Yu-kiao-li, ou Les deux cousines

Roman chinois, traduit par

Stanislas Julien (1797-1873)

Librairie académique Didier et C°, Libraires-Éditeurs, Paris, deuxième édition, 1864, 2 tomes, XXXII + 364 et 380 pages.

 

  ... Peut-être aussi à cause de la situation singulière, mais parfaitement honorable en Chine, de deux jeunes filles qui, d’un commun accord, et sans éprouver la moindre jalousie, épousent le même homme, cet ouvrage s’est répandu en Europe avec une rapidité prodigieuse, et a produit dans le monde littéraire une sensation si durable...

 

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La galerie des fleurs
La galerie des fleurs


Table des matières

 

  1. Une jeune fille de talent compose des vers pour son père.
  2. Un vieux moniteur impérial cherche à marier son fils.
  3. A la veille d’un voyage périlleux, il confie sa charmante fille (à un parent).
  4. Ou, l’académicien, rencontre un homme de talent sous des arbres en fleur.
  5. Un pauvre bachelier refuse d’épouser une fille riche et noble.
  6. Un prétendant, laid de figure, s’efforce de jouer le rôle d’un poète.
  7. En changeant secrètement le nom d’un homme de talent, on lui fait perdre un joyau précieux.
  8. Une servante observe furtivement un prétendant et reconnaît l’étoffe.
  9. Dans le pavillon des fleurs, on laisse la prune et l’on cherche la pêche.
10. Appuyé sur un bloc de pierre, un poète reconduit l’oie sauvage et va au-devant de l’hirondelle.
11. On emploie un stratagème pour faire secrètement une demande de mariage.
12. Réduits à l’extrémité, ils laissent voir leur ignorance au milieu de l’arène.
13. Un bachelier, réduit aux abois au milieu de la route, fait argent de ses vers.
14. Dans le jardin de derrière, Lou-meng-li donne de l’argent.
15. Il réussit deux fois, à l’examen d’automne et au concours du printemps.
16. Deux jeunes filles, belles comme les fleurs et la lune, se communiquent leurs tendres pensées.
17. Se voyant vexé par un homme puissant, il quitte subitement sa charge.
18. En se promenant sur les montagnes et les rivières, il trouve tout à coup un gendre.
19. Méprise sur méprise, chacun est trompé dans ses espérances.
20. Bonheur sur bonheur ; tout le monde est au comble de ses vœux.

 

 

Les deux miroirs
Les deux miroirs


Extrait : Une jeune fille de talent compose des vers pour son père

 

Sous le règne de l’empereur Tching-tong , vivait un docteur qui était président du bureau des cérémonies ; son nom de famille était Pé, son nom d’enfance Hiouen, et son nom honorifique Thaï-youen. Il était originaire de Kin-ling (Nan-king). Wang-tchin  s’étant emparé du pouvoir, il quitta sa charge et s’en revint (dans son pays natal). Pé n’avait ni frères aînés ni frères cadets, mais seulement une sœur cadette qui était allée au loin, après avoir épousé un nommé Lou, commissaire en second dans la province de Chan-tong, de sorte qu’il se vit obligé de vivre dans la solitude et l’isolement. Pé était un homme grave et d’humeur tranquille. Comme il avait peu de désirs, il ne recherchait ni la renommée ni la fortune, et ne se souciait point de faire sa cour aux grands. La poésie et le vin étaient son seul plaisir . C’est pourquoi, dégoûté des tracas qui naissent, en ville, des relations de société, il s’était retiré à la campagne, à soixante ou soixante-dix li  de Kin-ling, dans un village appelé Kin-chi. Ce village était, de tous côtés, environné de montagnes verdoyantes ; tout autour serpentait un ruisseau limpide, coulant de l’ouest à l’est, qui était bordé sur ses deux rives de saules et de pêchers ; on y goûtait tous les agréments des montagnes et des eaux. Quoiqu’il y eût dans ce village plus de mille familles, si l’on eût voulu compter les hommes riches et nobles, on aurait dû placer à leur tête Pé-kong , le président du bureau des cérémonies. Pé-kong avait une haute charge et une maison opulente ; ses talents et son instruction étaient l’espoir de l’administration, De plus, il jouissait d’une grande renommée. Son unique regret était d’avoir passé la quarantaine sans avoir eu de fils pour lui succéder. Il avait entretenu plusieurs femmes de second rang, et, chose étrange, quoiqu’il les eût gardées près de lui de trois à cinq ans, il n’en avait pas eu le moindre fils  ; mais dès qu’il les avait congédiées et mariées, en moins d’un an, chacune d’elles mettait au monde un fils. Pé-kong en gémissait sans cesse, et croyant voir là un arrêt du sort, dès ce moment il cessa d’acheter des femmes de second rang. Madame Ou, sa noble femme, allait de tous côtés implorer les dieux, adorer le Bouddha, brûler des parfums et faire des vœux. Enfin, à l’âge de quarante-quatre ans, elle mit au monde une fille. Ce même. jour, un peu avant sa naissance, Pé avait vu en songe un dieu qui lui donnait un beau morceau de jade d’un rouge aussi éclatant que le soleil. Il prit de là son nom d’enfance et l’appela Hong-yu (Jade rouge).

Comme Pé-kong et sa femme étaient arrivés à un âge avancé sans avoir eu de fils, quoiqu’il leur fût né une fille , ils furent ravis de joie et conçurent pour elle la plus vive affection. Or Hong-yu était née avec une beauté peu commune ; ses sourcils étaient comme les (feuilles des) peupliers de printemps , et ses yeux aussi purs que les eaux d’automne. En outre, elle était si intelligente, qu’à l’âge de huit à neuf ans elle avait déjà appris la couture et la broderie, et n’avait point de rivale dans tous les ouvrages de son sexe. Mais, à onze ans, elle eut le malheur de perdre sa mère. Dès ce moment, chaque jour elle venait lire et écrire sous les yeux de son père. Cette jeune fille était en vérité un charmant composé des plus pures vapeurs des montagnes et des rivières  ; en la formant, le Ciel et la Terre et (les deux principes) In et Yang  n’avaient pas manqué leur but. Hong-yu était douée à la fois d’une beauté accomplie et d’une rare intelligence, de sorte qu’à l’âge de quatorze ou quinze ans elle connaissait les caractères  et était capable de composer des pièces de wen tchang (style élégant). Finalement, c’était déjà une espèce de docteur parmi son sexe.

Comme Pé-kong était passionné pour le vin et la poésie, il ne passait pas un jour sans composer des vers. C’est pourquoi mademoiselle Hong-yu excellait surtout en poésie et en chansons. Ordinairement, lorsque Pé-kong était libre chez lui, après avoir composé une pièce de vers, il engageait Hong-yu à en faire une sur les mêmes rimes, et celle-ci, après l’avoir achevée, la corrigeait et la polissait avec son père.
Pé-kong, possédant une fille d’un tel mérite, ne songeait plus à avoir un fils. Son unique désir était de choisir un gendre aussi distingué par le talent que par la figure, pour l’unir avec elle. Mais ce n’était pas chose facile que de le trouver tout de suite ; il se vit donc obligé de temporiser, de sorte que sa fille avait atteint l’âge de seize ans et n’était pas encore mariée.

Au moment où l’on y pensait le moins , l’empereur Tching-tong, étant allé chasser dans le nord, éprouva un malheur à Thou-mou. L’empereur King-thaï monta sur le trône, fit subir à Wang-tchin la peine de ses crimes, et remit en place les anciens officiers du gouvernement. Comme Pé-kong était un de ces anciens officiers, le ministère du personnel, après une délibération solennelle, le présenta pour être, comme par le passé, président du bureau des cérémonies. En moins d’un jour, le décret impérial fut rendu, et la nouvelle de sa nomination arriva bientôt à Kin-ling.
Au fond, Pé-kong ne désirait point d’entrer en charge, mais comme il n’avait pas encore réussi à marier Hong-yu, il se dit en lui-même : « Si je veux choisir un gendre distingué, j’imagine que dans ce seul village, dans cette seule ville, le nombre des hommes  est fort borné ; pourrait-on les comparer à la capitale, qui est le rendez-vous des lettrés de tout l’empire ? Puis-je craindre de n’y pas trouver un gendre distingué ? Pourquoi ne pas prendre ce prétexte pour y faire une excursion ? Si le mariage de ma fille est dans les desseins du ciel et que je trouve un excellent gendre, je pourrai me reposer sur lui comme sur un demi-fils.

Sa résolution étant arrêtée, il se garda bien de refuser. Il choisit sur-le-champ un jour heureux, puis il emmena Hong-yu et se dirigea avec elle vers la capitale pour se rendre à son poste. Dès qu’il fut arrivé à la capitale, il alla se présenter à l’empereur. Une fois entré en fonctions, il chercha une maison particulière et s’y établit. La charge de président du bureau des cérémonies était une place tranquille et peu occupée. Ajoutez à cela que Pé-kong, malgré sa droiture et son amour de la justice, était d’un caractère mou et nonchalant, et n’aimait pas à se mêler d’affaires. Lors même que le gouvernement avait une affaire d’une importance majeure, et avait ordonné aux neuf membres du bureau des cérémonies d’en délibérer, il suffisait que deux bureaux  et le ministère compétent donnassent leur avis. Le président s’en occupait pour la forme et n’avait qu’à approuver. On voit qu’il ne trouvait pas là de quoi se tourmenter l’esprit.

Chaque jour, après avoir terminé les affaires de sa charge, il ne s’occupait plus qu’à boire et à faire des vers. Au bout de quelques mois, il se mit à fréquenter les fleurs et les saules  avec une compagnie de collègues et d’amis, qui avaient comme lui le goût du vin et des vers.
On était alors au milieu de la neuvième lune. Pé-kong ayant reçu d’un de ses disciples douze pots de reines-marguerites, les avait rangés au bas de sa bibliothèque. On y remarquait la crête de coq violette , la favorite Yang enivrée, et la plume de cigogne argentée. Tous ces vases contenaient des fleurs de petite espèce, qui avaient un parfum exquis et un air d’abandon, et dont l’ombre légère couvrait les jalousies de bambou. Elles ne le cédaient point à douze  jolies femmes rangées ensemble . Pé-kong était charmé de ces fleurs et les aimait avec passion. Chaque jour, en buvant, il prenait plaisir à les regarder.

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