de désastres ; par jalousie, le roi retenait dans l’ombre le sauveur de son pays.


Voici une petite historiette, racontée avec complaisance par notre auteur : Heou-yng, vieillard de 70 ans, gardien de la porte septentrionale de Ta-leang, était un génie ignoré ; Ou-ki en ayant été averti, alla le visiter, et lui offrit de riches présents ; le lettré les refusa en disant :

— Jusqu’ici j’ai pratiqué la perfection ; toutes mes actions sont restées pures, pendant de si longues années ; je ne commencerai pas aujourd’hui à recevoir des cadeaux.

À quelque temps de là, Ou-ki prépara un grand festin, pour une réunion solennelle de tous ses lettrés ; chacun avait son rang marqué, d’après ses mérites ; la place d’honneur seule était vide, ce qui intriguait beaucoup les courtisans. Ou-ki, en personne, monté sur son char, dont il tenait lui-même les rênes, alla chercher Heou-yng ; tout le long de la route, on se demandait quel grand personnage il allait inviter.

Le lettré, vêtu de misérables habits et couvert d’un vieux chapeau, monta sur le char, et prit la première place, sans la moindre hésitation; puis il dit au prince :

— Je voudrais parler à un de mes amis, un boucher qui demeure sur le marché ; veuillez donc faire un petit détour, et passer par là.

Ou-ki s’empressa d’obéir.

Arrivé devant la porte, Heou-yng descendit, appela son ami, se plaça de manière à ne pas perdre de vue son cocher royal, puis se mit à jaser longuement, au milieu d’une foule de spectateurs accourus à ce singulier spectacle.

Pendant ce temps, Ou-ki pensait aux trois mille convives, qui attendaient son retour pour se mettre à table ; sa figure ne trahit pas la moindre impatience ; les curieux, au contraire, s’indignaient du sans-gêne du vieux fou. Enfin, celui-ci remonta sur le char, et l’on se rendit au palais.

Ou-ki conduisit son homme à la place d’honneur, annonçant aux convives qu’il leur amenait un génie transcendant, qui les surpassait tous de cent coudées ; naturellement, on se montra plein de respect pour ce personnage.

Quand on servit le vin, Ou-ki porta un toast flatteur à ce sage éminent; celui-ci répondit en félicitant le prince d’avoir montré tant de patience le long de la route :

— J’ai voulu, disait-il, montrer au peuple à quel degré de vertu vous êtes parvenu, afin de vous procurer l’estime et la gloire que vous méritez.

Après le repas, Heou-yng dit au prince :

— Ce boucher se nomme Tch’ou-hai ; c’est un sage ignoré, qui se cache au public sous cette humble profession ; hâtez-vous de l’attacher à votre service, vous en recevrez de grands avantages.

Sur cette recommandation, Ou-ki se rendit auprès du boucher pour l’inviter à venir à la cour ; mais celui-ci ne daigna pas même le regarder.

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Ou-ling-wang. Pour l’amour d’un concubine.


En 310, Ou-ling-wang étant allé s’amuser, dans son château de plaisance appelé Ta-ling, vit en songe une jeune fille qui jouait du luth, et qui chantait les paroles suivantes : Il est une jeune personne ravissante, et parée de brillants atours ; son visage est plus beau que la fleur Tiao ; hélas, ma pauvre Yng, quel sera ton destin ; puisque personne ne te connaît.

Quelques jours plus tard, le prince, animé par les joyeuses libations d’un festin, raconta plusieurs fois ce songe ; il semblait en être absorbé. Le seigneur Ou-koang, descendant du fameux empereur Chouen, apprenant ces détails, s’imagina aisément que la mystérieuse personne désignait sa propre fille, nommée Yng, et dont le surnom était Mong-yao ; il l’offrit à la reine, et par cette entremise, l’introduisit auprès du prince.

Elle captiva le cœur de Ou-ling-wang, à tel point qu’il en était devenu comme fou ; il oubliait son royaume ; il était tout entier à cette concubine ; il lui donna même le titre de reine (Hoei-heou).

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En 301, mourait la fameuse concubine dont nous avons parlé plus haut ; si Ou-ling-wang ne devint pas fou de chagrin, nous allons le voir commettre sottises sur sottises, par affection pour son fils, le prince Ho, né de cette femme.

En 299, Ou-ling-wang tenait cour plénière dans son palais appelé Tong-kong (ou de l’est), à la 5e lune, au jour nommé meou-chen. Dans cette assemblée solennelle de tous les grands du royaume, il déclara son fils aîné, le prince héritier Tchang, déchu de ses droits ; à sa place, il nommait le prince Ho, né de la concubine favorite ; et, pour couper court à toutes les difficultés, il abdiquait en sa faveur, et le faisait reconnaître comme roi par tous les dignitaires présents ; après quoi, on se rendit au temple des ancêtres, leur annoncer cette grande nouvelle, puis on procéda de suite à l’intronisation.

Le nouveau souverain, qui n’avait pas encore dix ans, reçut le nom de Hoei, en souvenir de sa mère, et fut appelé Hoei-wen-wang ; le sage Fei-i fut établi son précepteur et son premier ministre. Ou-ling-wang se contenta du titre de tchou-fou (père du souverain), et se chargea d’enseigner à son fils l’art du gouvernement.

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Ou-ling-wang revint à la capitale, publia une amnistie générale, ordonna des festins et des réjouissances qui ne durèrent pas moins de cinq jours ; puis, pour adoucir le chagrin de son fils aîné, le prince Tchang, il le nomma gouverneur indépendant de la province de Tai , avec le titre de seigneur de Ngan-yang [Ngan-yang-kiun] ; mais il ne réussit pas à guérir la blessure profonde, creusée dans son cœur par son injuste déchéance ; un homme comme Tchang, nature fière et quelque peu mal équilibrée, avait plus de peine à supporter patiemment une telle faute commise par son père.

Ou-ling-wang lui donna pour ministre le grand seigneur T’ien-pou-li ; choix malheureux, car ce dignitaire, aussi orgueilleux que son maître, était incapable d’apaiser son ressentiment ; c’était jeter de l’huile sur le feu.

Le seigneur Li-touei apprenant cette nomination, vint trouver le premier ministre Fei-i, et lui dit :

— Le prince Tchang, caractère altier, nature énergique, a un parti très nombreux dans le royaume; il ne se contentera pas de sa nouvelle dignité ; son ministre T’ien-pou-li, de son côté, n’est pas moins ambitieux, et fait bon marché de la vie d’un homme ; tous deux se trouvant si unis par la conformité de leurs sentiments, ne tarderont pas à former des intrigues ; n’envisageant que le profit momentané, sans prévoir les suites ultérieures, ils mettront immédiatement la main à l’œuvre, et leur révolte ne saura attendre bien longtemps avant d’éclater au grand jour. C’est sur votre Excellence que tomberont leurs premiers coups ; pourquoi ne pas prétexter une maladie, et remettre votre charge au prince Kong-tse-tcheng ? vous échapperiez ainsi aux calamités qui vous menacent.

Fei-i répondit :

— Quand le roi confia son fils, notre souverain, à mes soins et à ma loyauté, il ajouta ces paroles : « ne vous ralentissez jamais dans votre zèle pour cet enfant ; ne reculez devant aucun péril, dût votre fidélité vous coûter la vie ! » Par deux fois, je me suis prosterné jusqu’à terre, protestant que je ne tromperais pas sa confiance, et que j’exécuterais ses ordres sans faillir jamais ; je les ai écrits, pour les avoir toujours sous les yeux. Et maintenant, par la seule crainte d’une révolte, de la part de ce T’ien-pou-li, j’oublierais des serments si sacrés ! Y pensez-vous ? « Celui à qui, j’ai juré fidélité est mort ; mais j’agirai de telle sorte que s’il ressuscitait, je puisse lever hautement la tête devant lui » ; vous connaissez ce proverbe ; il me dicte la conduite à tenir ; j’apprécie votre affection, et je suis touché des craintes qu’elle vous inspire à mon égard ; mais ma résolution est prise ; je ferai mon devoir, sans me préoccuper de ma sécurité personnelle.

— C’est parfait assurément, répliqua Li-touei, et je ne puis qu’applaudir au dévouement héroïque de votre Excellence ; mais je vois déjà le malheur fondre sur vous !

Ayant ainsi parlé, il se retira en pleurant à chaudes larmes. À peu de temps de là, il rencontrait le prince Kong-tse-tcheng, et le pressait de prendre des précautions pour empêcher une révolution qu’il croyait inévitable.

De son côté, Fei-i s’adressant au seigneur Sin-ki (ou Kao-sin) lui parla ainsi :

— Le prince Tchang et son ministre sont deux hommes vraiment odieux ; dans leurs rapports avec moi, leurs paroles sont doucereuses ; mais elles ne peuvent réussir à cacher leur mauvais cœur ; ils pourront peut-être leurrer le père de notre souverain ; alors ils se serviront de son nom pour usurper le pouvoir, et, rusés comme ils sont, ils renverseront l’ordre établi par lui. Je prévois ces malheurs ; la nuit, je n’en puis dormir ; le jour, je n’en puis prendre de la nourriture ; il faut aviser aux précautions nécessaires : si quelqu’un désormais demandait une audience au jeune roi, il faut m’avertir ; afin que je voie s’il y a quelque piège, quelque danger.

Sin-ki promit d’obéir ponctuellement.

A quelque temps de là, Ou-ling-wang tenait cour plénière, afin que tous les grands du royaume vinssent renouveler leurs hommages au jeune roi ; en réalité, c’était plutôt pour accoutumer tout le monde à lui obéir, comme au souverain légitime, et définitivement établi ; c’était du même coup enlever au prince héritier Tchang tout espoir de monter sur le trône, et à son parti lui-même toute velléité de soulèvement.

À cette assemblée solennelle, Ou-ling-wang se tenait à côté du jeune souverain ; il fut touché de l’air triste et de la contenance embarrassée du prince Tchang, mêlé parmi la foule des autres dignitaires ; alors seulement il eut regret de l’avoir écarté du trône ; il songea au moyen de réparer cette faute, et se proposa de diviser le royaume en deux parties ; celle du sud resterait à Hoei-wen-wang ; celle du nord, avec Tai pour capitale, serait donnée au prince Tchang ; mais il voulut réfléchir à son aise, sur un projet si gros de conséquences, et si dangereux pour la tranquillité du peuple ; pour le moment il n’en parla à personne.

Peu de temps après cette réunion, Ou-ling-wang conduisait le jeune roi à une de ses résidences d’été, nommée Chao-k’iou, pour y prendre quelques jours de repos ; chacun d’eux habitait un palais séparé, ne pensant à aucun danger de révolte.

C’était pourtant le moment prévu et attendu avec impatience, par le prince Tchang et ses partisans, pour exécuter un coup de main : ils entourèrent secrètement les deux palais ; puis ils écrivirent un faux billet, mandant le jeune souverain auprès de son père. Le premier ministre Fei-i ayant reçu ce message, sortit pour voir ce qu’il en était ; il fut aussitôt massacré. Le seigneur Sin-ki donna l’alarme, et conduisit les gardes du roi repousser les assaillants ; le prince Kong-tse-tcheng et le seigneur Li-touei amenèrent du renfort de la capitale, et les révolutionnaires furent vaincus.

Cependant, le prince héritier Tchang, cerné par les troupes du roi, allait tomber entre leurs mains, et être massacré ; Ou-ling-wang eut pitié de lui, et lui ouvrit la porte de son palais ; Kong-tse-tcheng en fit l’assaut, captura le pauvre réfugié, et le mit à mort.

Tout semblait fini ; nullement ! Kong-tse-tcheng prévoyant l’avenir dit à Li-touei :

— Le vieux roi ne nous pardonnera jamais d’avoir attaqué son palais, et massacré son fils ; il faut nous défaire de lui ; sinon, nous et nos deux familles, nous sommes perdus !

Sur ce, on continua de cerner le palais ; on publia l’avis suivant : quiconque ne s’empressera pas d’en sortir, sera exterminé avec toute sa parenté. Bientôt le vieux roi se trouva seul ; pour ne pas mourir de faim, il capturait quelques petits oiseaux ; enfin, après trois mois de réclusion absolue, il mourut d’inanition et de chagrin.

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Yeou-mou-wang, le dernier roi de Tchao (235-228)


C’est le dernier roi de Tchao. Comment a-t-il l’honneur d’un nom posthume ou historique ? les auteurs sont embarrassés d’en donner la raison ; en tout cas, ce nom existe dans Se-ma Ts’ien. Cela supposerait qu’à l’anéantissement du royaume, le fils du souverain actuel put déposer la tablette de son père dans le temple des ancêtres, et y offrir des sacrifices ; chose peu croyable ; le terrible Che-hoang-ti ne faisait pas les choses à demi ; un État détruit et annexé devenait une simple province de son empire ; et il y établissait un homme de confiance comme gouverneur ; lui-même faisait de longs voyages, pour s’assurer que l’administration s’exerçait d’après ses ordres. Dire que le pays de Tchao étant plus éloigné, le peuple plus revêche qu’ailleurs, le suzerain dut fermer les yeux sur quelques contraventions ; c’est une explication de quelques auteurs, d’après lesquels le roi défunt aurait reçu ce nom de ses partisans ; nous la donnons pour ce qu’elle vaut.

Les deux caractères ont des significations défavorables, qui reviennent à peu près à celle-ci : prince incapable et dépravé ; c’est peu flatteur.

En 235, le nouveau roi fortifiait la ville de Pé-jen.

En 234, une armée de Ts’in envahissait le territoire de Tchao, remportait une grande victoire auprès de P’ing-yang, tuait le général Ou-tche et coupait la tête à cent mille hommes. Dans cette extrémité, Yeou-mou-wang ordonna à son généralissime Li-meou de conduire toutes les troupes qui restaient, à l’attaque de l’armée de Ts’in. Ce brave capitaine se montra digne de cette confiance ; il prit l’offensive, vainquit son adversaire Hoan-ki à I-ngan et à Fei-hia ; finalement il le força de s’enfuir hors la frontière. Après un tel fait d’armes, Li-meou fut élevé à la dignité de Ou-ngan-kiun, c’est-à-dire grand guerrier qui procure la paix à sa patrie.

En 233, Hoan-ki venait prendre sa revanche ; après avoir battu l’armée de Tchao, il enlevait les trois villes I-ngan, P’ing-yang et Ou-tcheng.

En 232, Che-hoang-ti voulant frapper un coup décisif, leva une armée formidable et l’envoya envahir le pays de Tchao par trois endroits différents, afin de contraindre les troupes ennemies à se fractionner en autant de tronçons, très éloignés les uns des autres, et ne pouvant se porter mutuellement secours. Le généralissime Li-meou ne se laissa pas prendre à ce piège ; gardant toutes ses forces réunies autour de lui, il attaqua les corps d’armée l’un après l’autre, les vainquit, et les refoula au pays de Ts’in ; seules, les deux villes de Lang-mong et de P’an-ou étaient tombées au pouvoir des envahisseurs ; encore durent-ils les abandonner. Li-meou était vraiment le sauveur de sa patrie.

En 231, un horrible tremblement de terre dévastait la province de Tai; depuis la ville de Yo-siu jusqu’à P’ing-yng, tours, maisons, murs, tout fut renversé ou disloqué ; un gouffre s’entr’ouvrit, long de cent trente pas, de l’est à l’ouest. Quel mauvais augure pour le royaume ! Tout le monde y voyait le présage de sa ruine prochaine.

En 230, pour surcroît de malheur, le pays de Tchao fut en proie à une grande famine ; c’est alors que se forma, parmi le peuple, ce dicton réprobateur des mœurs du souverain :

Le roi de Tchao tonne avec rigueur ;
Celui de Ts’in en rit d’un air moqueur ;
Après des actions si noires, la terre est stérile, pour notre grand malheur.

En 229, une armée de Ts’in, commandée par Wang-tsien, partit de la province appelée Chang-ti, envahit le nord-ouest de Tchao, et s’empara du fameux défilé de Tsing-hing, qui ouvrait le chemin vers la capitale.

Une autre armée, sous les ordres de Yang-toan-houo, envahissait le sud du royaume. Mais Li-meou était prêt ; secondé par Se-ma Chang, il attaqua les gens de Ts’in, et les vainquit à plusieurs reprises, les contraignant à rebrousser chemin ; il avait même tué le général Hoan-ki ; tout faisait espérer encore une fois le salut du pays ; c’était cependant son agonie.

Wang-tsien désespérant de vaincre Li-meou, trouva le moyen de s’en débarrasser : Le lecteur n’a pas oublié un certain seigneur, nommé Kouo-k’ai, grand favori du roi actuel, comme du précédent ; c’était vraiment le mauvais génie du royaume ; il avait déjà causé la perte du fameux général Lien-p’ouo ; il va causer encore celle du vaillant Li-meou, et celle du pays.

Ayant secrètement reçu une forte somme d’argent, de la part de Wang-tsien, ce traître accusa Li-meou et Se-ma Chang d’un complot de révolte ; et il fit si bien, que le roi en demeura convaincu ; celui-ci envoya aussitôt Tchao-ts’ong et Yen-tsiu remplacer les deux accusés, à la tête des troupes.

Li-meou, frappé comme d’un coup de foudre, essaya de temporiser, pour détromper le roi ; car il voyait le pays perdu par sa démission, exigée au plus fort de la campagne ; ce fut en vain ; il dut enfin se retirer ; mais, de rage, il se suicida. C’est ainsi qu’il faut entendre les textes, où il est dit que le roi le fit mettre à mort. Quant à Se-ma Chang, il s’était enfui.

En 228, Wang-tsien avait beau jeu avec les deux nouveaux venus ; dans une bataille décisive, il remporta la victoire et tua le généralissime Tchao-ts’ong, dont le collègue s’enfuit hors du royaume; il n’y avait plus qu’à marcher sur la capitale ; elle fut prise sans grande difficulté, et le roi emmené captif ; c’était la fin du royaume de Tchao, à la 10e lune de cette année.

Che hoang-ti se rendit à la capitale Han-tan, où il avait vécu en otage, et d’où sa mère était originaire ; il voulait assouvir sa vengeance dans le sang de ses ennemis.

Kia le prince héritier de Tchao, qui avait été écarté du trône, comme nous l’avons dit, avait réussi à s’échapper avec sa maison, composée de plusieurs centaines de personnes ; il se retira dans la province montagneuse de Tai, et s’y déclara roi ; il y fut rejoint par un grand nombre de fuyards ou d’exilés, qui formèrent un groupe d’hommes de valeur. Il réclama l’alliance du roi de Yen afin de se protéger mutuellement contre le suzerain de Ts’in ; leurs armées stationnèrent sur la défensive, dans la vallée de Chang-kou, pendant six années environ.

En 222, les deux amis, vaincus dans une grande bataille, furent emmenés captifs à la cour de Ts’in, à la 5e lune ; après quoi, Che-hoang-ti, âgé alors de trente-huit ans, célébra une grandissime solennité, pour se réjouir de l’unification de toute la Chine, sous son sceptre seul et sans pareil.

Les annales du Chan-si, vol. 8, p. 38, montrent que la descendance du prince Kia ne fut pas exterminée ; car un de ses fils, nommé Kong-fou avait été placé comme gouverneur des Tartares Si-jong ; et il en fut si aimé qu’ils ne l’appelaient pas autrement que roi de Tchao.

Un autre prince, nommé Tchao-hié, avait aussi échappé à la ruine générale du royaume : en 209, il fut rétabli sur le trône de Tchao ressuscité ; trois ans plus tard, il n’était déjà plus roi que du pays de Tai ; enfin, en 204, il disparut avec son petit État ; il n’en fut plus mention dans l’histoire de la Chine.

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