Henri Maspero (1883-1945)

L'ASTRONOMIE DANS LA CHINE ANCIENNE

Histoire des instruments et des découvertes

Un article inédit publié dans les Mélanges posthumes,
volume III Études historiques, PUF, Paris, 1950, pages 13-34.

  • "L'astronomie chinoise a l'intérêt d'être la seule des astronomies scientifiques anciennes qui soit née à une période assez récente pour que nous puissions en suivre toute l'histoire ; au lieu que les origines de la babylonienne se perdent dans la nuit des temps, et que les inscriptions du 3e millénaire nous la montrent déjà très avancée, la chinoise a commencé entre le VIe et le Ve siècle avant notre ère, prenant seulement alors la place d'une astronomie populaire, sans mesures, sans calcul, sans observations régulières. De plus, l'éloignement lui a permis de se constituer indépendamment de celle de la Chaldée, qui a influencé tôt ou tard toutes celles du monde méditerranéen, et de celle de la Grèce dont la nôtre et celle de l'Inde sont dérivées."
  • "Son développement a toujours d'autant plus étroitement dépendu de l'invention et du perfectionnement des instruments, que l'ignorance complète des mathématiques empêchait toute découverte d'origine théorique et ne provenait pas de l'observation directe : un Leverrier dans la Chine antique aurait été impossible. C'est l'histoire des instruments et des découvertes astronomiques des siècles qui précédèrent et suivirent immédiatement l'ère chrétienne que je m'efforcerai de résumer ici."

Les origines - L'Antiquité (VIe-IIIe siècle a. C.)
Les grandes inventions de l'époque des Han - La découverte de la précession des équinoxes

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On attribue ordinairement à l'astronomie chinoise une origine fort ancienne : le père Gaubil qui, au XVIIIe siècle, en a donné une bonne histoire résumée, et, après lui, Jean-Baptiste Biot, Chalmers et Legge au XIXe siècle, plus récemment encore Léopold de Saussure, parlent du XXVe siècle a. C. Cette exagération repose uniquement sur une interprétation tendancieuse d'un texte chinois d'une vingtaine de mots contenu dans le premier chapitre (Yao-tien) du Chou king et pouvant dater du VIIIe ou du VIIe siècle a. C. : comme certaines étoiles y sont mises en relation avec les saisons, on a conclu un peu vite, d'une part que le texte pouvait fournir une date exacte, grâce à la précession des équinoxes, en recalculant la distance de ces étoiles aux points équinoxiaux et solsticiaux actuels ; de l'autre, qu'il prouvait l'existence de repérages sidéraux des équinoxes et des solstices. Sans entreprendre une réfutation détaillée qui m'entraînerait trop loin, je me contenterai de rappeler (ce qu'on a trop souvent oublié) que le Yao-tien ne mentionne ni le jour, ni l'heure de l'observation, ni la position de l'astre dans le ciel, et que par suite aucun calcul n'est possible sans une série d'hypothèses préalables. Aussi les exégètes modernes ont-ils choisi à leur gré les données qu'il leur plaisait. Or le moindre changement de l'heure d'observation fait monter ou descendre la date de plusieurs siècles : L. de Saussure, qui croyait à la haute antiquité de l'astronomie chinoise, a choisi 6 heures du soir, et en a tiré la date du XXVe siècle a. C. ; un savant japonais, M. Hashimoto, qui la croyait récente et d'origine occidentale, a préféré 7 heures du soir, ce qui le conduit vers le VIIIe siècle a. C. et, en tirant un peu, lui permet de descendre sans trop de peine jusqu'au IIIe et au IIe siècle a. C. Les hypothèses par lesquelles on s'est efforcé de suppléer à l'absence de données dans le texte ne pouvaient être qu'arbitraires.

La croyance à l'antiquité de l'astronomie chinoise est une vieille erreur qu'il faut entièrement laisser de côté.

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Les origines

Les Chinois crurent longtemps que les « Trois Luminaires », à savoir le Soleil, la Lune et la Grande Ourse, commandaient les phénomènes célestes et le calendrier. Chacun d'eux avait un rôle et un seul : le Soleil présidait au jour, qu'il menait par son lever et son coucher ; la Lune présidait aux mois, qu'elle menait par ses phases ; enfin la Grande Ourse, appelée constellation du Boisseau, présidait à l'année, qu'elle menait en faisant le tour du ciel, son Manche pointant successivement aux points cardinaux dans l'ordre où, suivant la théorie chinoise, ils correspondent aux saisons, à l'est au printemps, au sud en été, à l'ouest en automne, au nord en hiver. C'est parce qu'ils rattachaient le mouvement de l'année et des saisons à la Grande Ourse (dont le Manche pointe au sud en été et au nord en hiver), et non au Soleil, qu'ils ont toujours fait correspondre l'hiver au Nord et l'été au Sud, alors que les Grecs, qui rattachaient les saisons aux mouvements du Soleil, ont mis l'hiver au Sud et l'été au Nord.

La Grande Ourse, qui dirigeait la rotation éternelle des étoiles et des saisons, était ainsi la grande régulatrice du calendrier et de la marche constante du monde ; malgré sa distance du Pôle, on admettait qu'elle pivotait sur elle-même, délimitant la région polaire, en sorte qu'on pouvait faire dire à Confucius :

« Elle ne se déplace pas (c'est-à-dire ne quitte pas la région centrale du Ciel, à l'encontre des autres constellations qui sont, suivant les temps, au Nord, au Sud, à l'Est et à l'Ouest), et toutes les autres constellations viennent lui rendre hommage. »

Les mouvements des Trois Luminaires n'étaient pas conçus comme se produisant autour de la Terre, mais autour du ciel ; et les astres (étoiles et planètes encore confondues) « coulaient », suivant une expression du Che king, sous le ciel, comme les fleuves sur la Terre.

Telles paraissent avoir été les conceptions de l'astronomie populaire chinoise vers les VIIIe-VIIe siècles a. C. Le désir de corriger le calendrier très fautif devait bientôt amener peu à peu les astronomes à inventer des instruments, et, grâce aux observations plus précises que ceux-ci permirent, à modifier leurs idées.

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L'Antiquité (VIe - IIIe siècles a. C.)

Le premier instrument, encore bien simple, dont les Chinois se servirent fut, de même qu'en Chaldée, le gnomon pei ou piao, un poteau fiché verticalement en terre. Il est mentionné dans le Houai-nan-tseu, un livre présenté à l'empereur en 139 a. C. ; avant ce temps, il est décrit dans le « Rituel des Tcheou » Tcheou-li, ouvrage de date contestée, qui doit remonter aux confins des IVe et IIIe siècles a. C. ; enfin, plus anciennement encore, un des grands astrologues du IVe siècle, Che Chen, l'avait employé pour sa mesure du diamètre de l'orbite du Soleil.

Il était certainement connu encore plus tôt. Le calendrier chinois est un calendrier luni-solaire, où la période de 12 lunaisons (355 jours) doit être mise d'accord, de temps en temps, avec l'année solaire (365 jours) par l'intercalation d'une lunaison supplémentaire ; comme en Occident, l'intercalation se fit d'abord très irrégulièrement : au VIIIe et au VIIe siècles, on trouve tantôt 5 années se suivant sans intercalations, tantôt deux intercalations sur deux années successives, tantôt même deux mois intercalaires la même année. Or M. Shinjö Shinzö a montré qu'à cette époque les intercalations trop nombreuses font remonter le début de l'année chinoise, peu à peu, par rapport à l'année julienne, tandis qu'à partir de la fin du VIIe siècle, bien que les mois intercalaires soient encore mal placés, le début de l'année reste à peu près fixe autour du solstice d'hiver. C'est donc à cette époque, entre 650 et 600, que les astronomes chinois reconnurent et repérèrent astronomiquement pour la première fois une date tropique. Pour cela, il faut qu'ils aient connu le gnomon, car c'est en mesurant son ombre que jusqu'aux Han ils déterminèrent les solstices et les équinoxes. L'ombre qu'ils mesuraient était la plus courte, celle du solstice d'été, mais, l'année commençant de leur temps vers les mois de décembre et janvier, c'est le solstice d'hiver qu'ils prirent pour base de leurs calculs.

Le choix du solstice d'été était dû à ce que, leur gnomon étant un simple poteau de bois de 8 pieds de haut dressé verticalement (Jean-Baptiste Biot, dans ses Études sur l'astronomie indienne et l'astronomie chinoise, parle d'un gnomon à trous, mais c'est une erreur de traduction de son fils, le sinologue Édouard Biot), la fin de l'ombre vraie et sa distinction d'avec la pénombre était d'autant plus difficile que cette ombre était plus large et moins nette ; même au solstice d'été, la mesure n'était pas facile.

Aussi avait-on inventé à cet effet un instrument spécial, le t'ou-kouei. C'était une tablette de jade de 16 pouces de long ; le vice-roi Touan-fang, mort en 1911, en possédait dans sa collection un spécimen en terre-cuite daté du 16 juin 164 p. C. : il avait 32 cm de long, et sa largeur était de 14 cm à une extrémité et de 18,4 cm à l'autre. Cet instrument évitait la peine de mesurer l'ombre chaque jour et de comparer les mesures : l'inscription du t'ou-kouei de 164 semble indiquer qu'on le plaçait au pied du gnomon, à midi, chaque jour à partir du 1er jour de la quinzaine solstice d'été; le jour du solstice était celui où l'extrémité de l'ombre coïncidait avec le bord de l'instrument.

Ces deux instruments, gnomon et t'ou-kouei, sont les plus anciens qu'aient inventés les Chinois ; ils doivent remonter au VIIe siècle a. C. Un troisième était en usage au IIIe siècle a. C. : c'était un tube de visée, fait d'un entrenœud de bambou d'un pouce de diamètre et de 8 pieds de long, avec lequel on visait un astre déterminé pour l'isoler de ses voisins et le mieux observer d'une part, et surtout pour contrôler l'angle de la ligne de visée de cet astre avec les points cardinaux.

Mais il n'y avait aucun appareil permettant de reconnaître l'heure et de diviser la journée. Peut-être employait-on déjà au IVe siècle, pour observer les levers et les couchers du Soleil, un instrument se rapprochant du cadran solaire qui fut en usage sous les Han ; mais il ne donnait pas l'heure.

Pour mesurer le temps, on se servait alors de la clepsydre, de l'invention de laquelle nous ne savons pas la date, mais qui est décrite dans le « Rituel des Tcheou ». Ce n'était pas, à l'origine, un instrument scientifique : elle était destinée à mesurer la longueur des veilles de la nuit pour la relève des sentinelles, et, à l'armée, le préposé aux clepsydres la suspendait chaque nuit au milieu du camp. Ses dispositions ne sont pas bien connues : étant donné la difficulté qu'aurait présentée l'adduction d'eau dans un vase ainsi suspendu chaque nuit au haut d'une perche, je suppose que la mesure du temps était obtenue (comme dans notre sablier) en vidant un vase d'une capacité déterminée préalablement rempli d'eau, plutôt qu'en le remplissant comme ce fut le cas plus tard de l'horloge hydraulique des Han. Ce n'était pas une horloge à eau marquant les heures de la nuit de façon certaine du soir au matin ; il semble que le préposé aux clepsydres avait des vases de capacités différentes, qu'il employait suivant les saisons pour suivre, au moins approximativement, les variations de longueur des veilles (il y en avait toujours cinq par nuit, été comme hiver). Quant aux astronomes, sans leur donner la connaissance de l'heure comme nous l'entendons, la clepsydre leur permettait du moins de reconnaître exactement si deux ou plusieurs intervalles de temps étaient de même longueur ou de longueurs différentes, ce qui leur était déjà très utile.


Tels étaient les instruments bien simples, et même rudimentaires, qu'avaient à leur disposition les astronomes chinois antérieurement aux Han. La médiocrité de cet outillage se faisait d'autant plus sentir qu'ils n'étaient pas, comme en Grèce, capables d'y suppléer par les mathématiques. En géométrie, les connaissances des Chinois ne dépassaient pas les propriétés du triangle rectangle (et encore, sous la forme du problème particulier du triangle de côtés 3, 4, 5), et ils n'avaient aucune notion de trigonométrie. Qu'on voie par exemple dans le Tcheou-pei, un ouvrage du début des Han traduit par Édouard Biot, l'extraordinaire procédé par lequel l'auteur s'imagine pouvoir vérifier l'étendue des 28 mansions sur l'équateur en les mesurant sur un cercle horizontal, et on se rendra compte des difficultés que tous les problèmes présentaient pour eux. Il n'en est que plus remarquable qu'ils aient réussi, avec d'aussi faibles moyens, à créer entre le VIe et le IIIe siècle a. C. les premiers éléments d'une astronomie scientifique.


Le gnomon et le t'ou-kouei avaient permis de déterminer exactement la date du solstice d'été ; la détermination du solstice d'hiver et des équinoxes suivit, mais avec de légères erreurs. Les astronomes chinois voulurent établir ces dates par le calcul, sans faire de nouvelles mesures d'ombre, et comme ils croyaient les quatre saisons égales entre elles, ayant chacune 91 jours ½, leurs dates furent toutes fausses : en particulier celle du solstice d'hiver, sur laquelle étaient fondés leurs calculs astronomiques, était en avance de deux jours, erreur qui n'était pas encore corrigée lors de la fixation du solstice d'hiver de 105 a. C. pour l'établissement du calendrier officiel des Han. Puis, partant de ces dates, ils cherchèrent à en reconnaître le retour par le retour de certaines étoiles : par exemple, l'étoile qui passe au méridien au moment du solstice d'été sera celle qui correspond au solstice d'hiver. C'était un simple repère (puisqu'on ne connaissait pas encore la marche apparente du Soleil) non pour l'époque du solstice d'hiver, puisqu'à ce moment l'étoile serait invisible, mais pour tout le reste de l'année.

Tout cela dut se faire assez rapidement. Biot a montré que la position du solstice d'hiver au début de la constellation K'ien-nieou (du Capricorne), admise jusqu'à la fin des Han, avait cessé d'être vraie en 410 a. C., époque où le Soleil avait pénétré dans la constellation Nan-teou. Mais il a fait son calcul pour le solstice vrai : en tenant compte de l'avance de deux jours due à l'erreur chinoise sur la longueur des saisons, il faut remonter environ un siècle et demi plus tôt. C'est donc entre 600 et 550 a. C. que le faux solstice d'hiver se trouvait au 1° de K'ien-nieou, ou, plus exactement, que les astronomes chinois mirent quelque peu arbitrairement le 1° de la mansion K'ien-nieou au point où se trouvait alors le solstice d'hiver, bien que ce point fût au milieu de la constellation de ce nom et qu'une des étoiles de celle-ci se trouvât par là rejetée dans la mansion voisine, Nan-teou. En partant de ce point fixe ainsi déterminé dans le ciel, ils observèrent ou calculèrent le mouvement journalier de la Grande Ourse, qui pour eux régissait l'année : ce fut ce qu'on appela les degrés ; le tour du ciel fut divisé en 365° ¼ (division tout empirique qui n'a rien à faire avec la division théorique du cercle en 360° chez les Chaldéens), et c'est parce qu'ils mesurèrent le mouvement de la Grande Ourse que les degrés furent comptés autour du Pôle sur l'équateur céleste, et non sur l'écliptique comme ils l'auraient été si le mouvement apparent du Soleil avait été connu dès cette époque.

Il n'était pas nécessaire d'avoir reconnu la marche apparente du Soleil parmi les étoiles pour observer que certaines étoiles pouvaient servir de repère sidéral des solstices et des équinoxes ; mais ces observations devaient conduire rapidement à reconnaître cette marche et à s'apercevoir que c'était le Soleil et non la Grande Ourse qui régissait l'année. Cette constatation, la découverte des planètes et la détermination approximative de leurs révolutions, enfin la construction d'un système du monde, tout cela fut l'œuvre des astrologues des siècles suivants.

On les voit passer de l'évaluation de l'année à 366 jours, qui est celle du Chou king et, plus tard encore, celle des premières observations de la planète Vénus, à l'évaluation à 365 jours ¼ qui est celle des calendriers scientifiques créés grâce à la découverte de la période métonienne de 7 intercalations en 15 ans, au début du IVe siècle a. C., et entrés dans l'usage officiel au siècle suivant. Ils reconnurent assez bien la longue révolution synodique des planètes extérieures, Mars, Jupiter, Saturne, évaluant ces deux dernières respectivement à 12 ans et 28 ans juste, avec une erreur relativement faible. Les planètes intérieures, plus difficiles à observer, leur furent au contraire moins bien connues : Che Chen attribuait à Vénus une révolution de 732 jours, soit exactement 2 années complètes (366 x 2), avec des déplacements absolument symétriques, visibles et invisibles, à l'est et à l'ouest du Soleil ; Kan Tö corrigea ce système et, abandonnant ces déplacements symétriques, compta approximativement 3 révolutions en 5 ans ; au IIe siècle a. C. Houai-nan-tseu, et à la fin de ce siècle Sseu-ma Ts'ien, donnaient à ces révolutions 615 et 616 jours.

En même temps, ils dressèrent des catalogues de constellations et d'étoiles. Enfin ils essayèrent de mesurer la distance de la Terre au Soleil et au ciel, en s'appuyant sur les propriétés du triangle rectangle, et arrivèrent ainsi à se faire une représentation scientifique du monde.


Tout cela (sauf peut-être la période de 19 ans dont la connaissance peut avoir été apportée d'Occident) fut découvert peu à peu sur place. Si les Chaldéens, ces maîtres astronomes du monde occidental, contribuèrent au progrès de l'astronomie chinoise, ce ne put être que très légèrement ; ils étaient, en effet, bien en avance et, pour n'en prendre qu'un exemple, ils connaissaient les mouvements de Vénus avec exactitude depuis des siècles, quand les Chinois cherchaient encore vainement à les reconnaître.

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Les grandes inventions de l'époque des Han

Illustrations extraites d'un article postérieur d'H. Maspero

Horloge hydraulique. Henri MASPERO (1883-1945) : L'astronomie dans la Chine ancienne
Horloge à eau.

Les astronomes des Han n'employèrent d'abord que les mêmes instruments que leurs devanciers. Mais, peu à peu, ils les perfectionnèrent ; ils en inventèrent de nouveaux ; et, à la fin de cette dynastie, leur outillage était à peu près tel qu'il resta jusqu'à l'époque mongole, où des instruments persans vinrent les compléter.

1. L'horloge à eau

Le plus ancien perfectionnement que nous saisissions est celui de la clepsydre. La clepsydre de l'antiquité mesurait bien des intervalles ; elle ne mesurait pas le temps de façon continue. C'est à l'époque des Han qu'apparaît l'horloge hydraulique (leou-hou ou k'o-leou), mesurant la journée entière. On ne sait pas au juste quand elle fut inventée : elle existait avant la fin du IIe siècle a. C., car elle avait servi aux observations qui précédèrent la détermination du solstice d'hiver de 105 a. C. et l'établissement du calendrier nouveau de la dynastie des Han, sous l'empereur Wou. Le premier règlement officiel date du règne de l'empereur Siuan (58 a. C.) ; il fut incorporé à un des suppléments officiels du Code des Han, et, sauf une courte interruption, resta en vigueur pendant plus d'un siècle.

L'horloge à eau des Han était un véritable monument. On sait que dans ce genre d'instruments le débit est d'autant plus régulier que la pression est plus constante : les Chinois avaient constaté ce fait sans en savoir la cause, et, pour régulariser le débit de l'eau, ils installèrent trois récipients étagés se déversant l'un dans l'autre par une sorte de robinet, en forme de tête de dragon crachant l'eau par la bouche, placé à la partie inférieure. Au bas des gradins, à la même hauteur que le récipient inférieur, étaient placés côte à côte deux vases qui étaient de véritables clepsydres. Il y en avait deux, parce que les Chinois tenaient à avoir une clepsydre de jour et une clepsydre de nuit, probablement pour marquer plus nettement la distinction entre les heures du jour et les veilles de la nuit, distinction essentielle dans la routine du palais impérial ; le changement se faisait aux crépuscules du matin et du soir.

C'étaient deux vases fermés par un couvercle percé d'un trou ; par ce trou passait une tige métallique, montée sur un flotteur et graduée en quarts d'heure k'o (exactement 14' 24") ; devant le trou se dressait une petite statue d'un personnage en costume officiel, le préposé à l'heure sseu-tch'en, désignant de son bras étendu les divisions de la tige horaire tsien, qui défilait devant lui à mesure que le remplissage de la clepsydre faisait monter le flotteur t'ien-feou. La journée (nycthémère) était divisée en 100 parties égales correspondant à un quart d'heure (14' 24") qu'on appelait « divisions gravées », k'o (c'est le sens étymologique du mot k'o) ; mais aucune des tiges horaires, ni celle de la clepsydre de jour ni celle de la clepsydre de nuit, ne portait 100 divisions : on voulait qu'elle en portât juste le nombre correspondant à la longueur du jour (ou de la nuit), de façon que la fin du jour (ou de la nuit) fût marquée par le fait que le préposé aux heures avait désigné successivement toutes les divisions gravées sur la tige horaire.

Ce système obligeait à tenir compte des variations de longueur du jour et de la nuit suivant les saisons ; mais, comme il aurait été trop compliqué d'avoir une tige spéciale pour chaque jour, on se contentait de changer la tige à chaque variation d'un quart d'heure entier. La différence entre le jour le plus long et le jour le plus court avait été évaluée à un tiers du jour le plus long : sur un total de 100 quarts d'heure, le jour le plus long comptait 60 quarts d'heure, le jour le plus court 40, ce qui faisait une différence de 20 quarts d'heure. Le jour le plus long étant éloigné d'une demi-année du plus court, il suffisait de diviser la demi-année (ramenée au chiffre rond de 180 jours) par les 20 quarts d'heure pour obtenir la période de diminution ou d'augmentation d'un quart d'heure, le mouvement du Soleil étant tenu pour égal. C'est ce qu'on fit en effet ; dans les dernières années du Ier siècle a. C., Lieou Hiang explique que tel était le règlement de son temps.

Il y avait donc 20 tiges horaires différentes, et on les changeait tous les 9 jours. L'inconvénient était que, l'allongement et le raccourcissement des jours étant loin de se faire par quantités égales, ce système suivait d'assez loin la réalité. Aussi fut-il attaqué violemment à la fin du Ier siècle p. C. par Ho Jong, qui lui reprocha des inexactitudes atteignant jusqu'à 2 ½ quarts d'heure (en réalité l'erreur est plus considérable encore à mi-intervalle entre les équinoxes et les solstices, par exemple le 13 février, où elle atteint 26' matin et soir, soit 3 ½ quarts d'heure) ; il proposa de faire 48 changements de tige horaire au lieu de 40, tous les 7 ½ jours au lieu de tous les 9 jours. Ce nouveau système déplaçait les erreurs plutôt qu'il ne les corrigeait : elles restaient aussi fortes (25' matin et soir) ; mais, par suite de l'inégalité des variations du temps des levers et couchers du Soleil, les erreurs, au lieu d'être constantes, ne se produisaient plus que juste aux deux solstices. D'autre part, la division en périodes de 9 jours ne répondait à aucune division de l'année ; au contraire, deux périodes de 7 ½ jours faisaient un demi mois solaire (15 jours), période à laquelle les astronomes chinois ont toujours attaché une grande importance pour régler les rapports de l'année solaire avec les lunaisons. Le nouveau système constituait certainement une amélioration. Mais c'était une amélioration tout empirique, qui rendait les erreurs moins gênantes sans les supprimer ni les diminuer. Adopté en 102 p. C., il eut une longue existence, car il était encore officiel au XIIe siècle.


Pour observer les levers et les couchers du Soleil, les astronomes du temps des Han en observaient le lieu au moyen d'un instrument dont l'aspect rappelle celui de nos cadrans solaires. Un exemplaire en a été trouvé à la fin du siècle dernier et est entré à cette époque dans la collection de Touan-fang. C'est une plaque de jade presque carrée (288 mm sur 282 mm), percée au milieu d'un trou (1,66 mm de profondeur sur 9,6 mm de diamètre) destiné à recevoir un style perpendiculaire. Autour de ce trou comme centre est tracé un cercle de 243 mm de diamètre, dont deux tiers seulement portent une graduation de 69 divisions reliées chacune au pied du style par une tige droite finement gravée. Les divisions sont toutes égales, ce qui, avec le style vertical, exclut un véritable cadran solaire.

C'était un instrument simplement destiné à vérifier la clepsydre : une fois qu'on l'avait orienté et fixé horizontalement, on examinait chaque jour la direction de l'ombre au lever et au coucher du Soleil, et, chaque fois que l'ombre passait d'une division à l'autre, on savait que le jour augmentait ou diminuait d'un quart d'heure, et qu'il fallait changer la tige horaire de l'horloge hydraulique. Les divisions sont continuées au-delà des limites des levers et couchers du Soleil par la détermination de l'heure de midi, qui permettait une autre vérification.

2. Les armilles

L'horloge à eau, malgré ses défauts, donnait l'heure de façon exacte ; elle permettait de mesurer les mouvements des astres avec une précision que les anciens n'avaient pas connue. Mais les mesures spatiales restaient encore très défectueuses : les astronomes en étaient toujours réduits à compter les degrés sur l'horizon au moyen des procédés à la fois compliqués et inexacts que j'ai décrits.

En 52 a. C., Keng Cheou-tch'ang présenta à l'empereur « un instrument qui permettait de mesurer les mouvements du Soleil et de la Lune, de vérifier la forme et les mouvements du ciel ». Nous savons par un astronome du siècle suivant, Kia K'ouei, que toutes les mesures de Keng Cheou-tch'ang étaient comptées sur l'équateur. Son instrument était donc cette armille équatoriale tch'e-tao-yi, que l'on trouve en usage à l'Observatoire du Grand Astrologue dans la seconde moitié du Ier siècle de notre ère ; il est probable qu'à l'anneau de bronze gradué placé dans le plan de l'équateur, qui en était la partie principale, il avait joint un tube de visée passant par le centre du cercle. Kia K'ouei reproche à cet instrument de ne rien apprendre de nouveau, puisque les mesures sont prises sur l'équateur, et de ne servir qu'à observer ce que tout le monde savait déjà. La critique n'est pas juste. Il est possible que Keng Cheou-tch'ang lui-même n'en ait pas tiré tout le parti possible : il paraît s'être spécialisé dans l'étude des mouvements de la Lune, sur lesquels il avait écrit un livre en 223 chapitres, plus six chapitres de dessins. Mais il suffit de comparer les notions sur les mouvements des planètes à la fin du IIe siècle a. C., tels que Sseu-ma Ts'ien les décrit en se basant sur Che Chen et Kan Tö, avec celles dont témoigne Lieou Hin dans les premières années de notre ère, pour constater que l'emploi de l'armille équatoriale, en substituant à l'évaluation à vue des distances entre les astres sur la voûte céleste l'observation exacte des divisions d'un cercle gradué, avait donné à l'étude des mouvements des astres mobiles une précision qui lui avait manqué jusque là, et avait fait acquérir nombre de connaissances nouvelles : Lieou Hin nous donne pour la première fois une description à peu près exacte des mouvements apparents des planètes.

Toutefois, en dépit des progrès que cette invention avait permis d'accomplir, les observations présentaient encore de grandes difficultés. La principale était due à ceci : d'une part, les repères sidéraux avaient été établis en mesurant les distances des étoiles le long de l'équateur, ce qui paraissait rationnel puisque le mouvement diurne entraîne les astres autour du Pôle et parallèlement à l'équateur, et ce qui facilitait l'observation des passages au méridien au crépuscule; mais, d'autre part, ces repères servaient à jalonner la route des astres mobiles qui se déplacent le long de l'écliptique. Or, faute de notions de trigonométrie sphérique, il était impossible de transformer par le calcul les mesures prises sur l'équateur en mesures sur l'écliptique, et par conséquent de déterminer exactement la limite de chacune des 28 mansions sur l'écliptique, de sorte qu'on ne savait pas reconnaître de façon sûre la sortie et l'entrée du Soleil, de la Lune et des planètes dans chaque mansion.

Il aurait été possible d'esquiver le problème, ou plutôt de le supprimer complètement, en décrivant la position des astres non par référence à ces repères sidéraux, mais simplement selon une gradation suivie tout autour du ciel, comme nous le faisons nous-mêmes. Mais les observateurs étaient surtout astrologues, et les 28 mansions jouaient à leurs yeux un rôle si important qu'ils ne pouvaient s'en passer. Ils en avaient été réduits à dresser une table de ce qu'ils appelaient les avances et les reculs des mansions, c'est-à-dire à déterminer empiriquement et grossièrement, à vue, de combien de degrés la limite des 28 mansions sur l'écliptique était en avant ou en arrière de sa position sur l'équateur. Cependant ils sentaient confusément que leurs mesures étaient inexactes.

Elles l'étaient d'autant plus qu'ils ne savaient pas comment tracer exactement l'écliptique. Il était relativement facile de tracer l'équateur comme un cercle fictif en prenant le Pôle comme centre. Mais si l'écliptique, zone réelle de circulation du Soleil et des planètes, était bien reconnue empiriquement, il n'y avait aucun centre autour duquel tracer scientifiquement la ligne : la route exacte du Soleil ne peut naturellement être suivie directement parmi les étoiles, et tous les autres astres s'en écartent plus ou moins. Les astronomes chinois étaient si loin de pouvoir la tracer exactement que, dans les premières années du Ier siècle p. C., Yang Hiong, voulant montrer que le Soleil est plus loin du Pôle en hiver qu'en été, indiqua les distances polaires aux deux solstices non pas à compter du Soleil même et par conséquent de l'écliptique, mais à compter des étoiles déterminatrices des mansions, sieou, où le Soleil se trouve à cette époque. Et, encore un demi-siècle plus tard, Ma Siu se contente de dire que le Soleil est le plus loin du Pôle au solstice d'hiver, sans donner de mesures.


C'est dans la seconde moitié du Ier siècle p. C. que les astronomes s'attachèrent spécialement à ces problèmes de mesures sur l'écliptique, parce que l'imprécision de leurs mesures les empêchait de calculer exactement les routes du Soleil et de la Lune, et que c'est à ce défaut qu'ils attribuaient leurs erreurs dans la prévision des éclipses. Un certain Fou Ngan se consacra aux mesures sur l'écliptique, et fit de ses observations un recueil que Kia K'ouei, un lettré célèbre du temps, présenta à l'empereur en 85 p. C., sans réussir d'ailleurs à les faire accepter par le bureau d'Astrologie.

C'est Fou Ngan qui, le premier, détermina de façon presque exacte l'étendue des 28 sieou sur l'écliptique ; c'est vraisemblablement lui aussi qui reconnut la distance polaire des points solsticiaux sur l'écliptique, les évaluant respectivement à 115° et 67° et, par là, établissant indirectement l'obliquité de l'écliptique. Il est probable qu'il fut l'inventeur de l'armille écliptique houang-tao-yi, qui finit par être adoptée officiellement une vingtaine d'années plus tard, et que c'est grâce à cet instrument qu'il effectua des mesures précises.

En 103, Kia K'ouei, ayant réussi à vaincre les résistances du bureau d'Astrologie, obtint un décret impérial ordonnant de faire fabriquer par l'Observatoire du Grand Astrologue une armille écliptique houang-tao-yi en bronze. Puisqu'il fallait fabriquer un instrument spécial, il faut croire que ce n'était pas simplement un anneau gradué placé dans le plan de l'écliptique comme l'armille équatoriale était posée dans le plan de l'équateur ; je pense que l'instrument se composait d'un cercle équatorial et d'un cercle écliptique, tous deux portant une graduation de 365° ¼, joints ensemble, avec un tube de visée mobile passant par le centre commun de deux cercles, où il devait être fixé sur une barre rigide unissant les points équatoriaux où les deux cercles se traversaient. L'échelle était de 0,2 pouce par degré, ce qui donnait à chaque cercle 73,5 pouces de circonférence (1,47 m) et 24,5 pouces de diamètre (0,49 m).

On pourrait être tenté à première vue de rapprocher cet instrument de l'armille grecque, comme lui faite de deux cercles ; mais les deux cercles de l'instrument chinois sont attachés rigidement l'un à l'autre dans la position relative de l'équateur et de l'écliptique, tandis que l'armille grecque avait un seul cercle fixe, le cercle écliptique, l'autre étant mobile autour de l'axe des points équinoxiaux.

Sphère armillaire. Henri MASPERO (1883-1945) : L'astronomie dans la Chine ancienne
Sphère armillaire de Sou Song.

3. La sphère armillaire

Une vingtaine d'années plus tard, Tchang Heng eut l'idée de représenter schématiquement le globe céleste houen-t'ien tout entier, en ajoutant aux deux cercles, équatorial et écliptique, deux autres anneaux gradués se croisant à angle droit, l'un passant par les pôles et le zénith, et l'autre parallèle à l'horizon.

Ce nouvel instrument était assez compliqué à établir, car il fallait, d'une part, que les deux nouveaux anneaux, marquant des plans fixes (plan méridien et plan de l'horizon), fussent eux-mêmes fixes, et, de l'autre, que l'armille de Kia K'ouei, emboîtée à l'intérieur de ces deux cercles, restât mobile pour pouvoir suivre l'écliptique et l'équateur dans leur mouvement autour du ciel. Le trait d'union entre ces deux éléments paraît avoir été l'axe des pôles, fixe en sa position, puisque les pôles ne se déplacent pas, mais capable de tourner sur lui-même et d'entraîner l'armille écliptique à laquelle il servait de pivot, imitant ainsi exactement la disposition même du ciel. Ce n'est que bien plus tard, au VIIe siècle p. C. que Li Tch'ouen-fong eut l'idée de monter l'équateur et l'écliptique à l'intérieur d'un cercle mobile placé lui-même à l'intérieur de l'anneau méridien immobile, ce qui facilitait le maniement de l'appareil.

La sphère armillaire de Tchang Heng, houen-t'ien-yi, fut exécutée en bronze vers 124 p. C., alors qu'il était Grand Astrologue. Elle était établie à l'échelle de 0,4 pouce par degré, ce qui donnait aux deux cercles fixes et aux deux cercles mobiles 14,61 pieds (2,9 m) de circonférence et environ 4,87 pieds (0,97 m) de diamètre intérieur. Tchang Heng avait donc agrandi les armilles de Kia K'ouei de façon que les mesures nécessaires ne descendissent pas au-dessous de 0,1 pouce (2 mm) pour le quart de degré. Il avait donné à l'équateur et à l'écliptique une longueur de 1° ½ : c'étaient deux bandes de bronze de 0,6 pouce (14 mm), sur lesquelles était gravée la division en 365° ¼, et qui se croisaient de façon que leur « ventre », c'est-à-dire leur écartement extrême, fût de 0,96 pied (0,19 m), équivalant à 24°. La barre des colures, qui joignait les points équinoxiaux où les deux cercles se traversaient, était une barre droite dont la longueur était celle même du diamètre de la sphère, soit 4,87 pieds ; elle rencontrait en son milieu, c'est-à-dire au centre de la sphère, l'axe des pôles dont la longueur était la même. Mais en ce centre passait également le tube de visée, qui était mobile en tous sens, ce qui avait dû obliger Tchang Heng à imaginer un dispositif spécial, probablement un cadre carré aux quatre côtés duquel s'attachaient respectivement les deux moitiés de l'axe des pôles et celles de la barre des colures, et à travers lequel passait le tube de visée, comme c'était le cas dans les astrolabes du temps des T'ang et des Song. De cette façon, l'équateur fixé à l'axe des pôles était maintenu dans une position fixe par rapport aux pôles (à 91° et une fraction), et l'écliptique était à la même distance aux points équinoxiaux, et à 115° et une fraction et 67° et une fraction aux points solsticiaux ; et, d'autre part, en faisant tourner l'axe des pôles qui servait de pivot à la partie mobile de l'instrument, il était possible de suivre les mouvements de l'équateur tournant autour du pôle céleste, ainsi que de l'écliptique attaché à l'équateur. Mais le poids de l'instrument en rendait le maniement très difficile ; et le système de sustentation était aussi des plus incommodes : l'instrument n'était pas porté par un pied, mais suspendu. Tchang Heng y avait probablement vu l'avantage d'être assuré par là de sa verticalité.

La sphère armillaire inventée par Tchang Heng devint l'instrument par excellence de l'astronomie chinoise. On le perfectionna de siècle en siècle, mais on n'inventa plus rien de nouveau. Un peu plus d'un siècle après Tchang Heng, entre 258 et 264, Wang Fan en fit une petite à Nankin, la capitale de l'empire de Wou : elle était à l'échelle de 0,3 pouce seulement, ce qui lui donnait 0,365 ¼ pouce de diamètre (0,73 m) et 10,95 ¾ pieds de circonférence (2,29 m). Son trait le plus curieux était que le Pôle était élevé de 36°, ce qui pour Nankin est trop élevé, mais répond à peu près à la latitude de Lo-yang, la capitale des Han ; les astronomes chinois ne s'aperçurent, en effet, que bien plus tard du fait que la hauteur du pôle change avec la latitude.

La plus ancienne description précise et détaillée d'une sphère armillaire chinoise est celle d'un instrument construit en 323 à Tch'ang-ngan (Si-ngan-fou de nos cartes, au Chen-si) ; sans en donner ici une traduction textuelle qui serait longue et peu intelligible, je me contenterai d'en tirer un aperçu de l'instrument. Il se composait de trois parties. Il y avait d'abord deux cercles fixes, dont le plan se coupait à angle droit, l'un vertical, celui du méridien, l'autre horizontal, celui de l'horizon, avec un diamètre fixe du cercle vertical, passant par le centre de la sphère et par deux points situés à 36°, l'un au nord, l'autre au sud de l'équateur, et qui était l'axe des pôles. À l'intérieur de ces deux cercles se plaçaient des cercles secondaires qui servaient à marquer les lignes importantes du ciel, cercle écliptique et probablement aussi, bien qu'il ne soit pas mentionné, cercle équatorial. Enfin, encore à l'intérieur était un cercle mobile tournant autour de l'axe des pôles, et ayant en son milieu un tube de visée mobile de haut en bas autour du centre de la sphère. Pour faire des observations, on commençait par faire tourner le cercle écliptique mobile dans le sens du mouvement céleste, de façon à le faire correspondre à l'état du ciel au moment de l'observation, et on le fixait en cette position au moyen de pênes et de gâches ; cela fait, on faisait tourner le cercle intérieur mobile autour de l'axe des pôles pour le mettre dans la direction de l'astre qu'on voulait observer ; on visait ensuite celui-ci à l'aide du tube de visée, qu'on relevait ou abaissait verticalement autant qu'il était nécessaire. On remarquera que la transformation du tube de visée de Tchang Heng, tournant en tout sens, en un appareil complexe fait d'un cercle et d'un tube tous deux mobiles mais chacun dans un sens seulement (le cercle de droite à gauche et réciproquement, le tube de haut en bas et de bas en haut), était un perfectionnement important, car en décomposant ainsi le mouvement on obtenait immédiatement les coordonnées de l'astre visé. Le cercle mobile, en effet, donnait à la fois ce que nous appellerions l'ascension droite et la longitude, tandis que le tube de visée indiquait la déclinaison et la latitude de l'astre visé, c'est-à-dire, à la manière chinoise, la position dans une des 28 mansions (sieou), comptées soit sur l'équateur soit sur l'écliptique, et la distance polaire ou la distance de l'écliptique.

On continua à perfectionner l'appareil aux siècles suivants ; mais les progrès furent très lents et ne modifièrent que des détails, tantôt pour le rendre plus maniable, tantôt pour supprimer certains défauts qui rendaient les observations difficiles ; il devint de plus en plus compliqué, comme on le voit dans les descriptions détaillées de l'époque des T'ang et des Song. En même temps, les astronomes s'ingéniaient à lui donner un mouvement continu, pareil à celui du ciel, à l'aide de forces hydrauliques réglées par une clepsydre : c'était de leur part une recherche fort ancienne, dont on attribue même les premiers essais à Tchang Heng. Mais, dans son ensemble, l'instrument ne changea guère.

Un astronome du Ve siècle, le Grand Astrologue Ts'ien Lo-tche, eut l'idée d'en faire une sorte d'appareil de démonstration : en 436, il construisit une sphère armillaire en bronze à l'échelle d'un demi-pouce par degré (182,6 pouces de circonférence, et 6,8 pouces de diamètre), sphère analogue à celle de Tchang Heng, mais dont il avait placé les 28 mansions, le Soleil, la Lune et les cinq planètes, et au pôle de la sphère il avait dessiné sur une calotte la constellation polaire et la Grande Ourse. Un mouvement hydraulique pareil à celui de l'astrolabe faisait mouvoir la sphère céleste tandis que la Terre restait immobile ; on ne nous dit pas si Ts'ien Lo-tche avait pourvu par quelque procédé à la marche propre du Soleil, de la Lune et des planètes. L'instrument dut rendre des services que l'inventeur n'avait pas prévus, car il le compléta, quatre ans plus tard, d'une façon qui le transformait complètement, en reportant sur la sphère la carte du ciel et de ses constellations établie dans les premières années du IVe siècle de notre ère par le Grand Astrologue Tch'en Tcho d'après les catalogues d'étoiles des IVe-IIIe siècles a. C. On nous dit qu'il construisit en 440 une petite sphère à l'échelle de 2 pouces par degré seulement (soit 66 pouces de circonférence et 21 pouces de diamètre), qui était un globe céleste complet :

« Il y mit les 28 sieou, les constellations intérieures et extérieures au complet, peintes en trois couleurs, blanc, vert, jaune, suivant l'astrologue (du livre duquel il les avait tirées) ; le Soleil, la Lune et les cinq planètes étaient placées sur l'écliptique. »

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La découverte de la précession des équinoxes (IVe siècle p. C.)

Ces appareils, particulièrement les armilles et l'astrolabe, permirent aux astronomes chinois de faire une série de nouvelles découvertes. D'abord ils précisèrent les mouvements des planètes, notamment ceux de la Lune, et peu à peu ils atteignirent à une précision un peu plus grande dans la prévision des éclipses, question particulièrement importante pour l'astrologie. Mais le résultat le plus important fut sans doute la découverte de la précession des équinoxes par Yu Hi, dans le deuxième quart du IVe siècle de notre ère.

Pendant toute la dynastie des Han, on avait discuté la position exacte du solstice d'hiver par rapport aux étoiles. La position établie par les astrologues du temps des Tcheou, au 1° de K'ien-nieou, était avec le temps devenue fausse, et on s'en était aperçu, sans naturellement en reconnaître la raison. Des efforts de toute sorte furent faits pour arriver à trouver une position qui mît d'accord l'indication traditionnelle et l'observation. Mais l'emploi d'instruments réglés pour une certaine position du solstice, comme l'astrolabe de Tchang Heng ou ceux qu'on construisit par la suite, montraient de plus en plus clairement, à mesure que le temps passait, que c'était le ciel qui changeait et non les astronomes qui se trompaient et observaient mal.

La découverte de la précession des équinoxes marque la fin d'une période dans l'histoire de l'astronomie chinoise. En « faisant du Ciel le Ciel et de l'Année l'Année », comme on disait, Yu Hi avait apporté bien plus que la simple observation et interprétation d'un fait important. Il mettait fin au rêve séculaire des astronomes chinois de trouver le calendrier parfait, non pas celui qui, comme le nôtre, se contente de suivre de son mieux les mouvements apparents du Soleil, mais celui qui, inscrit dans le ciel même, en symbolise les mouvements immuables. Yu Hi n'avait pas seulement découvert la différence entre l'année tropique et l'année sidérale : il séparait deux choses que les Chinois avaient toujours cru être simplement deux faces de la même réalité, le calendrier et l'astronomie.

Jusque là, c'est l'époque des origines, celle de l'invention des instruments et de la découverte des faits principaux de l'astronomie. Ce qui suivit n'en fut plus que le perfectionnement, sans que ni l'outillage ni les connaissances variassent beaucoup, sauf sous l'influence des astronomies étrangères, celle de l'Inde sous les T'ang, celle des Persans sous les Yuan, celle de l'Europe sous les Ming et au début des Ts'ing. C'est une histoire toute différente qui commence, et je ne la suivrai pas plus loin.

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