Lunyu, Entretiens de Confucius et de ses disciples

Troisième des Seu Chou, Les Quatre Livres. Traduit par Séraphin COUVREUR (1835-1919)
Club des Libraires de France, Paris, mai 1956, publié à partir de l’édition : Les Humanités d’Extrême-Orient, Cathasia, série culturelle des Hautes Études de Tien-Tsin, LES BELLES LETTRES, Paris.


Séraphin Couvreur : Ce livre contient les enseignements de Confucius, les questions et les réponses qui ont été faites sur l’étude de la sagesse et le gouvernement de l’État dans les entretiens du philosophe avec ses disciples, avec les princes et les ministres de son temps, et qui ont été écrites par ses disciples. Voilà pourquoi ce recueil est intitulé « Explications et Réponses ».

Le philosophe Koung était de la principauté de Lou. Son nom de famille était K’oung, son nom propre Kiou et son surnom Tchoung gni. Son père Chou leang Ho avait d’abord épousé une fille de la famille Cheu, qui lui avait donné neuf filles, mais pas de garçon. Il avait eu d’une femme de second rang un fils, nommé Meng pi, qui était boiteux. Ensuite il demanda en mariage une fille de la famille Ien. Cette famille, qui avait trois filles, lui donna la plus jeune, nommée Tcheng tsai. Tcheng tsai, ayant prié sur le mont Gni k’iou, donna le jour à Confucius, qui pour cette raison fut nommé Kiou.

Avant sa naissance, à K’iue li, son pays natal, une licorne vomit un livre orné de pierres précieuses. On y lut ces mots : « Un enfant, formé des parties les plus subtiles de l’eau, soutiendra l’empire ébranlé de la dynastie des Tcheou et sera roi sans royaume. » La mère de Confucius fut étonnée de ce prodige. Avec un cordon de soie, elle lia par la corne le mystérieux animal, qui disparut au bout de deux nuits.

La nuit de sa naissance, deux dragons entourèrent le toit de la maison. Cinq vieillards descendirent dans la cour. Leurs corps étaient formés des éléments les plus purs des cinq planètes. Auprès des appartements de la mère, on entendit le chant du Céleste Potier. Des voix dans les airs prononcèrent ces mots : « Le Ciel accorde à la prière la naissance d’un fils parfaitement sage. »

Extraits : Confucius et Tzeu koung - Le Maître dit

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Confucius et Tzeu koung


V.3. Tzeu koung demanda :
— Que dites-vous de moi ?
Le Maître répondit :
— Vous êtes un vase.
Tzeu koung reprit :
— Quel vase ?
— Un vase pour les offrandes, dit Confucius.

V.8. Le Maître dit à Tzeu koung :
— Lequel des deux l’emporte sur l’autre, de vous ou de Houei ?
Tzeu koung répondit :
— Comment oserais-je me mettre en parallèle avec Houei ? Il suffit à Houei d’entendre expliquer une chose pour qu’il en comprenne dix. Moi, quand j’en ai entendu expliquer une, je n’en comprends que deux.
Le Maître dit :
— Vous lui êtes inférieur ; je suis de votre avis, vous lui êtes inférieur.

V.11. Tzeu koung dit :
— Ce que je ne veux pas que les autres me fassent, je désire ne pas le faire aux autres.
Le Maître répondit :
— Seu, vous n’avez pas encore atteint cette perfection.

V.12. Tzeu koung dit :
— Il est donné à tous les disciples d’entendre les leçons du Maître sur la tenue du corps et les bienséances, mais non ses enseignements sur la nature de l’homme et l’action du Ciel.

VI.28. Tzeu koung dit :
— Que faut-il penser de celui qui répandrait partout ses bienfaits parmi le peuple et pourrait aider tous les hommes sans exception ? Pourrait-on dire qu’il est parfait ?
Le Maître répondit :
— Aider tous les hommes sans exception, est-ce une chose qui soit possible à la vertu parfaite ? Pour y parvenir, ne faudrait-il pas la plus haute sagesse, unie à la plus grande puissance ? Iao et Chouenn eux-mêmes avaient la douleur de ne pouvoir le faire. Un homme parfait veut se tenir ferme lui-même, et il affermit les autres ; il désire comprendre lui-même ses devoirs, et il instruit les autres. La vertu parfaite consiste, non pas à secourir tous les hommes sans exception, ce qui est impossible ; mais à juger des autres par soi-même et à les traiter comme on désire être traité soi-même.

IX.12. Tzeu koung dit à Confucius :
— S’il y avait ici une belle pierre précieuse, la mettriez-vous dans un coffre, et la tiendriez-vous cachée, ou bien chercheriez-vous un acheteur qui en donnât un prix élevé ?
Le Maître répondit :
— Je la vendrais, certainement je la vendrais ; mais j’attendrais qu’on m’en offrît un prix convenable.

XI.15. Tzeu koung demanda lequel des deux était le plus sage, de Cheu ou de Chang. Le Maître répondit :
— Cheu va au-delà des limites ; Chang reste en-deçà.
Tzeu koung reprit :
— D’après cela, Cheu l’emporte-t-il sur Chang ?
Le Maître répondit :
— Dépasser les limites n’est pas un moindre défaut que de rester en-deçà.

XII.7. Tzeu koung interrogea Confucius sur l’administration des affaires publiques. Le Maître répondit :
— Celui qui administre les affaires publiques doit avoir soin que les vivres ne manquent pas, que les forces militaires soient suffisantes, que le peuple lui donne sa confiance.
Tzeu koung dit :
— S’il est absolument nécessaire de négliger une de ces trois choses, laquelle convient-il de négliger ?
— Les forces militaires, répondit Confucius.
— Et s’il est absolument nécessaire d’en négliger encore une seconde, dit Tzeu koung, quelle sera-t-elle ?
— Les vivres, répondit Confucius, car de tout temps les hommes ont été sujets à la mort, mais si le peuple n’a pas confiance en ceux qui le gouvernent, c’en est fait de lui.

XII.22. Tzeu koung ayant interrogé Confucius sur l’amitié, le Maître dit :
— Avertissez vos amis avec franchise, et conseillez-les avec douceur. S’ils n’approuvent pas vos avis, arrêtez ; craignez de vous attirer un affront.

XIII.20. Tzeu koung demanda ce qu’à fallait faire pour mériter d’être appelé disciple de la sagesse. Le Maître répondit :
— Celui-là mérite d’être appelé disciple de la sagesse qui dans sa conduite privée a de la pudeur et, dans les missions qui lui sont confiées en pays étrangers, ne déshonore pas le prince qui l’a envoyé.
Tzeu koung dit :
— Permettez-moi de vous demander quel est celui qui vient immédiatement après le disciple de la sagesse.
— C’est, répondit Confucius, celui dont la piété filiale est attestée par tous les membres de la famille, et dont le respect pour les aînés et les supérieurs est loué par tous les habitants du bourg et tous les voisins.
Tzeu koung dit :
— Permettez-moi de vous demander quel est celui qui vient au troisième rang.
Confucius répondit :
— Un homme sincère dans ses paroles, obstiné dans ses actions, est sans doute un homme opiniâtre, vulgaire ; cependant il peut être placé au troisième rang.
Tzeu koung dit :
— Que faut-il penser de ceux qui administrent à présent les affaires publiques ?
Le Maître répondit :
— Hélas ! ce sont des hommes d’un esprit étroit. Méritent-ils d’être comptés pour quelque chose ?

XIII.24. Tzeu koung demanda ce qu’il fallait penser d’un homme qui est aimé de tous les habitants de son pays. Le Maître répondit :
— Cela ne prouve pas suffisamment sa vertu.
Tzeu koung reprit :
— Que faut-il penser d’un homme en butte à la haine de tous les habitants de son pays ?
Le Maître répondit :
— Ce n’est pas une preuve certaine de sa vertu. On pourrait à plus juste titre estimer vertueux celui qui dans son pays est aimé de tous les hommes de bien et haï de tous les hommes vicieux.

XIV.31. Tzeu koung s’occupait à juger les autres. Le Maître dit :
— Seu  est donc déjà un grand sage ! Moi, je n’ai pas le temps.

XV.23. Tzeu koung demanda s’il existait un précepte qui renfermât tous les autres, et qu’on dût observer toute la vie. Le Maître répondit :
— N’est-ce pas le précepte d’aimer tous les hommes comme soi-même ? Ne faites pas à autrui ce que vous ne voulez pas qu’on vous fasse à vous-même.

XVII.23. Tzeu koung dit :
— Est-il des hommes qui soient odieux au sage ?
Le Maître répondit :
— Oui. Le sage hait ceux qui publient les défauts ou les fautes d’autrui ; il hait les hommes de basse condition qui dénigrent ceux qui sont d’une condition plus élevée ; il hait les hommes entreprenants qui violent les lois ; il hait les hommes audacieux qui ont l’intelligence étroite.
Le Maître ajouta :
— Et vous, Seu, avez-vous aussi de l’aversion pour certains hommes ?
— Je hais, répondit Tzeu koung, ceux qui observent la conduite des autres, croyant que c’est prudence ; je hais ceux qui ne veulent jamais céder, s’imaginant que c’est courage ; je hais ceux qui reprochent aux autres des fautes secrètes, pensant que c’est franchise.

XIX.24. Chou suenn On chou dépréciait Confucius. Tzeu koung dit :
— Toutes ses paroles n’auront aucun effet. La détraction ne saurait diminuer la réputation de Tchoung gni. La sagesse des autres hommes est comme une colline ou un monticule qu’il est possible de gravir. Tchoung gni est comme le soleil et la lune ; personne ne peut s’élever au-dessus de lui. Quand même on se séparerait de lui en rejetant sa doctrine, quel tort ferait-on à celui qui brille comme le soleil et la lune ? On montrerait seulement qu’on ne se connaît pas soi-même.

XIX.25. Tch’enn Tzeu k’in dit à Tzeu koung :
— C’est par modestie que vous mettez Tchoung gni au-dessus de vous. Est-ce qu’il est plus sage que vous?
Tzeu koung répondit :
— Une parole d’un disciple de la sagesse suffit pour faire juger qu’il est prudent ; une parole dite inconsidérément suffit pour faire juger qu’il manque de prudence. Il faut faire attention à ses paroles. Personne ne peut égaler notre maître, de même que personne ne peut s’élever jusqu’au ciel avec des échelles. Si notre maître avait eu un État à gouverner, il aurait, comme on dit, pourvu à la nourriture du peuple, et le peuple aurait trouvé la nourriture ; il aurait dirigé le peuple, et le peuple aurait marché en avant ; il aurait procuré la tranquillité au peuple, et le peuple l’aurait aimé et respecté ; il aurait excité le peuple à la vertu, et le peuple aurait vécu en bonne intelligence ; il aurait été honoré pendant sa vie, et pleuré après sa mort. Qui peut l’égaler ?

*

Le Maître dit :


Celui qui cultive la sagesse et ne cesse de la cultiver n’y trouve-t-il pas de la satisfaction ? Si des amis de la sagesse viennent de loin recevoir ses leçons, n’éprouve-t-il pas une grande joie ? S’il reste inconnu des hommes et n’en ressent aucune peine, n’est-il pas un vrai sage ?

Celui qui par des discours étudiés et un extérieur composé cherche à plaire aux hommes ruine ses vertus naturelles.

Un jeune homme, dans la maison, doit aimer et respecter ses parents. Hors de la maison, il doit respecter ceux qui sont plus âgés ou d’un rang plus élevé que lui. Il doit être attentif et sincère dans ses paroles ; aimer tout le monde, mais se lier plus étroitement avec les hommes vertueux. Ces devoirs remplis, s’il lui reste du temps et des forces, qu’il les emploie à l’étude des lettres et des arts libéraux.

Si celui qui cultive la sagesse manque de gravité, il ne sera pas respecté et n’acquerra qu’une connaissance superficielle de la vertu. Qu’il mette au premier rang la fidélité et la sincérité ; qu’il ne lie pas amitié avec des hommes qui ne lui ressemblent pas  ; s’il tombe dans un défaut, qu’il ait le courage de s’en corriger.

Un fils doit consulter la volonté de son père, tant que son père est en vie, et ses exemples, quand il est mort. Si durant trois ans après la mort de son père, il imite sa conduite en toutes choses, on pourra dire qu’il pratique la piété filiale.

Le sage ne s’afflige pas de ce que les hommes ne le connaissent pas ; il s’afflige de ne pas connaître les hommes.

Celui qui gouverne un peuple en lui donnant de bons exemples est comme l’étoile polaire qui demeure immobile, pendant que toutes les autres étoiles se meuvent autour d’elle.

Les odes du Cheu king sont au nombre de trois cents. Un seul mot les résume toutes : « Avoir des intentions droites. »

A quinze ans, je m’appliquais à l’étude de la sagesse ; à trente ans, je marchais d’un pas ferme dans le chemin de la vertu ; à quarante ans, j’avais l’intelligence parfaitement éclairée ; à cinquante ans, je connaissais les lois de la Providence ; à soixante ans, je comprenais, sans avoir besoin d’y réfléchir, tout ce que mon oreille entendait ; à soixante-dix ans, en suivant les désirs de mon cœur, je ne transgressais aucune règle.

Si l’on considère les actions d’un homme, si l’on observe les motifs qui le font agir, si l’on examine ce qui fait son bonheur, pourra-t-il cacher ce qu’il est ?

Celui qui repasse dans son esprit ce qu’il sait déjà, et par ce moyen acquiert de nouvelles connaissances, pourra bientôt enseigner les autres.

Le sage commence par faire ce qu’il veut enseigner ; ensuite il enseigne.

Le sage aime tous les hommes et n’a de partialité pour personne. L’homme vulgaire est partial et n’aime pas tous les hommes.

Entendre ou lire sans réfléchir est une occupation vaine ; réfléchir, sans livre ni maître, est dangereux.

Iou, voulez-vous que je vous enseigne le moyen d’arriver à la science véritable ? Ce qu’on sait, savoir qu’on le sait ; ce qu’on ne sait pas, savoir qu’on ne le sait pas : c’est savoir véritablement.

Celui-là se rend coupable d’adulation, qui sacrifie à un esprit auquel il ne lui appartient pas de sacrifier. Celui-là manque de courage, qui néglige de faire une chose qu’il sait être de son devoir.

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