La SIAO HIO ou Morale de la jeunesse

traduite par Charles de HARLEZ (1832-1899)
Annales du Musée Guimet, tome quinzième, Paris, 1889, 366 pages

  • Extraits des Introductions : "La Siao Hio, c'est-à-dire le petit enseignement, la petite école, est un des livres les plus importants de la littérature chinoise. C'est lui, en effet, qui est destiné à former l'éducation de la nation entière. Tout Chinois doit le connaître, l'étudier, et mettre en pratique ses préceptes. Bien plus, lorsque l'éducation moyenne est achevée ou lorsque l'instruction est terminée pour ceux qui n'aspirent pas au degré supérieur, la Siao Hio reste un objet constant d'étude, le livre moral de lecture des familles."
  • "Les mots Siao Hio sont opposés à Ta Hio le grand enseignement, l'enseignement supérieur, nom du livre philosophique rédigé par les disciples de Confucius et qui fait partie des quatre livres (Sse Chou) et des petits Kings. Le Ta Hio, comme il est dit plus loin, est le manuel de l'enseignement supérieur, des hautes écoles ou universités chinoises. La Siao Hio ou enseignement inférieur est le livre de tous, de ce que nous appellerons « l'enseignement moyen ». On a parfois rendu ces mots par l'enseignement des petits, des enfants. Cela est inexact ; ce livre est fait non seulement pour les enfants, mais pour les adultes qui ne prennent pas les grades universitaires."
  • "Tchu-Wen-kong, reprenant les maximes laissées pour l'instruction et l'enseignement des sages et saints de l'école de Kong-fu-tze, et mêlant les chapitres Kiu li, Shao li, Ti-sse j'i et autres, composa le livre appelé Siao Hio.
    Le nombre de ses principes et de ses parties est de trois : 1° Fonder la doctrine ; 2° Expliquer les préceptes ; 3° S'observer soi-même... le livre final est celui des pensées louables et des actions justes, il remémore les paroles dites, les bonnes actions faites depuis la dynastie des Hans."

Extraits : En quoi consiste la piété filialeDevoirs envers le princeDes bonnes actions. Exemples tirés des temps modernes
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En quoi consiste la piété filiale

68. La piété filiale (consiste) : au commencement à servir ses parents, ensuite à servir le prince, finalement à s'affermir soi-même.
C'est là certainement la fin et le commencement de la piété filiale.
Celui qui aime ses parents ne se permettra point de haïr les (autres) hommes. Celui qui honore ses parents ne se permettra point de traiter avec dédain les autres hommes. S'il pousse jusqu'à la perfection l'amour, le respect de ses parents en les servant, sa vertu, sa doctrine, se répandant dans le peuple, sera la norme entre les quatre mers. C'est là certainement la piété filiale du fils du ciel.

Commentaire. — « La norme », le modèle, la règle. Tchen-shi dit : La piété filiale ne sort jamais de l'affection et du respect. Si de cette affection pour ses parents qui élargit le cœur il aime les hommes, il n'y a pas place en lui pour l'aversion, la haine. Si de cette affection pour les parents qui élargit le cœur, il respecte les hommes, il n'y a pas de place (en lui) pour le dédain et la négligence. Si l'on s'élève soi-même au premier rang, et que cette vertu, cette doctrine devienne par soi le modèle suivi, les hommes du monde entier aimeront, respecteront certainement leurs parents. C'est là l'affaire de la grande piété filiale, honorer ses parents.

69. Si vous êtes dans un rang élevé et que vous n'avez point d'orgueil, que dans une haute situation vous ne soyez pas redouté, que vous rendiez la loi morale ferme et assurée, que vous respectiez les règles, bien que plein vous ne déborderez pas ; ainsi on peut assurer la paix des hommes et du peuple, garder les esprits protecteurs (She-tsi), et c'est là la piété filiale des princes gouverneurs.

Commentaire. — Affermissant la loi morale, la rendant inébranlable ; « la loi morale », les bonnes règles. — « Respectant les règles », observant les règles et coutumes. Les grands lorsqu'ils sont princes du royaume sont appelés hauts. Les riches lorsqu'ils ont mille chars sont appelés pleins. Quand on est grand il est facile d'être redoutable ; quand on est élevé et que l'on n'est pas orgueilleux alors on n'est pas à craindre. Quand on est plein il est facile de déborder. Si l'on maintient les règles, si l'on observe la loi morale alors on ne déborde pas.
She est l'esprit de la terre ; Tsi est celui des aliments. Les princes des provinces peuvent seuls leur offrir des sacrifices. — « Le peuple », c'est tout le monde. — « Les hommes » sont les gens en fonctions. Les trois sections qui suivent celle-ci traitent dans leur ordre une matière qui n'est pas à mépriser.

70. Si l'on n'a point le vêtement réglé par la coutume des anciens souverains on ne doit pas se vêtir ; si l'on n'a pas leur langage réglé par la coutume, on ne doit point parler. Si l'on n'agit point avec leur vertu, on ne doit point agir.
Quand on les a, on peut élever et soigner les temples des ancêtres et cela constitue la piété filiale des princes, des grands et des magistrats.

Commentaire. — « Coutume », règle coutumière. « Quant aux ancêtres », Tcheng-tze dit : Il est enseigné que les hommes doivent les honorer et leur offrir des sacrifices et des offrandes. — Les princes et les grands ont une maison, et dans cette maison il y a un temple, c'est pourquoi ils doivent entretenir le temple des ancêtres.

71. Si l'on sert le prince avec piété on est fidèle ; si l'on sert ses parents et ses supérieurs on est obséquieux ; la fidélité, l'obséquiosité ne doivent point être négligées. Si l'on sert les personnages élevés, alors ou peut aussi veiller aux sacrifices et aux offrandes. C'est là la piété filiale des shi.

Commentaire. — En laissant de côté la piété qui sert les parents, si l'on sert bien le prince on est fidèle et de même, si l'on sert les supérieurs on est obséquieux. « Élevés », le prince et les supérieurs. Comme les shi ont des propriétés et un traitement et qu'ils peuvent faire convenablement les sacrifices et offrandes, ils doivent y veiller.

72. Pratiquer la loi du ciel, chercher le bien de la terre, se dominer soi-même en modérant l'usage (des choses) ; entretenir père et mère, c'est là la piété de tous les hommes.

Commentaire. — Tchou-tze dit : Chercher le bien de la terre en suivant la loi du ciel, c'est labourer et soigner la terre et les champs suivant le temps, observant les circonstances. — Se dominer soi-même, c'est ne rien faire de mal, ne point violer les lois pénales. — « Modérer l'usage », c'est employer avec parcimonie, usant avec mesure (modérément). Ne point dépenser, prodiguer inutilement. De la sorte appropriant l'usage des choses (aux circonstances) et restant en paix, on peut entretenir ses parents en leur témoignant le respect dû.

73. Conséquemment, si depuis le fils du ciel jusqu'à la foule, la piété filiale est sans borne, l'affliction ne surviendra pas ; non certainement.

Commentaire. On a expliqué dans la section précédente ce que sont le commencement et la fin. Si quelqu'un en servant ses parents ne sait pas atteindre ce commencement et cette fin, aussitôt les chagrins lui surviendront.

74. Kong-tze dit : Notre père et notre mère nous ont engendrés, mais en héritant d'eux nous ne sommes pas grands (pour cela). Le prince, nos parents nous dirigent et emploient ; nous ne sommes pas pour cela des gens importants. Conséquemment, si nous n'aimons pas nos parents, et que nous aimions les autres hommes, si nous ne respectons pas nos parents et que nous respections les autres hommes, nous nous révoltons contre la vraie vertu et les rites.

Commentaire. — « Résister », être rebelle. — Tchen-shi dit : Nos pères et mères nous ont engendrés. En succédant à nos pères et mères nous en propageons le renom. Sommes-nous grands par ce seul bienfait de la nature céleste ? Nous sommes désignés à un emploi par le prince, une charge est donnée au fils par son père. Par cela qu'ils nous ont instruits et employés, sommes-nous devenus importants de ce qu'ils nous élevés ? En parlant conjointement du prince et des parents, on veut dire que le droit du prince et des sujets est le même.

75. Quand un fils pieux sert ses parents, s'il est à la maison, il doit perfectionner son respect ; s'il les entretient, il doit être comblé de joie ; s'ils sont malades, il doit pousser sa douleur à l'extrême ; s'il porte le deuil, il doit porter son affliction au plus haut point ; s'il sacrifie en leur honneur, il doit donner à son attitude toute perfection ; quand il a fait ces cinq choses, alors il peut dire qu'il a bien servi ses parents.

Commentaire. — « Perfectionner », pousser au plus haut point. — « Joie », il doit avoir l'air joyeux, l'attitude affectueuse. Si le cœur d'un fils qui aime ses parents est porté à sa perfection, depuis le premier moment jusqu'à sa fin alors on peut le dire vraiment pieux.

76. Le fils qui sert ses parents, s'il est placé haut n'est point orgueilleux, s'il est dans un rang inférieur, il ne se révolte point ; s'il est en compagnie il n'est point querelleur. Si étant haut placé, il a de l'orgueil, il déchoira ; si étant dans un rang inférieur, il cause des troubles, il sera châtié ; si en compagnie il suscite des querelles, il sera frappé par les armes. S'il ne se corrige pas de ces trois vices, bien que nourrissant chaque jour (ses parents) de trois aliments, il n'a point la piété filiale.

Commentaire. — « Orgueilleux », qui n'agit qu'à sa fantaisie. — « Perturbateur », qui se rebelle et résiste. — « En compagnie », groupe de même genre. — « Querelle », se disputer et se battre. — « Périr », cesser d'être. — « Être châtié », recevoir un châtiment, être bâtonné, etc. — « Être frappé par les armes », ils se blesseront mutuellement de leurs armes, sabre, etc. — « Corriger », écarter, faire disparaître. — Les trois aliments, le bœuf, le mouton et le cochon. — Si l'on ne se défait pas de ces trois vices, on causera du chagrin à ses parents, et le manque de piété filiale de ce fils sera très grand. Comment la bouche qui nourrit le corps pourrait-elle ne pas se racheter (délivrer) elle-même ?

77. Meng-tze dit : Dans les mœurs du siècle, le manque de piété filiale est de cinq espèces : paresser des quatre membres et ne point penser à entretenir ses parents, c'est le premier manquement. Jouer aux dés, aux échecs, aimer à boire du vin et négliger d'entretenir ses parents, c'est le second manquement. Être désireux des richesses, en amasser pour ses enfants et sa femme et négliger d'entretenir ses parents, c'est le troisième. Être dépourvu de piété filiale, s'adonner à son gré aux jouissances de l'oreille et des yeux et couvrir de honte ses parents, c'est le quatrième. Aimer la violence, être fort en querelle et se faire craindre de ses parents, c'est le cinquième manquement à la piété filiale.

Commentaire. « Les quatre membres », les mains et les pieds. — « Penser », se préoccuper. — « Les dés », jeter les dés. — « Les échecs », les poser, etc. — « Amasser », injustement. — « À son gré », au gré de la pensée. « Jouissance », se délecter des sons par l'oreille, des couleurs par les yeux. — « Couvrir de honte » par des reproches, etc. « Dur », méchant, colère. Sin-an-Tchen-shi dit : L'ordre des manquements à la piété filiale va par degrés, du léger au plus grave.

78. Tseng-tze dit : Notre corps est un bien que nous recevons de nos parents ; en traitant un bien hérité de nos parents, nous ne pouvons nous permettre de le faire sans respect. Si, tant que ce corps subsiste, on n'est pas droit, on n'a point la piété filiale ; si l'on ne sert point le prince avec fidélité, on ne l'a pas non plus ; si le magistrat n'a pas le respect (prescrit), il ne l'a pas davantage. L'ami qui n'est pas fidèle à son compagnon est sans piété ; le (soldat) qui en combattant dans les rangs n'est pas valeureux ne l'a pas plus que les autres. Ces cinq choses ne se peuvent faire ; l'oiseau aide ses parents, oserions-nous ne point (les) respecter.

Commentaire. — « Traiter », c'est comme conserver. — « Siéger », être en place. « Combattre » dans la rencontre des armées adversaires. « Être en rang », former les compagnies et les pelotons. « Pouvoir faire », accomplir. — Justice, fidélité, respect, droiture, valeur, tout cela se conserve par le respect. S'il manque quelque part, et que ce manquement est petit, il cause la honte des parents. S'il est grand il leur cause de chagrins.

79. Kong-tze dit : Si les cinq espèces de supplices étaient (portées) à trois mille, ils ne seraient pas grands par rapport au crime du manque de piété.

Commentaire. — « Les cinq supplices », marquer au fer rouge, amputer, couper, tailler, peine capitale. — « Marquer » au visage ; « amputer » le nez ; « couper » les pieds ; « tailler », couper le membre viril ; « peine capitale », mettre à mort. — Que l'on regarde ; il est dit au chapitre Liu hing du livre Shou king : Il y a mille manières de marquer ; mille manières de couper le nez ; cinq cents de couper les pieds ; trois cents de couper le membre viril ; deux cents de mettre à mort ; en tout trois mille manières. « Supplices », ce que l'on inflige au méchant.
Il n'y a pas de méchanceté plus grande que le manque de piété filiale.

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Devoirs envers le prince

41. Ki-tze était proche parent de Sheou. Quand Sheou commença à se faire des bâtons d'ivoire, Ki-tze dit en soupirant :
— S'il se fait maintenant des bâtons d'ivoire, il se fera bientôt des vases de pierres précieuses ; s'il se fait des vases de pierres précieuses, il voudra (après cela, se procurer) et se servir des choses précieuses et merveilleuses provenant des pays éloignés, il commencera à étendre le luxe de ses chars, des chevaux, des palais, du trône et l'on ne saura plus le corriger.

Commentaire. — Ki est un nom de royaume. Tze désigne les fonctionnaires. C'étaient les oncles de Sheou. Sheou était le roi de Shang. Corriger, i. e. guérir (sauver, faire revenir à la vertu).

42. Ki-tze avertit donc Sheou dont la mauvaise conduite était poussée à l'excès. Mais Sheou n'accepta pas les avertissements et le fit mettre en prison. Certaines gens conseillèrent à Ki-tze de se sauver. Mais il leur répondit :
— Je suis magistrat du peuple. Si je m'en vais parce que le roi n'a pas accueilli mon avertissement je révèle sa faute et je m'attire les louanges du peuple, je ne puis supporter d'agir de cette manière.
C'est pourquoi se laissant tomber les cheveux en désordre, il fit le fou et se vêtit en esclave. Il se cacha de la sorte jouant du chin, pleurant son sort lui-même. C'est ainsi que l'on a transmis le chant de Ki-tze.

Commentaire. — « Excès », il se plongeait dans ses passions. « Mauvais », désordonné à son caprice. Aveuglément amoureux de Taki, il faisait des forêts de chair et des mers de vin et choses semblables. — « Sheou le fit saisir et mettre en prison. » Il est dit dans l'histoire (Tchouen) : Il enferma Ki-tze et le fit esclave. « Révéler » faire connaître, sortir du secret. « Contrefaire », tromper. — « Le chant, les sons du kin.

43. Wang-tze-pi-ken était aussi proche parent de Sheou. Ayant su que celui-ci, repoussant les avertissements de Ki-tze l'avait emprisonné et fait esclave, il se dit : Lorsque le prince a des vices, si on ne lui résiste pas jusqu'à la mort que de crimes accableront le peuple. C'est pourquoi il avertit Sheou d'une voix vraie et sincère. Sheou irrité lui dit :
— J'ai entendu dire que les hommes vertueux ont sept orifices au cœur, je me demande si cela est vrai,
et là-dessus il fit tuer Wang-tze-pi-ken, lui fit fendre le cœur et regarda ce qui en était.

Commentaire. — Wang-tze-pi-ken était aussi un oncle de Sheou. Que de crimes ! Sans aucune faute il sera tyrannisé.

44. Wei-tze se dit : Le père et le fils sont les os et la chair.
Lorsque le fils est grand il doit se proposer avant tout ce qui est conforme aux principes de justice. Si le père commet des fautes le fils doit l'avertir jusqu'à trois fois et s'il n'accepte pas les avertissements il doit le suivre en pleurant. Un fonctionnaire qui avertit trois lois le prince sans succès peut légitimement s'en aller (et quitter la cour), et il s'en alla.

Commentaire. — Wei est un nom de royaume, tze un magistrat. — Wei-tze était le frère aîné de Sheou. « Conforme », se rattachant. Il s'en alla sauvant ainsi le culte de ses ancêtres.

45. Kong-tze dit :
— Tous trois étaient dévoués au prince Yu.

Commentaire. — Tchou-tze dit : Bien que les actions de ces trois personnes ne soient pas identiques, cependant elles peuvent se ressembler parce qu'elles procèdent d'une même pensée d'affection, vraie, profonde ; tous ainsi pleins de bienveillance et observant la justice, ils portent à sa perfection la vertu de leurs cœurs.

46. Ou-wang était sur le point d'attaquer Tcheou ; portant la main sur son cheval, Pe-y et Shou-tsi lui firent des remontrances. Les gardes à droite et à gauche voulaient les frapper de leurs armes, Tai-kong reprit :
— Ces hommes sont les défenseurs de la justice,
et venant ainsi au secours des princes il les fit échapper.

Commentaire. — Pe-y et Shou-tsi étaient les fils des rois de Kou et de Tchou. Ou-wang conduisit son cheval en face d'eux. Qu'ils frappent, i. e. tuent. Tai-kong était prince de Liu. Pe-y et Shou-tsi disaient par manière d'avertissement : Peut-on qualifier d'humanité l'acte du sujet qui frappe son prince ? Alors Tai-kong répondit qu'ils étaient les représentants du droit.

47. Ou-wang ayant apaisé les troubles du royaume d'Yn, le royaume de Tcheou reçut la domination du monde. Pe-y et Shou-tsi, humiliés (rougissant), ne voulurent pas manger la nourriture du royaume de Tcheou, ils se retirèrent sur le mont Sheou-Yang-shan. Là ils se nourrirent de racines qu'ils arrachaient et moururent de faim.

Commentaire. — Ou-wang l'emporta complètement en une seule fois. — Deux hommes défendirent et maintinrent le droit suprême de dix mille âges. Chacun avait la justice pour lui.

48. Wei-Ling-kong était la nuit auprès de la princesse. Ils entendirent le bruit retentissant d'un char qui s'arrêta lorsqu'il fut arrivé au mur des lieux privés. Lorsqu'il eut passé le bruit se fit entendre de nouveau. Le prince dit à la princesse :
— Sais-tu ce que c'est ?
La princesse répondit :
— C'est Kin-pe-Iu.
Le prince reprit :
— Comment le sais-tu ?
La princesse répondit :
— En écoutant j'ai entendu qu'il descendait à la porte royale selon les rites ; il s'incline vers les chevaux royaux. Il montre ainsi son respect. C'est un sujet fidèle, un fils pieux. Pour l'éclat, au grand jour, il ne sortira pas de la modération. L'obscurité ne lui fera pas apporter de la négligence à ses actions. Kiu-pe-Iu est le vice-roi accompli du royaume de Wei. Il est bon et sage, attentif au service de l'autorité supérieure ; il ne néglige pas les rites à cause de l'obscurité (qui ne permet pas de le voir), c'est ainsi que je l'ai su (que c'était lui).
Kong ayant envoyé un serviteur pour voir (ce qui en était) (on trouva) que c'était Kiu-pe-Iu.

Commentaire. Wei est un nom de royaume. Ling-kong était roi de Wei, son nom familier était Yuen. Il s'agit de la porte royale, de la cour du palais. Kiu-pe-Iu était gouverneur de l'État de Wei ; son nom familier était Yuen. Il passa la porte après être descendu de son char. La porte princière est celle du souverain. « Il s'inclina dans son char », voulant ainsi témoigner son respect toujours maître de lui même. — Lou, i. e. grand, était le nom du cheval du roi. « Le cheval Lou » est ainsi appelé pour l'honorer. « Dans l'éclat », la notoriété. — « Dans l'obscurité », i. e. caché, inconnu. — Le sujet qui sert fidèlement son prince, est comme un fils qui sert ses parents. Un fils pieux qui sert ses parents est comme celui qui sert le ciel. S'il montre sa vigilance quand il est vu des hommes, sera-t-il négligent quand il n'en est pas vu ! (Non certainement.)

49. Tchao-Siang-tze, ayant tué Tchi-pe lui vernit la tête et en fit un vase à boire. Iu-Jang, sujet de Tchi-pe, voulant lui donner un témoignage de reconnaissance, se déguisa en exécuteur et ayant caché un couteau (sous ses vêtements) il vint aux abords du palais de Tchao-Siang feignant d'être un ouvrier travaillant au mur et y entra. Les gens de l'entourage du prince voulaient qu'on le mît à mort. Mais Siang-tze dit :
— Tchi-pe est mort sans descendant ; cet homme est venu pour le venger ; il est vraiment juste et irrépréhensible. Je l'ai évité par ma prudence.

Commentaire. — « Siang-tze » : son nom familier était Ou-Siu : celui de Tchi-pe était Yao. Tous deux étaient gouverneurs au royaume de Tsin. « Siang-tze en fit un vase à boire », les uns disent un vase à vin, d'autres un vase de nuit ; je ne sais bien lequel des deux. L'exécuteur est celui qui a la charge de faire subir les supplices. — Un couteau de chasse, court et large comme s'il en avait brisé le bout. Arrivé au dehors du mur d'enceinte il fit comme recrépissant et réparant avec de la terre. En employant cette ruse Iu-Jang voulait tuer Siang-tze. Ces gens étaient les gens qui entouraient Siang-tze et qui le servaient.

50. Dans la suite Iu-Jang se défigura encore en se vernissant (le visage) et prenant du charbon, il fit le muet et s'en alla dans les chemins en mendiant. Sa femme ne le reconnut pas ; mais ses amis le reconnurent, et les larmes aux yeux, ils lui dirent :
— Seigneur, si dans vos sentiments de vertu vous vous mettez au service de Tchao, vous pourrez donner (à votre ancien maître) ce témoignage de dévouement. Si vous faites pour la seconde fois ce que vous avez médité, que ce soit facile ou non, il est probable que vous vous attirerez sur vous-même un malheur.
Iu Jang répondit :
— Si, après avoir accepté une charge de Siang-tze, je le tuais, ce serait une duplicité de cœur coupable. En agissant ainsi, je couvrirai de honte les fonctionnaires des âges futurs de ce monde qui chériraient la duplicité.

Commentaire. — Si en se défigurant, en faisant le muet et allant mendier il pouvait se rendre méconnaissable, alors il réussirait à tuer Siang-tze. — « Il fut reconnu », on reconnut ses formes, son corps. — Ils lui parlèrent d'une manière unanime, ils savaient que son esprit et son cœur étaient résolus à tirer vengeance. — Tchao-meng est Siang-tze. Si je fais ce que je projette, dit-il, je tuerai Siang-tze. Mais si je suis chargé d'une fonction, je serai comme celui qui plie les genoux. Je veux me (dévouer) jusqu'à la mort.

51. Dans la suite s'étant de nouveau caché sous un pont, voulant tuer Siang-tze, Siang-tze le fit mourir.

Commentaire. La mort de Iu-Jang, sacrifiant son existence, maintint le devoir ; réellement elle fera rougir tous les fonctionnaires des âges suivants qui aimeront la duplicité du cœur.

52. Wang-sun-kien servait Min-wang du royaume de Tchi. Le prince s'étant enfui, Wang-sun-kien ne savait pas où il était. Sa mère lui dit :
— Si tu t'en vas de bon matin et que tu reviennes quand il fait soir je resterai appuyée sur la porte et je veillerai. Si sortant le soir tu ne reviens pas, je resterai à la porte de la maison et je veillerai. Si quand tu es au service du prince, il s'enfuit et que tu ne peux savoir où il est comment reviendras-tu ?

Commentaire. — Wang-Sun est le nom de famille ; Kien était son nom familier. C'était un tai-fou du royaume de Tchi. Le nom familier de Min-wang était Ti. Le royaume d'Yen ayant détruit celui de Tchi, le prince s'enfuit à Kiu. Il fut tué par Nao-Tchi homme du pays de Tchou. La porte (men) est celle de l'intérieur ; la porte de la maison est celle sur le chemin.

53. Alors Wang-sun-kien s'étant rendu sur le marché dit :
— Nao-tchi après avoir mis le trouble au royaume de Tchi a tué Min-wang, si vous voulez venir avec moi tuer Nao-tchi, levez nu le bras droit.
Les gens du marché lui obéirent. Ils partirent avec lui au nombre de quatre cents pour tuer Nao-tchi et le percèrent (de leurs armes).

Commentaire. — Nao, nom de famille ; Tchi, nom d'enfance ; c'était un ministre du royaume de Tchi. Il était secrétaire du royaume de Tchi. « Montrer nu le bras droit », c'est mettre à nu et lever le bras droit. — « Lui obéirent » c'est firent ce qu'il disait, levèrent le bras droit nu.

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Des bonnes actions. Exemples tirés des temps modernes

Illustrations extraites de l'ouvrage de Philibert Dabry de Thiersant : La piété filiale en Chine

Illustration extraite de l'ouvrage de Philibert Dabry de Thiersant :  La piété filiale en Chine
Respect d'une bande de voleurs pour la piété filiale.

Respect d'une bande de voleurs pour la piété filiale.
Kiang-Ke étant encore enfant avait perdu son père et vivait seul avec sa mère. Le monde était tombé dans le trouble; le vol, le brigandage s'élevaient avec insolence. Kiang-Ke emmena sa mère, et fuyant les calamités (du temps), traversa des lieux dangereux et nourrit sa mère en cueillant çà et là (les herbes, fruits, etc.). Ils rencontrèrent différentes fois des voleurs qui les dépouillèrent et voulaient le tuer. Mais Kiang-Ke les supplia en pleurant et d'un ton simple et naïf : J'ai une vieille mère, disait-il. Son accent, ses paroles étaient simples et vraies, il sut toucher et émouvoir ces hommes, et les voleurs ne voulurent pas lui faire du mal. Alors on lui montra le lieu par où il fuirait les soldats, il parvint à se réunir à sa mère en échappant au danger.

Ils rentrèrent dans Hia Pi en faisant un détour, et là, pauvre, dans la peine, tout nu même, et se mettant au service d'autrui pour nourrir sa mère, il n'en faisait pas moins complètement ce qui lui était le plus utile.

Illustration extraite de l'ouvrage de Philibert Dabry de Thiersant :  La piété filiale en Chine
Un bon fils.

Un bon fils. Sioei-Pao aimait l'étude, il avait un caractère ferme et stable. Son père ayant pris une seconde femme, conçut une haine violente contre son fils et voulait le chasser de la maison. Mais Sioei-Pao, pleurant et sanglotant jour et nuit, ne voulait pas s'en aller. Ayant été criblé de coups par son père, il se réfugia hors du jardin et s'y fit une petite hutte. Le matin il rentra et se mit à nettoyer et arroser. Son père se mit en colère et le chassa de nouveau. Alors il se réfugia à la porte du carrefour et ne cessa de venir soir et matin. Cela dura une année et plus ; alors son père et sa mère rougissant (de leur conduite) le reprirent chez eux. Lorsque plus tard il en porta le deuil il témoigna une douleur extrême.
Après cela ses frères cadets et leurs fils lui demandèrent de partager les biens de la famille pour s'établir chacun séparément. Sioei-Pao ne pouvant les arrêter fit le partage des biens. Des esclaves il prit les plus âgés, disant :
— Ils ont depuis longtemps conduit les affaires avec moi. Vous autres vous ne pourriez les employer.
Des champs et maisons il prit pour lui ce qui était stérile et délabré, en disant :
— Je les ai eus quand j'étais enfant, mon esprit y est fait.
Des vases et autres objets, il prit pour lui ce qui était gâté et endommagé, en disant :
— J'ai employé, j'ai mangé ces choses depuis toujours ; elles sont agréables à mon palais, à tout moi-même.
Bien que ses frères cadets eussent dissipé leur patrimoine plusieurs fois, il vint à leur secours itérativement et les combla de dons.

Illustration extraite de l'ouvrage de Philibert Dabry de Thiersant :  La piété filiale en Chine
Dévouement d'une bru pour sa belle-mère.

Dévouement d'une bru pour sa belle-mère. Tchen-Hiao-fou, de la dynastie de Han, n'avait que seize ans quand elle prit un époux. Elle n'avait point encore d'enfant lorsque son mari dut partir pour aller défendre la frontière. Sur le point de partir, il dit à Tchen-Hiao-fou :
— Je ne puis prévoir si je mourrai ou survivrai. J'ai heureusement une vieille mère, mais je n'ai personne d'autre, aucun frère pour l'entretenir et protéger. Si je ne reviens plus, entretiendrez-vous ma vieille mère ?
Tchen-Hiao-fou lui répondit qu'elle le ferait certainement.
Son époux mourut et ne revint point. Tchen-Hiao-fou entretint sa belle-mère avec le plus grand soin ; et la tendresse, l'affection, grandissant toujours elle créa des ressources pour sa maison en filant, tressant et cousant, et persévéra de la sorte jusqu'à la fin sans jamais penser à se remarier.
Après trois ans de deuil, ses père et mère (voyant qu')elle n'avait pas de petits enfants, triste de la voir veuve depuis si longtemps, voulaient la remarier. Elle leur répondit :
— Quand mon mari est parti pour la guerre il m'a chargé d'entretenir sa vieille mère. Moi je le lui promis ; je ne puis donc cesser de le faire. Une fois que l'on a fait cette promesse, si l'on ne sait pas y être fidèle, on n'est plus digne de rester en ce monde. (Plutôt que de le faire) je me tuerais.
Alors ses père et mère craignant (de l'entraîner au mal) ne la marièrent point. Elle entretint sa belle-mère pendant vingt-huit ans. La vieille dame était âgée de plus de quatre-vingts ans quand elle mourut. Tchen-Hiao-fou vendit tous ses biens, sa maison, ses champs et tout le reste, et ayant enterré sa belle-mère, elle continua jusqu'à la fin à offrir des sacrifices et des offrandes en son honneur.
Le préfet de Hoai-Yang ayant appris (ce fait) envoya l'un de ses gens lui donner quarante onces d'or et l'exempta de tout tribut jusqu'à la fin. Comme elle s'était négligée elle-même (pour soigner sa belle-mère), on lui donna le titre d'honneur de hiao-fou.

Illustration extraite de l'ouvrage de Philibert Dabry de Thiersant :  La piété filiale en Chine
Recherche d'un mère par son fils

Recherche d'un mère par son fils. Tsou-Sheou-Tchang était âgé de sept ans, lorsque son père étant chef de district à Yong-tcheou, répudia sa mère et prit une autre femme. La mère et le fils restèrent cinquante ans sans se voir. Tsou-Sheou-Tchang ne cessa point de la chercher dans toutes les directions. Il s'abstint complètement de boire du vin et de manger de la viande. Quand il parlait de sa mère devant quelqu'un les larmes lui coulaient des yeux aussitôt.
Au commencement du temps dit Hi-Ning, ayant abandonné ses fonctions, il alla au pays de Tchin. En quittant les gens de sa maison, il jura qu'il ne reviendrait pas s'il ne retrouvait pas sa mère. Étant allé dans son voyage, à Tong-tcheou il la retrouva. Lio-shi était alors âgée de soixante-dix ans. Le préfet de Yong-tcheou, Tchiang-Ming-Y, ayant fait connaître ce fait dans un rapport, il fut porté un décret (qui) rétablit Tsou-Sheou-Tchang dans sa charge. Et ainsi l'univers connut la piété filiale de ce (vertueux jeune homme).
Tsou-Sheou-Tchang fut donc de nouveau préfet de district. Dans la suite, à cause de sa mère, il devint tong-pan de Ho-Tchong-fou, et reçut chez lui les frères et sœurs cadets de sa mère, et plusieurs années après, sa mère mourut. Il se détruisit les yeux d'autant plus par ses pleurs et ses sanglots, il chérit d'autant plus sincèrement aussi ses frères et sœurs. Il acheta pour eux un champ et une maison et les y établit : de plus en plus il témoignait sa famille sa sollicitude et ses soins. Il maria deux filles orphelines de ses frères. Ne pouvant plus enterrer le corps de sa mère, il enterra plusieurs cadavres. La nature céleste était certainement en lui.

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