Henri Cordier (1849-1925)

Couverture. Henri CORDIER (1849-1925) : Les conquêtes de l'empereur de la Chine Mémoires concernant l'Asie orientale, Paris, tome I, 1913.

LES CONQUÊTES DE L'EMPEREUR DE LA CHINE

Mémoires concernant l'Asie orientale, Paris, tome I, 1913, pages 1-18.

  • "La suite de seize estampes gravées à Paris au dix-huitième siècle sous la direction de Cochin représentant « les Conquêtes de l'empereur de la Chine » jouit d'une grande réputation. Elle est rare et l'histoire de l'exécution des planches est peu connue : nous nous proposons de la retracer aujourd'hui. Nous rappellerons tout d'abord les faits mémorables dont elles sont destinées à conserver le souvenir."
  • "L'empereur K'ien-loung, désireux de conserver pour les générations futures les principales scènes de cette guerre, fit appel pour les retracer aux artistes européens qui se trouvaient comme missionnaires à la cour... Il fit donc exécuter seize dessins représentant les événements de la conquête du pays des Éleuthes par les frères Castiglione, Attiret, Sickelpart et Damascène."
  • "Lorsque ce travail fut terminé, K'ien-loung, décidé à faire graver ces dessins en Europe... ordonnait, par décret du 26e jour de la 5e lune, c'est-à-dire le 13 juillet 1765, qu'il serait envoyé en France seize dessins « des Victoires qu'il avait remportées dans le royaume de Chanagar et dans les pays mahométans voisins, pour être gravés par les plus célèbres artistes. »"

Extraits : Quelques rappels historiques - Quatre peintres européens - Le voyage et la réception des dessins
L'achèvement des planches - La table de Helman - La satisfaction de l'empereur
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Sur les conquêtes de l'empereur de la Chine dans les années 1750, on pourra consulter dans la Bibliothèque Chineancienne, outre cette page :
— Pour les données historiques : J.-M. Amiot, Conquête du royaume des Éleuths. — C. Imbault-Huart, Conquête du Turkestan. — M. Courant, L'Asie centrale aux XVIIe et XVIIIe siècles.
— Pour la commande des 16 gravures : J. Monval, Les conquêtes de la Chine. — P. Pelliot, Les « conquêtes de l'empereur de la Chine ».
Sur internet, la consultation du site http://www.battle-of-qurman.com.cn est extrêmement enrichissante.


Ci-dessous, la magnifique animation sur la suite des estampes, réalisée par l'agence hexagram, et disponible sur youtube, vaut la peine d'être appréciée, avant de lire la description par H. Cordier d'un travail poursuivi pendant huit années environ.

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Quelques rappels historiques

À la fin du dix-septième siècle, les Éleuthes (Kalmouks ou Mongols occidentaux) avaient assuré leur puissance dans l'Asie centrale avec leurs chefs, l'Erdeni Bahadour Kong-Taïchi, mort en 1665, et son second fils, Galdan Boushtou. Ils menaçaient de s'avancer jusqu'au Kou-kou-Nor, mais leur route était barrée par d'autres Mongols, les Kalkhas qui servaient d'État tampon entre les envahisseurs et la Chine, aussi l'empereur K'ang-hi se porta-t-il à leur secours. Galdan, mis en fuite en 1696, préparait une seconde campagne lorsqu'il mourut (1697).

« La mort de Galdan avait laissé sans grand chef effectif la nation des Éleuthes ; ses neveux, fils de son frère aîné Senghe, Tsewang Arabtan et Chereng Donduk assuraient l'avenir de la dynastie ; le pouvoir resta dans la famille du premier et il fut exercé tour à tour par ses petits-fils Baïan Adshan et Dardsha, puis par le petit-fils de Chereng Donduk, Tawatsi, qui fut le dixième souverain des Éleuthes. En 1753, un des chefs éleuthes, Amoursana, étant entré en lutte à la suite des fautes d'Adshan qui avait remplacé comme huitième souverain son père Galdan Chereng († 1745), fils de Tsewang Arabtan († 1727), un lama nommé Torgui essaya de s'emparer du pouvoir, mais fut tué. Tawatsi fit appel à l'empereur de la Chine, qui intervint en sa faveur, mais laissa la vie à son adversaire. Amoursana, craignant de voir Tawatsi servir un jour d'instrument contre lui, gêné par le contrôle des fonctionnaires chinois, leva en 1755 l'étendard de la révolte. Deux frères musulmans, descendants de Hazrat Afak, qui avaient longtemps servi d'otages aux Chinois, Burhân ed-Din (Boronitou) et K'odzichân (Houo-tsi-tchan), désignés sous les noms de Grand et de Petit Khodja, avaient été remis en liberté en 1755. Tandis que l'aîné était à Kachgar, le second se rendait à Yarkand. Burhân ed-Din embrassa le parti d'Amoursana, qui, battu par le général chinois Tchao Houei, fut obligé de fuir en Sibérie, où il mourut de la petite vérole. Burhân ed-Din se réfugia chez son frère, qui refusa de le livrer aux Chinois. C'était recommencer une nouvelle guerre. Malgré leur bravoure et une résistance opiniâtre, les Khodja défaits se réfugièrent dans le Badakhchân. Le sultan de ce pays fit l'un prisonnier et tua l'autre dans une bataille livrée à la petite armée fidèle qui les suivait. Lorsque Tchao Houei les réclama, on lui livra la tête du Petit Khodja et le cadavre du Grand Khodja. » [Henri Cordier, dans Lavisse et Rambaud, Histoire générale, VIII,]

Les conséquences de cette victoire furent considérables : K'ien-loung devenait maître non seulement des territoires occupés par les Éleuthes, mais aussi de toutes les villes musulmanes dont les rivières forment le Tarim, Aqsou, Yarkand, Kachgar. La nouvelle conquête, Sin-Kiang, fut divisée, suivant que le pays était au nord ou au sud des T'ien chan, en T'ien chan Pe lou et T'ien chan Nan lou, administrés par des tsiang kun, gouverneurs militaires, dont le premier fut désigné la vingt-septième année de K'ien-loung (1762) et qui résidait à Ili ou Kouldja dont la ville chinoise, Houeï yuan, a été bâtie en 1764.

La conquête définitive de cette région en 1759 fut suivie, en avril 1760, d'une cérémonie grandiose dans laquelle les généraux Tchao Houei et Fou Te, qui avaient pris part à cette campagne, furent l'objet d'honneurs inusités de la part de l'empereur.

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Quatre peintres européens

L'empereur n'avait d'ailleurs que l'embarras du choix : quatre peintres, dont trois, membres de la Compagnie de Jésus, résidaient à Pe-king et appartenaient au groupe d'artistes attachés à la cour impériale : c'étaient les frères Castiglione, Attiret et Sickelpart, qui eurent plus tard comme adjoint ou remplaçant le frère italien Giuseppe Panzi P'an Jo-che, arrivé en 1771 ; j'ai eu l'occasion d'en parler ailleurs. Le quatrième peintre était un augustin déchaussé, le frère Jean Damascène.

Le frère Giuseppe Castiglione, appelé Castilhoni sur les planches des Batailles de K'ien-loung, Lang Che-ning, par les Chinois, était arrivé en Chine en août 1715 ; il mourut à Pe-king en 1764. Il avait peint de nombreux portraits et exécuté la décoration de la plus belle salle du Collège des jésuites à Pe-king. « Castiglione l'avait autrefois embellie de deux grands magnifiques tableaux, qui représentent, l'un le grand Constantin sur le point de vaincre, l'autre, Constantin vainqueur triomphant. Il avait peint aussi sur les côtés, deux perspectives qui font illusion. Le plafond est très beau. » [Mémoires concernant les Chinois, VIII]

Jean-Denis Attiret était un Comtois, né à Dôle le 31 juillet 1702 ; il arriva à la mission de Chine le 5 août 1738 ; les Chinois le nommaient Pa Te-ni ; il mourut à Pe-king le 8 décembre 1768. L'empereur le tenait en grande estime et en juillet 1754 l'éleva au grade de fonctionnaire du quatrième rang, grade que refusa d'ailleurs Attiret avec beaucoup de dignité.

Il écrivait de Pe-king, le 1er novembre 1743 :

« Quant à la peinture, hors le portrait du frère de l'empereur, de sa femme, de quelques autres princes et princesses du sang, de quelques favoris et autres seigneurs, je n'ai rien peint dans le goût européen. Il m'a fallu oublier, pour ainsi dire, tout ce que j'avais appris et me faire une nouvelle manière pour me conformer au goût de la nation : de sorte que je n'ai été occupé les trois quarts du temps qu'à peindre, ou en huile sur des glaces, ou à l'eau sur la soie, des arbres, des fruits, des oiseaux, des poissons, des animaux de toute espèce ; rarement de la figure. Les portraits de l'empereur et des impératrices avaient été peints, avant mon arrivée, par un de nos frères, nommé Castiglione, peintre italien et très habile, avec qui je suis tous les jours.

Tout ce que nous peignons est ordonné par l'empereur. Nous faisons d'abord les dessins ; il les voit, les fait changer, réformer comme bon lui semble. Que la correction soit bien ou mal, il en faut passer par là sans oser rien dire. Ici l'empereur sait tout, ou du moins la flatterie le lui dit fort haut, et peut-être le croit-il : toujours agit-il comme s'il en était persuadé ! »

Ce n'était pas une sinécure que d'être peintre de la cour ainsi qu'on le pourra voir dans la lettre adressée le 17 octobre 1754 par le père Amiot au père de la Tour.

Attiret, après avoir reçu de son père, peintre médiocre, les premiers éléments, alla, sous les auspices du Marquis de Broissia, « se perfectionner dans cette terre où les arts fleurissent avec les citronniers ». À son retour de Rome, passant par Lyon, il y peignit quelques bons portraits, notamment ceux du cardinal d'Auvergne, archevêque de Vienne ; de l'archevêque de Lyon ; de M. Perrichon, prévôt des marchands. Rentré à Dôle, il continua à s'occuper de peinture. « Il avait trente ans quand une amertume salutaire qu'il sentit au milieu du monde, l'ayant averti de se donner à Dieu, il entra chez les jésuites avec l'humble habit de frère convers, sans pour cela déposer les pinceaux. Durant son noviciat, il peignit les quatre pendentifs du dôme de l'église des jésuites d'Avignon. » [Feuillet de Conches]

Les pères Parrenin et V. Châlier de la mission française de Pe-king ayant demandé un peintre, Attiret s'offrit et partit pour la Chine vers la fin de 1737. Arrivé à Pe-king, il offrit à l'empereur pour son coup d'essai un tableau représentant l'adoration des Rois ; K'ien-loung en fut si satisfait qu'il fit placer cette œuvre dans l'intérieur du Palais.

Il y avait au rez-de-chaussée du Palais une salle isolée, exposée aux intempéries de toutes les saisons qui servait d'atelier de peinture. « Là, n'ayant d'autre feu en hiver que celui d'un petit réchaud sur lequel il mettait ses godets, pour empêcher que les couleurs ne gelassent, il souffrait le froid le plus piquant. Il n'avait pas moins à souffrir en été par l'épuisement où le réduisaient les chaleurs excessives, dans un lieu que les rayons d'un soleil brûlant qui entrait par tous les côtés, rendaient comme une espèce de fournaise. Au reste les autres peintres étaient dans la même position que lui, ainsi il n'avait pas à se plaindre ! » [Amiot]

Attiret a peint plus de deux cents portraits de personnes de différents âges et de différentes nations. « Ne pouvant suffire à tout, il se contentait d'esquisser les sujets et de peindre lui-même les carnations, il distribuait le reste de l'ouvrage aux peintres chinois dont il dirigeait le pinceau. Il avouait lui-même que pour ce qui regarde la coiffure, l'habillement, le paysage, les animaux et en général le costume du pays, les Chinois dirigés le faisaient infiniment plus vite beaucoup mieux qu'il n'aurait pu le faire. Il apprenait tous les jours quelque chose de nouveau dont il faisait usage dans l'occasion, il reçut de ces peintres des instructions utiles. » [Amiot]

Ignace Sickelpart était un Tchèque, né le 8 septembre 1708 ; il arriva à la mission de Chine en avril 1745 ; son nom chinois était Ngai K'i-mong ; il mourut à Pe-king le 6 octobre 1780 ; à l'occasion de l'anniversaire de sa soixante-dixième année, l'empereur K'ien-loung, le 21 septembre 1777, le combla d'honneurs comme il l'avait fait en semblable circonstance pour le frère Castiglione ; les cérémonies qui eurent lieu à cette occasion ont été racontées dans les Mémoires concernant les Chinois, VIII, p. 283, et par Panzi dans une lettre du 22 novembre 1777, reproduite par C.-G. de Murr, Journal zur Kunstgeschichte, IX ter Theil, 1780, p. 93.

Nous sommes moins bien renseignés sur le quatrième peintre, Jean Damascène, religieux augustin, missionnaire de la Propagande. Il ne doit pas être confondu avec Jean Damascène, sacré le 20 septembre 1778, sans bulles, évêque de Pe-king, par le vicaire apostolique du Chan-si ; celui-ci joua un rôle discutable dans les dissensions entre les missionnaires qui suivirent la suppression de la Compagnie de Jésus par Clément XIV ; il mourut en novembre 1781 et fut enterré au cimetière français de Pe-king.

1.06H13.Tchao-Hoei reçoit dans son camp. H. Cordier, Les conquêtes de l'empereur de la Chine Mémoires concernant l'Asie orientale, Paris, 1913.
Tchao-Hoei reçoit dans son camp sous les murs de Yerechim, les hommages des habitants de la ville et de la province. — Reproduction extraite du site http://www.battle-of-qurman.com.cn

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Le voyage et la réception des dessins

L'empereur fit donc exécuter seize dessins représentant les événements de la conquête du pays des Éleuthes par les frères Castiglione, Attiret, Sickelpart et Damascène ; lorsque ce travail fut terminé, K'ien-loung, décidé à faire graver ces dessins en Europe, chargea le vice-roi de Canton de prendre des informations à cet égard ; les Anglais furent d'abord pressentis, mais le père Le Febvre, supérieur de la mission française des jésuites à Canton, « fit représenter au vice-roi par un mandarin de ses amis, protecteur déclaré des Français, que les arts étaient plus cultivés en France que dans aucun autre État de l'Europe, et que la gravure, surtout, y était portée au plus haut point de perfection. »

En conséquence, par décret du 26e jour de la 5e lune, c'est-à-dire le 13 juillet 1765, l'empereur K'ien-loung ordonnait qu'il serait envoyé en France seize dessins « des Victoires qu'il avait remportées dans le royaume de Chanagar et dans les pays mahométans voisins, pour être gravés par les plus célèbres artistes. »

Quatre planches, celles qui ont été numérotées 5, 7, 8 et 15, dans la suite furent remises aux préposés de la Compagnie des Indes à Canton avec « une somme de seize mille taels, soit 112.800 livres, le tael valant 7 fr. 10 ». À ces planches était jointe une lettre du frère Castiglione datée également de Pe-king, adressée au Directeur des Arts en lui recommandant d'apporter dans les gravures « la correction et la netteté la plus exacte ». Quand les quatre dessins arrivèrent à Paris, les directeurs de la Compagnie des Indes, au lieu de les remettre immédiatement à leur adresse, s'occupèrent de trouver eux-mêmes des graveurs. Le fait est ainsi raconté par Parent, premier commis du ministre Bertin, dans une lettre qu'il adressait à ce dernier de Séville, le 18 avril 1776 :

« J'étais au bureau de MM. les Syndics et Directeurs lorsqu'on examinait les magnifiques desseins venus de la Chine, et j'appris de ces messieurs qu'on s'était adressé à M. Vaselet pour procurer des artistes capables de les graver ; tandis qu'on s'occupait de la préférence qu'on pouvait accorder à tels ou tels (par manière de conversation), je m'amusai à lire la dépêche du père Castiglione, un des auteurs des dessins ; elle était en trois langues, français, latin et italien, et je vis que l'adresse était à M. le Président des Beaux-Arts, etc. Je fis apercevoir à M. de Rabec [l'un des directeurs de la Compagnie des Indes] et à plusieurs de ces messieurs que l'exécution de l'ouvrage ne les regardait point, et que l'empereur de la Chine avoit entendu d'en charger le ministre des Arts, c'est-à-dire le Directeur général des Bâtiments du Roy. Je revins sur-le-champ en avertir Monseigneur [Bertin] qui me chargea d'en prévenir M. Cochin, ce que je fis, et le même jour Monseigneur en parla à M. le Marquis de Marigni qui prit les ordres du Roy et retira les dessins. »

En fait les dessins furent remis au Marquis de Marigny, alors Directeur de l'Académie royale de peinture, par M. de Méry d'Arcy, l'un des directeurs de la Compagnie des Indes, le 31 décembre 1766. Les Mémoires secrets ne manquent pas de signaler l'arrivée des dessins : 28 novembre 1769. L'empereur de la Chine a envoyé en France par la Compagnie des Indes des dessins magnifiques de conquêtes, pour être gravés par nos meilleurs artistes. M. le Marquis de Marigny préside à l'exécution de cet ouvrage.

La mode est à la Chine. Un mémoire adressé des bureaux de Bertin représente au roi « qu'il serait à propos d'exécuter en petit les quatre dessins sur des grands vases de belle forme de la manufacture royale de Sèvres, et de les exécuter en tapisserie à la manufacture des Gobelins : cela, dit l'auteur du mémoire, donnerait à tout l'empire de la Chine une haute idée de la supériorité de nos artistes, de nos manufactures et de notre nation, et les Français ne seraient plus, comme ils le sont à la Chine, confondus avec les autres nations sous le nom d'Européens... Cela disposerait l'empereur en faveur de notre commerce, qui depuis quelques années a reçu le plus grand échec, en punition de la mauvaise conduite des Anglais dans une affaire qui s'est passée il y a quelques années, et dont nous supportons le préjudice ainsi que tous les autres Européens... En outre, la religion chrétienne et la protection que le roi accorde aux missions étrangères en serait bien plus puissante. »

Le 31 décembre 1766, Berlin écrivait à Ko et à Yang, « les Chinois de Turgot », pour leur annoncer l'arrivée des quatre dessins et l'enthousiasme qu'ils ont soulevé.

« Peut-être aurez-vous appris avant de partir de Canton que l'empereur de la Chine a envoyé en France quatre dessins magnifiques qui représentent des batailles et des victoires remportées par l'empereur sur des rebelles. Ces dessins lavés à l'encre de la Chine sont de la plus grande beauté ; on y distingue entr'autres ceux qui sont de la main du père Castiglioni et du frère Attiret. Pour suivre l'intention de l'empereur on va faire graver ces quatre dessins sur des planches de cuivre par les plus habiles maîtres et je ne doute pas que la manière dont ces gravures seront exécutées ne donne à l'empereur une haute idée de la perfection où l'art de la gravure a été porté parmi nous. On assure que ces dessins seront suivis de douze dessins pareils qui traitent les mêmes sujets. Il serait à souhaiter qu'on eût en même temps un détail historique des évenements qui sont peints dans ces tableaux. Si vous en apprenez quelque chose je vous prie de m'en envoyer les détails. Il y a apparence que les seize dessins composent la suite des victoires de Tsongte da ma-van, et de Chun tchi, chef de la dynastie Tsing actuellement régnante à la Chine depuis la révolution de 1644, peut-être aussi comme on l'a assuré que ces dessins représentent les expéditions et les combats que l'empereur régnant a donné contre les rebelles qu'il a réduits, et dont on n'a eu aucune connaissance en Europe ; vous me ferez plaisir de me marquer ce que vous en aurez appris des personnes instruites et des missionnaires avec qui vous aurez eu occasion d'en conférer. »

Charles-Nicolas Cochin, né à Paris le 22 février 1715, † au Louvre le 29 avril 1790, était alors secrétaire-historiographe de l'Académie de Peinture ; chargé par Marigny de l'inspection et de la direction générale de l'ouvrage, il fit choix pour la gravure d'artistes renommés : Le Bas, Saint-Aubin, B.-L. Prévot et Aliamet.

Plus tard on leur ajouta pour l'exécution d'autres planches : Masquelier, Née et Choffard.

Le 19 avril 1767, Marigny écrivait à Cochin pour qu'il prenne les arrangements nécessaires pour l'exécution des gravures et pour convenir du prix de chaque planche ; l'artiste proposait 10.000 livres par planche plus une augmentation de 1.000 livres pour l'artiste qui aurait la planche la plus chargée ; ce fut Prevost chargé de la planche 8 qui reçut ces 1.000 livres d'augmentation. Marigny aurait désiré que le travail fût terminé pour la fin de 1768 ; Cochin répondait que les graveurs demandaient jusqu'à la fin de l'été de 1769. En fait, ce fut en 1769, que les planches furent envoyées en Chine.

Le 22 avril 1767, les quatre graveurs s'engagent à graver les planches, « d'après et conforme aux dessins des missionnaires, ainsi qu'aux améliorations qui pourront y être faites par M. Cochin, pour la somme de 10.000 livres pour chaque planche, demandant 1.000 livres en commençant, 3.000 livres lors de l'épreuve à l'eau-forte, 3.000 livres aux premières épreuves retouchées au burin, et les 3.000 livres restantes à l'entière terminaison de l'ouvrage. »

Les premières quittances sont du 23 mai 1767.

Les quatre planches furent ainsi réparties : Le Bas (Pl. 5), dessin de Castiglione ; Saint-Aubin (Pl. 7), dessin de Jean Damascène, le moins bon de tous fut rectifié par Cochin ; Prevost (Pl. 8), dessin de Sickelpart ; Aliamet (Pl. 15), dessin d'Attiret. Cochin retoucha, non seulement les dessins, mais aussi certaines planches, notamment celles de Le Bas et de Prevost.

Rien ne fut épargné pour que ces gravures fussent dignes du grand souverain auquel elles étaient destinées. Les planches de cuivre vinrent d'Angleterre ; le tirage fut fait sur du papier fabriqué exprès par le sieur Prudhomme, marchand papetier, papier nommé Grand Louvois, ayant 3 pieds 4 pouces et demi de longueur sur 2 pieds 6 pouces et demi de hauteur. L'imprimeur était le sieur Beauvais choisi comme Prud'homme par Cochin.

Bertin, dans une lettre de Versailles, le 27 janvier 1769, annonce à Ko et à Yang l'arrivée des douze dessins en juillet 1767 et leur indique l'état d'avancement de la gravure :

« Vous apprendrés sans doute avec plaisir et je vous prie d'en faire part aux missionnaires que les quatre premiers desseins qui avaient été envoyés en 1765 sont actuellement gravés et entre les mains de M. Cochin, le premier graveur de l'Europe qui y donne la dernière touche ; ils sont du plus beau fini et du plus grand effet. Il ne fallait rien moins que la finesse du burin des plus habiles maîtres qui y ont été employés pour rendre la délicatesse de ces desseins que personne en France ne pourrait rendre avec autant de finesse et de précision. C'est le sentiment qu'en ont porté les plus habiles peintres de l'Académie et M. Cochin lui-même qui me l'a assuré.

Ces quatre desseins ont été suivis de douze autres qui sont arrivés avec les vaisseaux de Chine au mois de juillet 1767 ; ils sont tous actuellement portés sur le cuivre sous la direction des plus habiles maîtres qui sont eux-mêmes dirigés par M. Cochin. Ces seize gravures seront d'un très grand prix par le mérite des desseins, de l'exécution et des sujets qu'ils représentent, mais l'ouvrage sera d'assez longue haleine. Les quatre premières planches partiront à la fin de cette année et tous les ans on fera en sorte d'en envoyer la même quantité.

Je vous remercie de la note historique que vous me donnez des victoires de l'empereur sur les Éludes [sic, Éleuthes] et les Chuncards [sic, Dzoungares] qui sont décrites dans ces desseins. La modération et la clémence forment le caractère particulier de ce prince qui après sa victoire a comblé de bienfaits son ennemi Tamacu. Je désirerais savoir de quel côté des frontières de l'empire ce royaume des Éludes et des Chuncards est situé ; quelle est à peu près son étendue et ses confins, vous me ferez plaisir de me le marquer afin d'en enrichir nos cartes qui sont toujours bien imparfaites sur ces Pays éloignés de nous. »

Une nouvelle lettre du ministre aux mêmes, Versailles, le 17 décembre 1769 : on voit l'achèvement des quatre premières planches :

« On comptait cette année d'envoyer 4 estampes des 16 qui représentent les victoires de l'empereur mais plusieurs circonstances ont arrêté cet ouvrage, de manière qu'il a été impossible d'en avoir plus de deux entièrement finies, les deux autres seraient parties en même temps si M. Cochin jaloux qu'il ne soit rien présenté à l'empereur de la Chine qui ne soye vraiment digne de cet honneur, a mieux aimé différer l'expédition de ces deux dernières afin d'y mettre la dernière main, on verra seulement la première épreuve de la 3e avant la retouche et l'on en jugera la nécessité par l'état de perfection auquel les deux premières ont été portées ; au surplus M. Cochin envoie un mémoire qui ne laisse rien à désirer à ce sujet.

Je recevrai avec plaisir la relation exacte des victoires de l'empereur qui font le sujet des 16 dessins. Et surtout comme je vous l'ai demandé par une dépêche du 27 janvier des notes exactes des lieux bien désignés par les degrés de latitude et de longitude, et par les confins des pays connus qui limitent les terres des États conquis par l'empereur. »

On force le camp [établi] à Gädän-ola. H. Cordier.Les conquêtes de l'empereur de la Chine Mémoires concernant l'Asie orientale, Paris, 1913.
On force le camp [établi] à Gädän-ola. — Reproduction extraite du site http://www.battle-of-qurman.com.cn

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L'achèvement des planches

Bertin « suivait de près chaque année le succès de cette entreprise pour en donner des nouvelles aux particuliers chinois et aux missionnaires de la Chine avec lesquels il entretenait une correspondance par ordre du roi. Le père Benoist, de la Mission française à Pe-king, rendit compte à l'empereur de la Chine des soins que M. Bertin avait pris pour cet ouvrage. »

Les seize planches ne furent terminées qu'en 1774 ; les dernières quittances des graveurs reçues dans les bureaux de l'abbé Terray sont datées du 15 janvier 1774. Elles ont 2 pieds 9 pouces de longueur sur 1 pied 7 pouces de hauteur, ou mieux 0,88 m x 0,51 m. Au bas de chaque planche on trouve à gauche le nom du dessinateur, Attiret, etc., au milieu : C. N. Cochin Filius direxit ; à droite, le nom du graveur, L. J. Masquelier, etc., sculpsit. Aucune légende.

On trouvera au cabinet des Estampes de la Bibliothèque nationale un exemplaire magnifique de cette suite ; il est relié aux armes de France avec les Batailles de Pierre le Grand, en 4 pièces. Outre cet exemplaire, on trouvera également à la Bibliothèque nationale dans l'œuvre de Le Bas et des autres graveurs, les planches qui leur sont dues. Dans l'œuvre de Cochin, j'ai vu une eau-forte de l'estampe 13 de Choffard. Il est bon de remarquer que Moreau le Jeune a gravé les eaux-fortes des 3e et 9e planches terminées par Le Bas ; le cabinet des Estampes en possède les eaux-fortes pures, avant toutes lettres. C'est cet état qui est de la main de Moreau.

Ces planches sont peu communes, puisqu'on ne tira que cent planches en France. Brunet cite un exemplaire relié en maroquin rouge doublé de tabis, avec un volume d'explications manuscrites vendu 476 fr., Hue de Miromesnil, et des exemplaires en feuilles, 176 fr., de Cotte ; 145 fr., Tolosan.

Le graveur Augustin de Saint-Aubin possédait deux exemplaires des planches qui figurèrent à sa vente en 1808 : N°81, les seize planches terminées adjugées à 497 liv. 05 ; N° 82, les seize eaux-fortes vendues seulement 71 livres.

L'absence de légendes au bas des pages était un inconvénient. Dans une note, Bertin écrivait : « Je voudrais une façon de mettre ces estampes dans ma bibliothèque reliées ou autrement le plus agréablement que faire se pourrait et on placerait à chaque estampe une feuille qui en expliquerait le sujet. »

Plus tard, un des commis de Bertin, Chompré, ou plutôt Parent, remarquait :

« Comme on n'a pas gravé au bas des planches le sujet qu'elles représentent ce qui aurait été ridicule en langue françoise pour être envoyé à la Chine, je pense qu'on pourrait prendre deux partis, c'est-à-dire l'un ou l'autre pour les estampes de Monseigneur, ou de faire écrire par un maître écrivain le sujet tel qu'il est dans le Mémoire de la Compagnie des Indes ; il y a au bas de chaque estampe assez de blanc pour placer cette écriture, ou de faire au bas de chaque bordure un cartel dans lequel on pourrait écrire le sujet ; s'il m'est permis de dire mon avis, je préférerais le dernier pour laisser l'objet précieux de ces gravures, tel qu'il a été envoyé à la Chine, car on pourrait croire que ces estampes auraient été envoyées à la Chine avec de l'écriture française, ou que celles de Monseigneur ne sont que des copies. »

Plus tard, on suppléa à l'absence des légendes en collant au bas des grandes planches de Cochin, des titres qui ont été gravés en petits carrés par Helman pour former la table générale qui sert de frontispice à sa suite dont nous parlons plus loin. C'est ainsi qu'on a agi avec la superbe suite à toute marge du cabinet des Estampes de la Bibliothèque nationale reliée aux armes de France avec les Batailles de Pierre le Grand.

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La table de Helman

La table de Helman est gravée sur quatre rangs comprenant chacun quatre légendes de 10 centimètres x 9 centimètres environ ; voici d'ailleurs les légendes telles qu'elles ont été gravées : [c.a. : seul le sujet des estampes est mentionné sur cette page. ]

Ie estampe. L'empereur Kien-Long reçoit à Gé-Ho les hommages des Éleuths, et leur donna pour roi Amour-Sana avec le rang de tsing-ouang ou prince du premier ordre à double titre. Vers la fin de 1754.

IIe estampe. Pan-Ti envoyé par l'empereur pour installer Amour-Sana et commandant 150 mille hommes des troupes de l'empire surprend à la faveur d'un brouillard, Ta-Oua-Tsi, rival d'Amour-Sana, et fait prisonnières mille familles sans perdre un seul des siens. Année 1755.

IIIe estampe. Second combat entre Pan-Ti et Ta-Oua-Tsi sur les bords de la rivière d'Ily où Ta-Oua-Tsi qui avait attaqué l'armée impériale avant que son pont fut achevé, est battu et fait prisonnier. Année 1755.

IVe estampe. Amour-Sana établi roi des Éleuths par l'empereur, dont il était vassal, se révolte et après avoir assassiné Pan-ti, assiège la ville de Palikoun. Il est forcé de lever le siège à l'arrivée des troupes de l'empire commandées par Tsereng et Yu-Pao ; il fuit chez les Hasachs. Année 1756.

Ve estampe. Tsereng et Yu-Pao ayant eu peu d'union entre eux et leur successeur, Taltanga s'étant laissé trompé par les Hasachs, les armées impériales sont très affaiblies et presque détruites par une suite de petits échecs, mais il s'élève une guerre civile entre les Éleuths : quelques-uns de leurs chefs veulent monter par leurs propres forces au rang que la fuite d'Amour-Sana laisse vacant ; d'autres pour s'en emparer, affectent de réclamer la protection de l'empereur. Le Taidji-Tavona, un de ces derniers, bat Kaldan-Torgui, le tue et envoie sa tête à Pékin comme celle d'un rebelle, au commencement de 1757.

VIe estampe. L'empereur charge Tchao-Hoei avec le titre de grand général et sous lui Fou-Té, de soumettre les Éleuths et tous leurs alliés et vassaux, et de prendre Amour-Sana, qui encouragé par le bruit de la guerre civile et par celui de la division et de l'affaiblissement des armées impériales, étoit rentré avec ses troupes dans le pays des Éleuths pour reprendre possession de la couronne. L'empereur passe en revue l'armée qu'il confie à ses deux généraux.

VIIe estampe. Amour-Sana marchant avec sécurité à la tête des troupes qu'il avait amenées du pays des Hasacks et des Éleuths qui commençait à se rallier à lui, et se croyant au moment d'être rétabli dans son royaume, rencontre Tchao-Hoei à la tête de sa nouvelle armée envoyée par l'empereur et il est mis en fuite. Année 1757.

VIIIe estampe. Fou-Té lieutenant de Tchao-Hoei poursuit Amour-Sana et reçoit les hommages et les tributs de Ta-Ouan ou des Hasacks que les Russes nomment Kosaccia-Horda, et ceux des Pourouths, des Tourgouths et de quelques autres Tartares, formant en tout vingt hordes qui jusqu'alors n'avaient en rien dépendu de l'empereur. Amour-Sana se sauva chez les Russes, il y mourut peu après de la petite vérole ce qui mit fin à la mésintelligence que sa retraite avait fait naître entre les deux empires.

IXe estampe. Après la retraite d'Amour-Sana chez les Russes, l'empereur donna aux Éleuths quatre hans ou khans ou rois héréditaires de leur nation, et vingt-un ngan-ki ou seigneurs pris également dans leur nation, mais amovibles à sa volonté. De tous ces princes et chefs de sa nomination le seul han des Toureths lui fut fidèle. Dès l'année suivante 1758, celui des Tcholos et celui des Hountchés se révoltèrent ouvertement. « Chacktourmanhan, dit l'empereur dans son poème, devait se joindre aux deux premiers et commencer par surprendre le lieutenant général Yarachan et les troupes qu'il commandait dans son territoire, celui-ci en ayant été averti prévient Chacktourmanhan, le surprend lui-même au point du jour et livre les Chonotés à la fureur du soldat en juillet 1758. » Soit que Yarachan se soit porté à cette action sur des soupçons trop légers, ou qu'il ait déployé trop de cruauté il paroit qu'elle a déplu à l'empereur qui l'a fait mourir quelque temps après.

Xe estampe. Bataille gagnée par Tchao-Hoei, ou Fou-Té, contre le han des Tcholos et celui des Hountchés et les vingt-un ngan-ki des autres Éleuths. Année 1758.

XIe estampe. Tchao-Hoei occupe les troupes à des exercices et à des jeux militaires, avant que d'entreprendre l'expédition de la petite Buckarie, à la fin de la campagne de 1758.

XIIe estampe. Premier combat entre l'armée de l'empire commandée par Tchao-Hoei, et Fou-Té et l'armée des deux Hot-Chom, sur les frontières de la petite Buckarie. Les troupes impériales passant la rivière malgré la résistance opiniâtre de l'ennemi. Année 1759.

XIIIe estampe. Tchao-Hoei reçoit dans son camp sous les murs de Yerechim, les hommages des habitants de la ville et de la province, et nomme des officiers pour l'administration de cette partie de la Petite Buckarie. Juillet 1759.

XIVe estampe. Bataille d'Altchour gagnée par Fou-Té contre les deux Hot-Chom. Août 1759.

XVe estampe. Combat du 1er septembre 1759 dans la montagne de Poulok-Kol près les lacs de Poulong-Kol et d'Isil-Kol et de la ville de Badackhan. Fou-Té commande les troupes impériales contre les deux Hot-Chom. Le combat est vers la fin du jour. Le Grand Hot-Chom y périt, l'armée chinoise y fit un butin considérable c'est la fin de la conquête de la petite Buckarie.

XVIe estampe. L'empereur reçoit les hommages des peuples vaincus des différentes hordes des Éleuths, des Pourouths, des Faugouths, des Tourgouths et des mahométans de la petite Buckarie. Année 1760.

Bertin avait réclamé pour son compte un des cent exemplaires tirés en France par la lettre suivante adressée au Marquis de Marigny:

À Chatou, le 18 Mai 1771.
« Vous vous rappelez, Monsieur, le danger que coururent les dessins des Batailles que l'empereur de la Chine envoya en France il y a 4 ans pour les faire graver par nos plus célèbres artistes lorsque j'en donnai l'éveil afin qu'elles vous fussent remises pour être gravées sous vos ordres par les artistes à qui vous avez confié l'exécution ; elle doit être actuellement bien avancée et j'espère que vous voudrez bien, quoique l'empereur de la Chine se soit, dit-on, réservé qu'il n'en sera tiré des exemplaires que pour lui, m'en faire donner un de chacune des seize planches qui composent cette magnifique collection. Je vous serai très obligé. »
« J'ai l'honneur d'être, etc., etc. »

P. S. de la main du ministre :
« J'espère que vous voudrez ne pas m'oublier, Monsieur et vous pouvez être tranquille sur ma discrétion. »

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La satisfaction de l'empereur

La lettre suivante du père Michel Benoist, écrite de Pe-king, le 16 novembre 1773, nous fait connaître la satisfaction de l'empereur K'ien-loung à la réception des estampes :

J'ai eu aussi occasion de parler à Sa Majesté des gravures des seize estampes des victoires : voici comment S. Mté elle-même me la donnât.

Sa Majesté s'est informée de la manière dont nous venons ici : est-ce votre Roi qui vous envoye, demanda Sa Mté, ou bien est-ce vous même qui de votre propre choix venez ici.

R. Le Règne de Kang hi, lorsque ce prince eut gratifié les François de l'Église ou nous demeurons actuellement tout proche d'ici dans l'enceinte même du Palais, notre Roi dès qu'il fût informé de ce bienfait, donna ordre à nos supérieurs de notre compagnie de choisir parmi nous des mathématiciens et des différents artistes, qu'il envoya ici après les avoir fourni des instruments et autres choses qui pouvoient les mettre en état de remplir les objets pour lesquels votre ayeul nous avoit gratifié d'une Eglise. Actuellement nos supérieurs d'Europe que nous avons soin à toutes les moussons d'informer d'ici des sujets qui nous manquent et de ceux dont nous aurions besoin, tachent d'y pourvoir et de nous en envoyer.

D. Lorsque vos supérieurs vous ont choisi pour vous envoyer ici, ont-ils besoin d'en avertir votre Roi.

R. C'est par ordre de notre Roi et à ses frais que nous nous embarquons sur nos vaisseaux qui viennent à Canton.

D. Vos vaisseaux viennent donc à Canton.

R. Ils y viennent et ce sont eux qui ont apporté les Estampes et les Planches des Victoires que Votre Majesté avoit donné ordre de graver.

D. Apparamment que c'est dans votre royaume que sont les plus habiles graveurs.

R. Dans quelques autres Royaumes d'Europe il y a aussi de très habiles graveurs : mais le Tsongtou de Canton nous a fait l'honneur de préférer notre Royaume et a confié aux chefs de nos vaisseaux l'exécution de cet ouvrage.

D. N'est-ce pas vous autres qui d'ici avez indiqué votre royaume et avez écrit pour cela.

R. Nous qui sommes religieux et qui n'avons dans le monde aucune authorité, n'aurions nous garde de prendre sur nous une affaire de si grande conséquence, qui regarde Votre Majesté ; il est vray que par son ordre les Europeans d'ici ont fait des Mémoires qui ont été envoyés en même temps que les premiers desseins : mais dans ces mémoires les Europeans avertissoient seulement le graveur quel qu'il fut de la conformité totalle que V. Mté souhaitoit qu'eussent ces planches avec les desseins envoyés, de la quantité d'Estampes que Votre Majesté souhaitoit qu'on tirât et des autres circonstances que V. Mté avoit elle-même indiquées. Ces Mémoires ayant été envoyés au Tsongtou de Canton avec les ordres de Votre Mté, le Tsongtou a donné aux chefs de nos françois qui sont à Canton, la commission de faire exécuter dans leur Royaume les ordres de Votre Mté par rapport à ces gravures.

D. N'y a-t-il pas plus de 4 ou 5 ans que les dessins de ces gravures ont été envoyés.

R. Il y a a peu près ce temps-la. Dès que les premiers dessins furent arrivés, notre cour en ayant été informée, le Ministre qui a le département de ces sortes d'ouvrages, souhaitant que ces gravures fussent exécutées d'une manière digne autant qu'il se pourroit du grand Prince qui les souhaitoit, chargeât de cette exécution le chef des graveurs de notre Roy, lui recommandant de n'employer pour cet important ouvrage que ce qu'il y avoit de plus habiles graveurs. Les premières planches ayant été exécutées, le Ministre jugeant que quelque délicat que fut le burin, l'espèce de gravure qu'on avoit employée, ne seroit peut-être pas du gout d'ici, il aima mieux sacrifier ces premières Planches et les faire recommencer dans un goût qu'il désigna lui-même parce qu'il jugea que ce goût plairoit d'avantage à Votre Majesté. Cet incident a été cause que les planches n'ont pas été acceptées et envoyées aussi prompteinent que nous avions souhaité.

Vous avez scu Mr. comment il y a trois ans est parvenue entre les mains de l'empereur la traduction du mémoire raisonné dans lequel M. Cochin détaille les difficultés qu'il doit y avoir ici à imprimer des gravures aussi fines et aussi parfaites que le sont les planches des victoires malgré ces difficultés que j'avois encore repetées dans différents mémoires que j'avois fait à l'occasion d'un Atlas de l'Empire chinois et des pays adjacents en 104 cartes que j'avois dirigé et dont sa Majesté ordonna ensuite de graver les planches en cuivre. Sa Majesté a été si contente des estampes des Victoires, qu'elle a déjà reçu, que dès que les sept planches des Victoires que nos vaisseaux apportèrent l'année dernière furent arrivées à Peking elle ordonna qu'on en tirât des épreuves qui lui ont été présentées au mois de Juin avant son départ pour la Tartarie quoiqu'a la vérité ces épreuves ne puissent pas entrer en comparaison avec les estampes qui ont été tirées en France ; néanmoins au jugement de tous les Europeans, qui les ont vuës, elles ont réussi beaucoup au delà de ce qu'on s'y étoit attendu.

Les dernières planches furent terminées en 1774 ; tous les cuivres furent expédiés à Pe-king avec un tirage de cent exemplaires.

Sur la foi de Sir John Bowring, je croyais qu'un exemplaire de ces planches se trouvait dans la collection de la famille Fau de Ning po, mais M. Pelliot m'assure que cette suite représente des batailles différentes de celles qui ont été gravées sous la direction de Cochin.

La rareté des estampes de Cochin en fit entreprendre une réduction par Isidore-Stanislas Helman, graveur du duc de Chartres, et élève de Le Bas, qui parut en 1785 en quatre livraisons de quatre planches chacune ; chaque livraison coûtait 12 livres ; elles avaient 41 centimètres X 24 centimètres ; une légende occupant toute la largeur de la planche était gravée au bas. Pour former la table générale qui sert de frontispice à sa suite, Helman grava les titres par petits carrés dont nous avons déjà parlé. Cette suite d'Helman est naturellement beaucoup moins estimée que celle de Cochin ; un exemplaire relié par Busche a été vendu 25 francs avec une brochure intitulée : Précis historique de la guerre dont les principaux événements sont représentés dans les 16 estampes gravées à Paris pour l'empereur de la Chine, sur les dessins que ce prince a fait faire à Pékin. Paris, 1791, in-4.

Je laisse à M. Paul Pelliot le soin de parler dans un prochain fascicule des imitations et des tirages de la suite de Cochin faits en Chine et de publier les textes chinois qu'il a découverts relatifs aux artistes européens à Pe-king et à leurs disciples.

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