Cheu King [Shi jing]

Traduit du chinois par Séraphin COUVREUR (1835-1919)

Éditions Kuangchi Press, 4e édition, 1966, 556 pages.
Première édition : Ho kien Fou, Imprimerie de la Mission Catholique, 1896. .

  • Couvreur : "Le Cheu kīng se divise en quatre parties intitulées Kouŏ fōung, Siaò ià, Tá ià, Sóung. Il comprend trois cent cinq chants p’iēn, et les titres de six chants ou de six morceaux de musique qui n’existent plus. Ces poésies avaient été recueillies par les maîtres de musique à la cour impériale, et étaient chantées dans les fêtes et les cérémonies. Confucius les revit, les corrigea, et confia son travail à Tzèu hià, l’un de ses disciples. Tzeu hia ajouta une courte explication ou préface Siù."
  • "Le Cheu king, comme la plupart des anciens monuments littéraires, fut condamné aux flammes par Ts’în Chéu houàng (246 209). Mais, parce qu’il était en vers rimés et chantés, il se conserva dans la mémoire des lettrés encore plus facilement que les autres livres. Aussi, dès les commencements de la dynastie des Hán, au deuxième siècle avant notre ère, il en parut quatre versions."
  • Confucius : « Mes enfants, pourquoi n’étudiez vous pas le Cheu king ? Ce livre nous porte à pratiquer la vertu, à nous examiner nous mêmes. Il nous apprend à traiter convenablement avec les hommes, à nous indigner quand il le faut, à remplir nos devoirs envers nos parents et notre prince. Il nous fait connaître beaucoup d’animaux et de plantes. »
  • Granet, La pensée chinoise : "La tradition orthodoxe affirme, d’autre part, l’unité de l’inspiration. Tous les poèmes du Kouo fong auraient été composés et chantés à l’occasion de circonstances historiques définies et du reste bien connues. Tous posséderaient à la fois un intérêt politique et une valeur rituelle, car ils auraient eu pour objet de dicter aux princes leur conduite et de la rendre conforme aux bonnes mœurs. Cette doctrine traditionnelle a le mérite de mettre en évidence le caractère religieux commun à toutes ces poésies. Ce caractère est essentiel : il explique seul la conservation de ces poèmes et l’utilisation qui en a été faite au cours de l’histoire chinoise, car le Che king est le classique qui inspire le plus de respect ; on y trouve, mieux que dans les rituels eux mêmes, des principes de conduite."

Extraits : Première partie : Kouo foung - Deuxième partie : Siao ia - Troisième partie : Ta ia - Quatrième partie : Soung - Notice. Sur les vêtements
Feuilleter
Télécharger

*

Première partie. Kouo foung

Le titre de cette première partie est plus facile à expliquer qu’à traduire en termes équivalents. Les expressions Mœurs des royaumes ou des principautés, Enseignements des royaumes, Chants populaires des principautés, ne rendent que d’une manière imparfaite la signification de ces deux mots Kouo foung.

2. KO T’AN


La princesse T’ai Seu, femme de Wenn wang, a terminé ses travaux d’été. Elle les chante, et se prépare à aller revoir ses parents.


1. (A la fin du printemps), le dolic se répandant peu à peu s’étendait jusqu’au milieu de la vallée ; ses feuilles étaient verdoyantes. Les oiseaux jaunes (peut être les loriots) volaient çà et là, et se réunissaient sur les massifs d’arbres. Leurs voix chantant de concert retentissaient au loin.

2. (En été) les tiges rampantes du dolic s’étendaient jusqu’au milieu de la vallée ; ses feuilles étaient belles et nombreuses. Je l’ai coupé et fait bouillir ; j’en ai tissé deux sortes de toiles, l’une fine, l’autre grossière. J’en ai fait des vêtements que je ne me lasserai pas de porter.

3. J’ai averti ma maîtresse ; elle a fait connaître au prince mon désir de retourner à la maison paternelle. Je nettoierai mes vêtements ordinaires et laverai mes vêtements de cérémonie. (Voyons) quels sont ceux qui ont besoin d’être lavés, et quels sont ceux qui n’en ont pas besoin. Je retournerai à la maison saluer mon père et ma mère.

3. KIUEN EUL


T’ai Seu se désole en l’absence de son époux. Elle pense tellement à lui qu’elle ne peut donner son attention à nul autre objet, et cherche en vain à se distraire de sa peine.


1. J’essaie à plusieurs reprises de cueillir de la bardane (ou de la lampourde) ; je n’en remplis pas même une corbeille plate à bords déprimés. Hélas ! je pense à mon époux, et laisse ma corbeille sur la grand’route.

2. Je veux gravir cette montagne semée de rochers (pour voir si mon époux revient) ; mes chevaux malades ne peuvent la monter. Alors je remplis une coupe du vin de cette amphore dorée, afin de dissiper les pensées qui m’importunent.

3. Je veux gravir cette haute colline ; mes chevaux sont malades et de noirs devenus jaunes. Alors je remplis de vin cette corne de rhinocéros, afin de dissiper ma douleur.

4. Je veux gravir cette montagne composée de roches recouvertes de terre ; mes chevaux malades ne peuvent avancer. Le conducteur de ma voiture n’a pas la force de marcher. Oh ! comme je gémis !

12. TS’IO TCH’AO


Un jeune prince va épouser la fille d’un prince voisin. Les personnes de son palais exaltent la vertu de sa fiancée, la comparent à la tourterelle, et lui font une réception pompeuse, une cérémonie en rapport avec son mérite.


1. La pie a fait son nid ; la tourterelle l’occupe. Cette jeune fille va célébrer ses noces ; cent voitures (de la maison de son fiancé) vont l’inviter et l’amener.

2. La pie a fait son nid ; la tourterelle en jouit. Cette jeune fille va célébrer ses noces ; cent voitures (de la maison de son père) forment son escorte.

3. La pie a fait son nid ; la tourterelle le remplit de sa progéniture. Cette fille va célébrer ses noces ; des centaines de voitures lui font un cortège complet, (et une suite nombreuse de dames des deux principautés remplit le palais de son époux).

17. HING LOU


Une jeune fille a été promise en mariage à un jeune homme. Celui-ci l’accuse en justice, et veut la forcer à célébrer les noces, avant d’avoir accompli toutes les cérémonies des fiançailles. Elle refuse absolument d’enfreindre ainsi les usages.


1. Les chemins sont tout humides de rosée. Pourquoi refusé-je de sortir dès le matin au point du jour (c’est-à-dire de célébrer mes noces sans retard) ? C’est que sur les chemins la rosée est très abondante (c’est-à-dire ce serait une faute grave de célébrer les noces avant l’entier accomplissement des cérémonies des fiançailles, je ne veux pas m’en rendre coupable).

2. Qui dira jamais que le moineau n’a pas de cornes ? (On dit communément : S’il n’avait pas de cornes), comment pourrait-il percer mon toit ? (De même, en voyant que tu me cites devant les tribunaux), qui dira que tu n’as pas contracté avec moi des fiançailles selon toutes les règles ? (Au jugement de tous, si les règles n’avaient pas été entièrement observées), comment pourrais tu me citer en justice ? Tu auras beau me citer en justice ; (de même que, contrairement à l’opinion vulgaire, il est certain que le moineau n’a pas de cornes ; de même, contrairement aux discours publics, il est certain que) les cérémonies des fiançailles n’ont pas toutes été accomplies.

3. Qui dira jamais que le rat n’a pas de dents molaires (ou plutôt de dents canines ? S’il n’avait pas de dents canines, dit-on), comment percerait il mon mur ? (De même, en voyant que tu m’accuses devant les tribunaux), qui dira que tu n’as pas accompli toutes les cérémonies des fiançailles ? (Si tu ne les avais pas accomplies, pense t on), comment pourrais tu me citer en justice ? Bien que tu me cites en justice, je ne te suivrai pas.

26. PE TCHEOU


Dans cette pièce, d’après Mao Tch’ang et d’autres anciens interprètes, un officier fidèle se plaint de n’avoir pas la confiance de son prince ; d’après les modernes, une princesse se plaint de n’avoir pas les bonnes grâces de son époux.


1. Cette barque de bois de cyprès, ballottée avec violence, erre à la merci des flots. J’ai l’esprit troublé et ne puis dormir, comme si j’éprouvais une cruelle douleur. Le vin ne me manque pas pour me distraire et me récréer, (mais rien ne peut dissiper mon chagrin).

2. Mon cœur n’est pas un miroir ; je n’y puis découvrir la cause de ma disgrâce. J’ai des frères, mais je ne puis compter sur eux. Quand je vais leur exposer un peu mon infortune, leur colère éclate contre moi.

3. Mon cœur n’est pas une pierre qui roule ; il n’est pas versatile. Mon cœur n’est pas une natte qui s’enroule ; il ne manque pas de droiture. Ma tenue et ma conduite sont admirables ; elles n’ont rien de répréhensible.

4. Le chagrin tourmente mon cœur ; une troupe de personnes viles me poursuit de sa haine. J’ai vu beaucoup d’afflictions et souffert bien des outrages. Je pense à mon malheur dans le silence ; quand je m’éveille, (accablée de douleur) je me frappe la poitrine.

5. Pourquoi est-ce le soleil et non la lune qui décroît ou s’éclipse ? (Pourquoi dois-je céder la place à ces personnes viles) ? Le chagrin étreint mon cœur comme un vêtement souillé s’attache au corps. Je réfléchis en silence ; je ne puis prendre mon essor et m’envoler d’ici.

38. KIEN HI


Un officier de Wéi, réduit à exercer le métier de chef de pantomimes, décrit ironiquement ses fonctions, et accuse le prince de ne pas conférer les charges aux hommes de talent d’après leur mérite.


1. Sans façon, sans gêne (sans tenir compte de ma dignité), me voici prêt à exécuter différents chants avec pantomime. Midi approche ; je suis au premier rang (sur la scène), à l’endroit le plus élevé.

2. D’une taille grande et imposante, j’exécute dans la cour du palais différents chants avec accompagnement de pantomime. Je suis fort comme un tigre ; les rênes des chevaux sont comme des rubans entre mes doigts.

3. De la main gauche je tiens une flûte, et de la droite une plume de faisan. Mon visage est d’un rouge foncé, comme s’il était peint. Le prince ordonne de m’offrir une coupe de vin en récompense.

4. Le coudrier croît sur les montagnes et la réglisse dans les endroits marécageux. (Chaque plante trouve le lieu qui lui convient. Tout homme devrait avoir un emploi en rapport avec ses aptitudes). Savez vous à qui je pense ? Je pense aux excellents princes de l’occident (aux anciens princes de Tcheou qui prenaient soin de rechercher et de bien employer les hommes de talent). Oh ! Qu’ils étaient admirables, ces princes de l’occident !

45. PE TCHEOU


Après la mort de Kōung Pĕ, héritier présomptif de Hī, prince de Wéi, sa veuve Kōung Kiāng jura de ne pas se remarier, et résista aux sollicitations pressantes de ses propres parents. « Une barque vogue dans un endroit déterminé, dit elle ; de même une veuve ne doit jamais passer à un second mari. »


1. Cette barque de bois de cyprès qui se balance sur l’eau, garde toujours le milieu du Fleuve. Ce prince, avec ses deux touffes de cheveux pendants, était et sera toujours mon unique époux. Je le jure, jamais je ne changerai de résolution. Ma mère est pour moi bonne comme le ciel ; mais elle ne croit pas à ma persévérance.

2. Cette barque de bois de cyprès qui se balance sur l’eau, suit toujours cette rive du Fleuve. Ce prince, avec ses deux touffes de cheveux pendants, était et restera toujours mon unique époux. Je le jure, jamais je ne me rendrai coupable d’inconstance. Ma mère est pour moi bonne comme le ciel ; mais elle ne croit pas à ma persévérance.

54. TSAI TCH’EU


Une fille de Houân, prince de Wéi, et de Siuēn Kiāng était mariée à Mŏu, prince de Hiù. Ses parents étant déjà morts, elle apprend que la principauté de Wei a été ravagée par les barbares du nord. Elle veut aller consoler son frère, qui s’est retiré dans la ville de Ts’aô. Elle se met en marche, bien que les usages ne permettent pas à une femme mariée de retourner à la maison paternelle après la mort de ses parents. Au milieu de la route, elle est rappelée par un grand préfet. Elle exprime sa douleur dans ce chant.


1. Je voyage rapidement et presse la course de mes chevaux ; je veux retourner au pays natal et consoler le prince de Wei. À force de presser mes coursiers, je suis déjà loin, et j’espère aller jusqu’à Ts’ao. Mais le grand préfet est venu par terre et par eau ; mon cœur en est dans l’affliction.

2. Grand préfet, puisque vous n’approuvez pas ma détermination, je ne puis retourner dans mon pays. Mais, malgré cette désapprobation, la pensée du retour ne me quittera pas. Puisque vous n’approuvez pas ma détermination, je ne puis traverser l’eau et retourner dans mon pays. Mais, malgré cette désapprobation, je ne cesserai de penser au retour.

3. Je monte sur cette colline qui est plus élevée d’un côté que de l’autre ; j’y cueille des lis (pour dissiper ma tristesse). Beaucoup de pensées envahissent mon esprit de jeune fille ; chacune d’elles peut être mise à exécution. Les habitants de Hiu me blâment ; ils sont tous jeunes et inconsidérés dans leurs jugements.

4. Je traverse cette plaine, où le blé est déjà grand : Je voudrais gagner un prince puissant (à la cause du prince de Wei). Mais en qui mettrai-je mon appui ? A qui aurai-je recours ? Vous, grand préfet, et vous tous, habitants de Hiu, cessez de me blâmer. Tous vos plans ne valent pas mon dessein de retourner dans mon pays.

*

Deuxième partie, Siao ia. Troisième partie, Ta ia.

signifie tchéng correct, convenable, bienséant. Siaò ià Ce qui convient dans les circonstances ordinaires. Tà ià Ce qui convient dans les grandes circonstances. Deuxième partie du Cheu king : Siao ia. Troisième partie du Cheu king : Ta ia.

Les chants qui composent ces deux parties du Cheu king, étaient exécutés à la cour impériale, les premiers, Siaò ià, dans les festins, les seconds, Tà ià, dans les réunions des princes tchōu heôu et dans les cérémonies en l’honneur des ancêtres. Les uns et les autres étaient réservés à l’empereur. Les princes et même les ministres d’État se sont quelquefois permis d’en faire usage ; mais c’était une usurpation, un abus introduit par suite de la décadence de la dynastie des Tcheou.

Le Siaò ià se divise en huit chĕu décades ou huit livres contenant chacun dix chants et désignés respectivement par les premiers mots du premier chant.

Les vingt-deux premiers chants célèbrent des faits qui se passèrent sous les règnes de Wenn wang, de Ou wang et de Tch’eng wang, et l’on pense que Tcheou koung en est l’auteur.

161. LOU MING


L’empereur donne un festin à ses ministres et aux envoyés des princes feudataires. Il compare ses invités à une troupe de cerfs qui brament ensemble et broutent l’herbe dans la plaine.


1. Les cerfs brament de concert et broutent le cresson dans la plaine. J’ai d’excellents convives ; pour eux on touche le luth, on joue de la flûte. On joue de la flûte ; toutes les lamelles retentissent. Des corbeilles pleines de présents sont offertes aux convives. Ils m’aiment, ils m’enseigneront la grande voie (les principes de la sagesse).

2. Les cerfs brament de concert et broutent l’armoise dans la plaine. J’ai d’excellents convives ; leur vertu brille d’un grand éclat. Ils apprennent au peuple à ne pas se conduire d’une manière abjecte ; ils sont la règle et le modèle des officiers. J’ai un vin exquis ; je l’offre dans ce festin à mes excellents convives, afin qu’il se réjouissent.

3. Les cerfs brament de concert et broutent la plante k’în dans la plaine. J’ai d’excellents convives; pour eux on touche le luth et la guitare. On touche le luth et la guitare ; la concorde et l’allégresse règnent, la réjouissance se prolonge. J’ai un vin exquis ; je le sers dans ce banquet à mes excellents convives, afin de réjouir leurs cœurs.

177. LOU IUE


Expédition contre les Hien iun, barbares du nord.


1. Au sixième mois de l’année, il y eut grand empressement. On prépara les chars de guerre avec leurs quatre chevaux robustes. On y mit les vêtements ordinaires (le bonnet et la tunique de peau que les soldats prennent au moment du combat). Les Hien iun faisaient une invasion furieuse ; nous devions nous hâter. L’empereur avait ordonné l’expédition pour maintenir l’ordre et la paix dans l’empire.

2. Les quatre chevaux noirs de chaque attelage étaient de même force, bien exercés et habitués à suivre toutes les règles. Dès ce sixième mois, nos vêtements militaires furent achevés. Nos vêtements achevés, nous fîmes trente stades par jour. L’empereur avait ordonné cette expédition pour maintenir l’autorité du Fils du ciel.

3. Les quatre chevaux de chaque voiture étaient grands, corpulents ; ils avaient la tête grosse. Nous avons battu les Hien iun et bien mérité de notre pays. Notre chef a dirigé l’expédition avec une sévère exactitude. Il a dirigé l’expédition et affermi l’empire.

4. Les Hien iun, sans mesurer leurs forces, avaient occupé Tsiao et Hou, envahi Hao et Fang, et pénétré jusqu’au nord de la King. Nos étendards aux figures de faucons étaient déployés ; les bordures de nos bannières aux figures de tortues et de serpents brillaient comme neuves. Dix grands chars de guerre ouvraient la marche.

5. Nos chars de guerre étaient bien équilibrés, également hauts par devant et par derrière. Leurs quatre chevaux étaient robustes ; ils étaient robustes et bien exercés. Ki fou excelle dans l’administration civile et dans le commandement militaire ; il est le modèle de tout l’empire.

6. Ki fou fête et se réjouit ; il est très heureux. Nous sommes revenus de Hao ; notre voyage a duré longtemps. Ki fou offre à tous ses amis du vin, des tortues grillées, des carpes hachées. Et quel est le principal invité ? C’est Tchang Tchoung, le modèle des fils et des frères (l’ami de Ki fou).

183. MIEN CHOUEI


Le poète déplore l’indifférence de ses concitoyens qui ne se mettent pas en peine de faire cesser les troubles du pays. Les cours d’eau et les oiseaux savent trouver le lieu de leur repos et suivre certaines règles. Les hommes ne savent pas travailler à rétablir la paix et la tranquillité. Les mauvaises langues sont la cause de tout le mal, et personne ne s’applique à les réprimer.


1. Ces fleuves coulent à pleins bords ; ils vont offrir leurs hommages et payer tribut à la mer. Le faucon au vol rapide tantôt fend l’air, tantôt se repose. Hélas ! parmi mes frères, mes concitoyens, mes amis, personne ne veut chercher un remède aux troubles actuels. (Et cependant) qui n’a pas un père, une mère (dans l’affliction à cause de ces désordres) ?

2. Ces fleuves coulent à pleins bords ; leurs eaux sont abondantes. Le faucon au vol rapide tantôt plane, tantôt s’élève dans les airs, (et jamais ne se repose. Ainsi) à la pensée de ces hommes qui s’écartent de la voie droite, je suis dans une continuelle agitation. Je ne puis ni calmer ni oublier le chagrin de mon cœur.

3. Le faucon dans son vol rapide suit le flanc de la colline (il suit la route qui lui est comme tracée par la colline. Les hommes au contraire s’écartent du droit chemin). On répand des faussetés ; pourquoi personne n’y met il obstacle ? Si mes amis (mes frères et mes concitoyens) veillaient sur eux mêmes avec soin, tant de médisances auraient elles cours ?

192. TCHENG IUE


Un tái fōu déplore les malheurs de l’État. L’empereur Iōu wâng donne toute sa confiance à d’indignes officiers et à Paō Séu, sa favorite.


1. Au quatrième mois (au mois de mai ou de juin) la gelée blanche couvre la terre. (Cette anomalie est un châtiment du ciel) ; mon cœur est dans l’angoisse. La calomnie devient de plus en plus puissante. Quand je considère que personne autre que moi n’en a souci, mon inquiétude augmente encore beaucoup. Dans ma sollicitude je suis à plaindre ; le chagrin dévore mon cœur et me rend malade.

2. Pourquoi mes parents m’ont ils donné le jour dans ce temps d’affliction ? Ces malheurs sont survenus juste dans le cours de ma vie, pas avant ni après. (A présent) les paroles louangeuses, comme les paroles de blâme, ne partent que des lèvres. Mon chagrin augmente de plus en plus, et m’attire des outrages.

3. Mon cœur est tourmenté par le chagrin ; je pense à mon malheureux sort. Avec les citoyens innocents, je serai réduit à l’état de serviteur et d’esclave : Infortunés que nous sommes, de qui pouvons nous attendre le salut ? Je vois des corbeaux prêts à se poser ; mais je ne sais sur quelle maison ils s’arrêteront. (De même je ne sais en qui mettre mon espoir).

4. Dans une forêt je distingue du gros bois et du menu bois. A présent le peuple est en péril, et voit le ciel ne faire aucune distinction (entre les bons et les méchants). Quand le ciel aura résolu de soumettre les hommes par la force, personne ne pourra lui résister. Ce suprême dominateur plein de majesté a t il de la haine contre quelqu’un ?

5. (Les calomniateurs) disent (et voudraient faire croire) que les montagnes sont basses, tandis qu’elles ont des crêtes et des plateaux. Pourquoi personne ne met il un frein à la calomnie ? L’empereur fait venir les vieillards, ses vieux serviteurs ; il interroge les interprètes des songes. Chacun lui répond : « Je suis sage. » Mais entre les corbeaux, qui peut distinguer le mâle de la femelle ? (De même qui saurait discerner le vrai du faux dans les discours des hommes) ?

6. Bien qu’on nous dise que le ciel est très élevé, nous n’osons ne pas nous tenir courbés. Bien qu’on nous assure que la terre est épaisse et solide, nous n’osons y marcher que très doucement. Cependant, ceux qui (l’affirment et) le proclament, le disent avec raison, avec fondement. Mais hélas ! (nous ne pouvons plus nous fier au témoignage de personne) ; pourquoi les hommes à présent sont ils (trompeurs et méchants) comme les serpents et les lézards ?

7. Voyez ce champ semé d’aspérités ; (malgré la pauvreté du sol) la moisson s’y dresse verdoyante. (Au contraire, malgré la bonté naturelle de son cœur), le ciel m’agite en tous sens, comme s’il n’avait pas la force de me renverser. Il a d’abord voulu faire de moi le modèle des peuples, et m’a cherché avec sollicitude comme s’il avait craint de ne pas me trouver. Ensuite il m’a saisi et traité en ennemi, et n’a plus voulu se servir de moi.

8. Mon cœur est dans l’angoisse, comme s’il était serré par un lien. Pourquoi le gouvernement actuel est il si tyrannique ? Lorsqu’un grand incendie est une fois allumé, qui peut l’éteindre ? Pao Seu elle seule anéantira la grande capitale de la dynastie des Tcheou (la ville de Hao).

9. La crainte du dénouement me poursuit sans cesse ; la pluie et le mauvais temps causent un grand embarras (les chemins sont très mauvais, et le voyage, c’est-à-dire le gouvernement de l’État, est extrêmement difficile). Votre voiture est chargée, (grand empereur), et vous rejetez les armatures des roues (les ministres sages). La charge de votre voiture tombera ; (alors vous irez partout demander du secours, et direz) : « Je vous en prie, seigneur, aidez-moi. »

10. Si vous ne rejetiez pas les armatures qui doivent affermir les rais de vos roues, si vous surveilliez assidûment le conducteur de votre voiture, votre charge ne serait pas renversée. Vous franchiriez jusqu’à la fin les endroits les plus escarpés. Ces réflexions ne vous sont elles pas encore venues à l’esprit ?

11. Un poisson (pris dans un fleuve ou dans un grand lac et) condamné à rester dans un bassin, n’y peut vivre joyeux. Il aura beau chercher à disparaître au fond de l’eau, il sera toujours parfaitement vu parce qu’elle n’est pas profonde, et il sera facilement repris. Tel est le sort du peuple). Mon cœur est accablé de tristesse, quand je pense à la tyrannie du gouvernement.

12. Ces vils favoris de l’empereur ont des vins exquis, des mets savoureux. Ils ont des réunions avec leurs voisins, des relations fréquentes avec leurs parents par alliance. Moi, je me vois seul, et mon cœur en éprouve une grande douleur.

13. Ces viles créatures ont des maisons, ces homme abjects ont leurs émoluments. A présent le peuple est dépourvu de tout, et le ciel le frappe de ses calamités. Le sort du riche est encore supportable ; mais bien malheureux est le pauvre qui est délaissé.

225. TOU JENN CHEU.


Le peuple dispersé par suite des troubles de l’empire regrette de ne plus voir les costumes, de ne plus entendre le langage élégant des habitants de Haó, la capitale.


1. (En hiver) les officiers de la capitale portaient des tuniques jaunes garnies de peaux de renards. Leur tenue était constamment irréprochable et leur langage élégant. Retourner à la capitale, c’est le désir de tout le peuple.

2. (En été) les officiers de la capitale portaient des chapeaux de jonc et des bonnets de toile noire. Les femmes des grandes familles avaient les cheveux épais et lisses. Je ne les vois plus ; mon cœur n’a pas la joie.

3. Les officiers de la capitale portaient sur les oreilles des pierres de prix appelées siou. Les femmes de haut rang étaient si distinguées qu’on les aurait crues toutes issues des illustres familles des In et des Ki. Je ne les vois plus ; mon cœur est comme glacé par la douleur.

4. Les officiers de la capitale portaient de longues ceintures pendantes. Les femmes distinguées avaient (sur les tempes) des boucles de cheveux semblables à la queue du scorpion. Je ne les vois plus ; (si je les voyais), je me mettrais à leur suite.

5. Les officiers ne prenaient pas soin de faire pendre leurs ceintures ; elles pendaient d’elles mêmes, parce qu’elles étaient plus longues qu’il ne fallait pour ceindre les reins. Les femmes ne bouclaient pas leurs cheveux ; leurs cheveux bouclaient d’eux mêmes. Je ne les vois plus ; oh ! que je désire les revoir !

236. TA MING


Le poète célèbre la naissance et les vertus de Wênn wâng, la naissance de Où wâng, la défaite du tyran Tcheóu et l’avènement des Tcheōu à l’empire.


1. Lorsqu’une vertu extraordinaire brille sur la terre, l’auguste mandat lui est conféré dans le ciel (le ciel lui confie le gouvernement de l’empire). Il serait téméraire de se reposer uniquement sur la faveur du ciel ; il n’est pas facile d’exercer le pouvoir impérial. L’héritier des In (le tyran Tcheou) avait la dignité de Fils du ciel ; (le ciel) lui retira l’empire.

2. La fille cadette du prince de Tcheu, dont la famille s’appelait Jenn, vint du domaine impérial de In ou Chang, se maria à Tcheou, et fut dans la capitale la femme (de Wang Ki, prince de Tcheou). Elle et son époux s’adonnèrent à la pratique de toutes les vertus. Cette auguste princesse de Jenn devint enceinte et enfanta Wenn wang.

3. Wenn wang, toujours attentif et diligent, servit parfaitement le souverain roi et reçut beaucoup de faveurs. Sa vertu ne se démentit jamais, et il obtint l’empire du monde.

4. Le ciel veillait sur les peuples d’ici-bas ; déjà il avait décrété d’une manière irrévocable (l’avènement des Tcheou à l’empire). Dès les premières années de Wenn wang, le ciel lui prépara une compagne, au nord de la Ho, sur le bord de la Wei. Quand Wenn wang fut à l’âge de se marier, le chef d’une grande principauté avait une fille (nommée T’ai Seu).

5. Le chef d’une grande principauté avait une fille (si vertueuse qu’) on l’aurait prise pour la sœur cadette du ciel. Les présents (envoyés par Wenn wang au père de la princesse) confirmèrent le pacte préliminaire de cette union approuvée par les augures. Wenn wang alla en personne au devant de sa fiancée jusqu’à la Wei. (Pour traverser la rivière), il fit construire un pont de bateaux. Cette alliance n’a t elle pas été glorieuse ?

6. Un décret émané du ciel avait fixé que Wenn wang régnerait sur la principauté et dans la capitale de Tcheou. La princesse qui devait occuper la place (de la mère de Wenn wang), était de la principauté de Chenn. La fille aînée (du prince de Chenn) vint épouser (Wenn wang), et eut le bonheur de mettre au monde Ou wang. « (Jeune prince, le ciel) vous protège, vous aide, vous confie son mandat. Docile à ses ordres, vous renverserez la puissante dynastie des Chang. »

7. Les soldats de In ou Chang réunis (dans leurs campements), étaient (nombreux et serrés) comme les arbres d’une forêt. Ils furent rangés en bataille dans le désert de Mou ie. Mais les nôtres seuls étaient pleins d’ardeur. (Ils dirent à Ou wang) : « Le souverain roi est avec vous ; n’hésitez pas (à engager le combat). »

8. Le désert de Mou ie était très vaste. Les chars en bois de t’ân étaient resplendissants ; leurs quatre chevaux noirs au ventre blanc étaient robustes. Le grand maître Chang fou, semblable à un aigle qui vole, aida Ou wang. Ce prince déchaînant l’ardeur de ses guerriers, défit la puissante armée de Chang. Le jour même du combat, l’empire fut entièrement purgé (des souillures accumulées par le tyran Tcheou).

245. CHENG MIN


Naissance merveilleuse, travaux agricoles et sacrifices de Heou ts’i, père de la race des Tcheou. Sa mère le conçut par l’opération du ciel et l’enfanta sans douleur, contrairement aux lois de la nature humaine.


1. La mère qui donna naissance à la race des Tcheou, fut Kiang Iuen. Comment a t elle enfanté ? Elle fit une offrande avec une intention pure ; elle offrit un sacrifice, pour obtenir de ne pas rester sans enfants. Marchant sur la trace laissée par le pouce du pied du souverain roi, elle éprouva un frémissement. Elle retourna au palais agrandi et habité par elle. Elle conçut, et demeura retirée (dans un appartement latéral). Elle mit au monde et éleva un fils. Ce fils fut Heou tsi.

2. Les mois de sa grossesse étant écoulés, elle enfanta son premier né aussi facilement qu’une brebis met au jour un agneau, sans rupture, sans fissure, sans mal, sans lésion ; et l’on vit clairement que cette naissance était un prodige. Le roi du ciel ne fut il pas content ? n’agréa t il pas l’offrande pure de Kiang Iuen, lui qui la fit enfanter sans aucune difficulté ?

3. On déposa l’enfant dans un étroit sentier ; mais les bœufs et les brebis, le protégeant de leurs corps, lui donnèrent des soins affectueux. On le déposa dans une plaine couverte d’arbres ; mais il y avait des bûcherons (qui le recueillirent). On le déposa au milieu de la glace ; mais un oiseau le couvrit (de l’une de ses ailes, et de l’autre) lui fit une couche. L’oiseau s’en étant allé, Heou tsi se mit à vagir. Ses vagissements prolongés et puissants furent entendus par tous les chemins.

4. A peine pouvait il se traîner sur ses pieds et sur ses mains, que déjà il était grand et vigoureux. Dès qu’il fut capable de porter lui-même la nourriture à sa bouche, il sema de grands haricots ; ses grands haricots flottèrent au vent comme des bannières. Ses moissons semées en lignes furent très belles. Ses plantes oléagineuses et ses céréales furent drues et vigoureuses. Ses concombres, gros ou petits, furent très nombreux.

5. Heou tsi dans ses travaux agricoles aidait la nature (il consultait les saisons, les qualités du sol). Il débarrassa la terre des épaisses touffes d’herbe, et lui fit produire des moissons jaunes. Lorsque le germe, d’abord caché dans l’enveloppe du grain, commençait à gonfler, le grain était semé. Le germe sortait de terre, la tige croissait, l’épi se formait ; le grain durcissait et était de bonne qualité. L’épi s’inclinait plein de grains excellents. (Heou tsi, en récompense de ses services), reçut (de l’empereur Chouenn) la terre de T’ai, qui avait appartenu à son père.

6. Il distribua au peuple des semences des meilleurs grains, du millet noir ordinaire, du millet noir qui avait deux grains dans une seule enveloppe, du sorgho rouge, du sorgho blanc. Partout on sema du millet noir ordinaire et du millet noir à double grain ; la moisson fut recueillie et mise en monceaux dans les champs. Partout on sema du sorgho rouge et du sorgho blanc ; on porta le grain à la maison, sur les épaules ou sur le dos, pour faire les offrandes instituées (par Heou tsi).

7. Comment se font nos offrandes ? Ceux ci écorcent le millet sous le pilon, ceux là le retirent du mortier. Les uns le vannent ; les autres foulent les épis (pour faire sortir le grain). On le lave avec bruit, et on le fait cuire à la vapeur (ou avec dégagement de vapeur). Alors on consulte (sur le choix du jour et des ministres de la cérémonie) ; puis on réfléchit, c’est-à-dire on fait les purifications d’usage. On prend de l’armoise et on offre la graisse (on les mêle ensemble et on les brûle). On prend un bouc pour l’offrir aux esprits des chemins. On fait cuire de la viande, on en fait rôtir, afin que l’année suivante soit prospère.

8. Nous mettons (les mets) dans les vases de bois, (les mets) dans les vases de bois et (les sauces) dans les vases de terre. Dès que leur agréable odeur s’élève dans les airs, le roi du ciel la respire avec joie. Est ce uniquement parce que ce parfum s’exhale à l’époque voulue ? C’est surtout parce que, depuis l’institution de ces offrandes par Heou tsi jusqu’à nos jours, jamais il ne s’y est glissé une seule faute qu’on dût déplorer.

254. PAN


Dans un temps de troubles, un officier ami du devoir rappelle à l’un de ses collègues qu’il faut craindre la colère du ciel.


1. Le roi du ciel a changé de conduite, (il est irrité et) les hommes ici-bas sont accablés de maux. Vos paroles ne sont pas conformes à la vérité ; vos vues ne s’étendent pas loin. « Il n’y a pas de grand sage, (pensez vous), tout appui fait défaut, (je ne puis pratiquer la vertu). Vous n’êtes pas vraiment sincère. Vos vues ne s’étendent pas loin ; voilà pourquoi je vous avertis sérieusement.

2. A présent le ciel envoie des afflictions ; ne soyez pas si satisfait. A présent le ciel ébranle la terre ; ne soyez pas si peu soucieux. Si vos paroles étaient conformes (à la droite raison et aux sentiments du peuple), l’union se rétablirait parmi le peuple. Si vos paroles étaient pleines de douceur, le peuple deviendrait tranquille.

3. Bien que ma charge soit différente de la vôtre, je suis votre collègue. Quand je viens pour délibérer avec vous, vous m’écoutez avec suffisance. Je ne vous parle que d’affaires urgentes ; ne vous moquez pas de ce que je dis. Les anciens répétaient souvent : « Prenez conseil même des villageois dont le métier est de ramasser de l’herbe ou du bois pour le chauffage. »

4. A présent le ciel sévit ; ne vous moquez pas de ses fléaux. Moi qui suis plus âgé que vous, je parle sincèrement ; vous qui êtes plus jeune, vous êtes plein d’orgueil (et méprisez mes avis). Ce n’est pas que mon langage soit celui d’un vieillard qui déraisonne ; mais vous riez de nos maux. Le trouble croissant toujours deviendra comme un grand incendie, et sera sans remède.

5. A présent le ciel fait éclater son courroux ; ne soyez ni vantard ni flatteur. On ne verrait plus dans votre conduite ni gravité ni bienséance ; les hommes de bien deviendraient semblables aux représentants des mânes (qui mangent et boivent, mais ne font rien). A présent le peuple soupire et gémit ; aucun de nous n’ose seulement examiner (les causes du mal). Il n’y a partout que ruines, troubles, destructions, gémissements ; jusqu’ici personne ne console notre peuple.

6. Le ciel éclaire l’intelligence de l’homme aussi facilement que la flûte de bambou accompagne le sifflet d’argile, que deux tchang font un kouei, et que l’acceptation suit la demande ; il suffit de recevoir. Il est très facile d’éclairer l’intelligence de l’homme (et de le porter au bien. Mais il est également aisé de le porter au mal). Les hommes ont beaucoup de vices ; n’allez pas vous même étaler vos vices à leurs yeux.

7. Les hommes d’une grande vertu sont comme la haie (de l’empire) ; la multitude du peuple en est le mur. Les grandes principautés sont comme la cloison élevée devant la porte ; les grandes familles sont les colonnes. L’amour de la vertu assure la tranquillité ; les princes du sang sont les remparts. Ne renversez pas les remparts ; ne vous condamnez pas à la solitude, à des craintes continuelles.

8. Craignez la colère du ciel, ne vous abandonnez pas à la dissipation ou à l’oisiveté. Craignez les dispositions changeantes du ciel ; prenez garde de vous précipiter dans le désordre. L’auguste ciel est vigilant, son œil vous suit partout où vous allez. L’auguste ciel est clairvoyant ; il est témoin de vos dérèglements et de votre conduite licencieuse.

263. TCH’ANG OU


Récit d’une expédition de l’empereur Siuēn wâng contre les barbares établis au nord de la Houai.


1. L’empereur, avec une majesté terrible et en termes clairs, donne ses ordres à son ministre, le grand maître Houang fou, descendant de Nan Tchoung. « Formez, dit-il, mes six légions, et disposez mon appareil de guerre. Puis, avec diligence et circonspection, portez secours aux contrées du sud (troublées par la révolte des barbares qui sont établis au nord de la Houai).

2. L’empereur dit au (secrétaire, In Ki fou) chef de la famille des In : « Écrivez de ma part à Hiou fou, prince de Tch’eng, d’aider Houang fou à former les rangs, de donner des avis à mes légions, à mes cohortes, de suivre la rive de la Houai, d’examiner le pays de Siu, de ne pas laisser de garnison et de ne pas demeurer longtemps dans le même endroit, afin que dans les champs les trois sortes de travaux suivent leur cours. »

3. Le Fils du ciel paraît dans l’éclat de sa grandeur, de sa puissance et de sa majesté. Les soldats de l’empereur s’avancent lentement, paisiblement ; ils ne marchent ni trop serrés entre eux ni trop écartés les uns des autres. La terreur se répand d’un endroit à l’autre dans le pays de Siu ; les habitants de Siu tremblent épouvantés. Ils tremblent d’épouvante, comme s’ils entendaient le roulement ou le fracas du tonnerre.

4. L’empereur déploie son ardeur militaire ; sa fureur est semblable au courroux du tonnerre. Il lance en avant ses bouillants officiers, qui frémissent comme des tigres. Ses soldats en rangs serrés couvrent la rive de la Houai ; à la première attaque, il fait un grand nombre de prisonniers. Cette rive de la Houai est bien gardée ; les légions impériales y stationnent.

5. L’armée impériale est nombreuse ; elle semble voler, avoir des ailes. (Ses lignes se déploient longues et larges) comme le Kiang et la Han, (fermes) comme le pied d’une montagne ; (elles renversent tous les obstacles) comme le cours d’un torrent. Rien ne peut les rompre ni les mettre en désordre. Avec des stratagèmes impénétrables et une force irrésistible, elle soumet entièrement le pays de Siu.

6. Les intentions (pacifiques et bienveillantes) de l’empereur sont sincères et certaines ; aussi les habitants de Siu se donnent à lui. Ils se réunissent et se donnent à lui, grâce à la bonté du Fils du ciel. Tout le pays de Siu est pacifié ; les chefs viennent promettre obéissance. L’empereur se tient assuré que les habitants de Siu ne changeront plus de sentiments, et dit : « Retournons dans nos foyers. »

*

Quatrième partie. Soung.


La quatrième partie du Cheu king contient quarante chants, dont trente et un sont de la dynastie des Tcheou, quatre des princes de Lou et cinq de la dynastie des Chang. Elle se divise en cinq livres. Ces chants sont appelés Éloges, parce que la plupart sont des hymnes qui étaient exécutés dans le temple des ancêtres, en l’honneur des anciens souverains. Ceux des Tcheou forment trois livres ou décades. Les rimes y sont très rares, on ne sait pour quelle raison.

280. IOU KOU


Tcheōu kōung, après avoir fixé les cérémonies et organisé la musique de la dynastie des Tcheou, donne un concert dans la cour du temple des ancêtres.


1. Les musiciens aveugles sont ici ; ils sont dans la cour (du temple des ancêtres) des Tcheou.

2. On a disposé (les suspensions des instruments de musique), les montants, la planche transversale, avec les dents qui se dressent et les plumes qui sont fixées au dessus. Le petit tambour, le grand tambour, le tambourin à manche, les pierres musicales, la caisse musicale, le tigre couché, tous les instruments sont prêts, et le concert commence. On prend à la fois la flûte à vingt trois tuyaux et celle à deux tuyaux.

3. Tous les instruments unissent leurs sons avec gravité, accord et harmonie. Les ancêtres prêtent l’oreille. Les hôtes qui sont venus, entendront avec plaisir tous les morceaux (depuis le premier jusqu’au dernier).

286. MIN IU SIAO TZEU


Tch’êng wâng, trois ans après la mort de son père Où wâng, quitte ses vêtements de deuil, entre dans le temple de ses ancêtres, et leur exprime ses sentiments.


1. Je suis à plaindre, moi petit enfant, à qui l’empire est échu, quand notre dynastie n’est pas encore solidement établie. Dépourvu de ressources, je suis dans l’angoisse. Oh ! mon auguste père, vous avez pratiqué la piété filiale durant toute votre vie.

2. Vous aviez présent à la pensée mon auguste aïeul (Wenn wang, et croyiez le voir) s’élever au ciel et descendre dans la cour du palais. Moi petit enfant, sans cesse je vous respecterai (et vous imiterai, vous et mon aïeul).

3. Oh ! augustes souverains (Wenn wang et Ou wang), je m’appliquerai à continuer votre œuvre, et ne vous oublierai jamais.

290. TSAI CHAN


Description des travaux des champs, et actions de grâces après une récolte abondante.


1. Les laboureurs arrachent les herbes et les souches d’arbres ; la charrue fend la terre et la réduit en poussière.

2. Deux mille hommes vont deux à deux enlever les mauvaises herbes dans les terres labourées et aux lisières des champs.

3. Voici le père de famille, son fils aîné, ses autres fils, tous les jeunes gens de la famille, les aides vigoureux et les ouvriers gagés. Ils mangent avec bruit la nourriture (que les femmes leur ont apportée). Les maris témoignent leur satisfaction à leurs femmes ; celles ci s’attachent de plus en plus à leurs maris. Les laboureurs affilent leurs socs, et commencent leur travail par les champs situés au midi.

4. Ils sèment les différents grains ; la semence contient un principe de vie.

5. Les grains sortent de terre en rangées continues ; les plantes qui trouvent des sucs plus abondants, s’élèvent au dessus des autres.

6. Les moissons en herbe trouvent des sucs abondants. Les ouvriers nombreux et serrés enlèvent les mauvaises herbes.

7. Un grand nombre de moissonneurs recueillent les grains ; (les monceaux dans les aires) sont au nombre de dix mille, de cent millions, de dix quadrillions. On en fait des liqueurs fermentées et des liqueurs douces, qui sont offertes aux aïeux et aux aïeules, et servent à accomplir toutes les cérémonies.

8. Ces liqueurs ont un parfum très agréable ; (servies dans les réunions des princes), elles font honneur à l’État. Elles ont l’odeur du poivre ; elles soutiennent les forces des vieillards.

9. Ce n’est pas seulement ici que règne une telle abondance, et ce n’est pas de notre temps qu’elle a paru pour la première fois. Elle a existé dans les temps les plus anciens.

297. KIOUNG


Hī, prince de Lou (659 626), étend sa vigilance à toutes les branches de l’administration. Il donne des soins intelligents à l’élevage des chevaux.


1. Des chevaux grands et gras sont dans les plaines près des frontières. Parmi ces chevaux grands et gras, les uns sont noirs et ont les cuisses blanches, les autres sont jaune pâle ; d’autres sont noirs, d’autres sont jaunes. Pour traîner les voitures ils sont excellents. Les pensées du prince ont une étendue sans limite ; il pense aux chevaux, et les chevaux sont bons.

2. Des chevaux grands et gras sont dans les plaines près des frontières. Parmi ces chevaux grands et gras, les uns sont gris-blanc, les autres sont jaune blanc ; d’autres sont roux, d’autres sont noir pâle. Pour traîner les voitures ils ont de la force. Les pensées du prince ont une étendue sans limite ; il pense aux chevaux, et les chevaux sont forts.

3. Des chevaux grands et gras sont dans les plaines près des frontières. Parmi ces chevaux grands et gras, les uns sont noir pâle et comme couverts d’écailles, les autres ont le corps blanc et la crinière noire ; d’autres ont le corps roux et la crinière noire, d’autres ont le corps noir et la crinière blanche. Attelés aux voitures, ils marchent sans relâche. L’esprit du prince ne se lasse jamais ; il pense aux chevaux, et les chevaux s’élancent.

4. Des chevaux grands et gras sont dans les plaines près des frontières. Parmi ces chevaux grands et gras, les uns sont gris, les autres sont blanc roux ; d’autres ont de longs poils blancs sur les jambes, d’autres ont les yeux blancs comme les poissons. Pour traîner les voitures ils sont robustes. Les pensées du prince n’ont rien d’oblique ; il pense aux chevaux, et les chevaux marchent.


*

Notions tirées du Cheu King


Séraphin Couvreur rassemble ici toutes les notions que l'on peut tirer des odes du Cheu King, à propos de la civilisation et des mœurs des Chinois d'avant Confucius. Édouard Biot avait d'ailleurs déjà fait de même dans ses Recherches sur les mœurs des anciens Chinois, d'après le Chi-king (1843). De très nombreux sujets sont traités, agriculture et voyages, jeux et travaux, mariages, sacrifices, astronomie, etc. On présentera ici la notice sur les vêtements.

Les vêtements

Les deux parties principales du vêtement des hommes et des femmes étaient une sorte de grand tablier ou de jupe fendue châng, qui couvrait la partie inférieure du corps depuis les reins jusqu’aux talons, et une veste ou tunique ī, qui couvrait la partie supérieure du corps. La tunique avait un collet. I. IX. 1. Elle était serrée aux reins par une ceinture. I. IV. 3. Dans le chēn ī ou tch’âng ī, les deux pièces étaient réunies de manière à n’en former qu’une seule. Il était porté par les hommes de toutes les classes indistinctement, lorsqu’ils étaient en leur particulier. Il était de soie blanche pour l’empereur, les princes et les grands préfets ; il était de toile pour les simples officiers et les hommes du peuple. Parfois on en mettait un autre par-dessus ; il s’appelait alors tchōung ī. (Li ki, ch. XXXVI)

Les vêtements d’été étaient faits d’une simple étoffe de soie ou de chanvre, avec ou sans doublure. Ceux d’hiver étaient garnis de ouate ou de fourrures. I. XI. 8, I. VII. 6. Les anciens habitants du Chèn sī portaient en hiver une étoffe grossière de laine. I. XV. 1.

Les femmes portaient communément un vêtement de soie ou de chanvre de couleur naturelle, et un bonnet gris ou garance. I. VII. 19. Une jeune fille de la principauté de Tcheng revêt une tunique et un vêtement inférieur simples sur une tunique et un vêtement inférieur de soie à fleurs. I. VII. 15.

La tunique de cérémonie des princesses était ornée de broderies représentant des plumes de faisan. I. IV. 3. Lorsque Siuēn Kiāng paraissait devant un prince, en été elle portait une tunique de soie blanche sur une tunique de fine toile frisée, ou, selon une autre interprétation, une tunique de fine toile frisée sur une tunique de soie blanche. I. IV. 3.

L’empereur et les feudataires du premier rang kōung avaient sur leurs vêtements kouènn neuf emblèmes tchāng ; dont cinq sur la tunique, à savoir, des dragons lōung, des montagnes chān, des faisans houâ tch’ôung, des flammes houò, des vases sacrés tsōung î ; et quatre sur le vêtement inférieur, à savoir, des algues tsaò, des grains de riz fènn mi, des haches fòu et des lettres appelées fŏu ĭ. XV 16, II. VII. 8.

Les feudataires du deuxième et du troisième rang heôu pĕ avaient sur leur vêtement intérieur quatre emblèmes, comme l’empereur et les feudataires du premier rang ; mais ils n’en avaient que trois sur leur tunique, à savoir, des faisans, des flammes et des vases sacrés. I. X. 9.

La tunique des feudataires des deux derniers rangs tzèu nân avait aussi trois emblèmes : des algues, des grains de riz et des vases sacrés. Leur vêtement inférieur n’en avait que deux : des haches et des lettres. Ces vêtements appelés tch’ouéi ī étaient aussi portés par les tái fōu grands officiers de l’empereur hors du territoire impérial. I. VI. 9.

En hiver, les tchōu heôu mettaient la tunique garnie de fourrures d’agneaux, lorsqu’ils donnaient audience, et celle garnie de fourrures de renards, lorsqu’ils faisaient visite à l’empereur. I. XIII. 1. Les k’īng ministres d’État et les tái fōu grands préfets portaient la tunique garnie de peaux d’agneaux, avec des manches dont les parements étaient de peau de léopard. I. VII. 6, I. X. 7.

Le prince de Ts’în, arrivant à Haó, portait une tunique de soie à fleurs sur une tunique garnie de fourrures de renards, et un vêtement inférieur orné de diverses broderies sur le vêtement officiel orné de haches. I. XI. 5.

Les k’īng ministres d’État à la cour impériale étaient vêtus de noir, lorsqu’ils vaquaient aux affaires dans le palais même de l’empereur. I. VII. 1.

Les tchou heou, dans les cérémonies en l’honneur des ancêtres, portaient une tunique de soie blanche à collet rouge. I. X. 3.

Le blanc était la couleur du deuil. I. XIII. 2.

Les cinq couleurs principales sont, d’après les Chinois, l’azur, l’incarnat, le jaune, le blanc et le noir. Les couleurs intermédiaires sont le vert qui tient le milieu entre l’azur et le jaune, le rouge qui tient le milieu entre l’incarnat et le blanc, le vert pâle qui tient le milieu entre l’azur et le blanc, le violet ou brun qui tient le milieu entre l’incarnat et le noir, le rouge-brun qui tient le milieu entre le jaune et le noir. Le vert domine et convient en printemps, le rouge en été, le blanc en automne, et le noir en hiver. Le jaune convient également dans toutes les saisons.

Le collet des lettrés était bleu ts’īng kīn. Cette expression est encore employée maintenant pour désigner un sióu ts’âi. I. VII. 17.

L’empereur, les princes et les officiers portaient des jambières ou genouillères ou fŏu, longues de trois tch’ĕu (60 cm., larges d’un tch’ĕu (20 cm.) à la partie supérieure et de deux tch’ĕu (40 cm.) à la partie inférieure. Celles de l’empereur étaient rouge foncé ; celles des feudataires des trois derniers rangs et celles des officiers inférieurs étaient rouge pâle.

Les kōung et les heôu portaient des genouillères rouge foncé, quand ils donnaient audience, et des genouillères rouge pâle, quand ils paraissaient devant l’empereur. II. III.4 et 5, II. VII. 8.

Les chaussures ordinaires en été étaient des souliers de chanvre. I. VIII. 6. I. IX. 1. Les chaussures de cérémonie sĭ étaient des souliers de couleur rouge, dont les semelles étaient très épaisses et les ornements étaient d’or ou dorés. I. XV. 7, II. III. 5.

Les hommes portaient à la ceinture un doigtier d’ivoire qui se mettait au pouce de la main droite pour tirer de l’arc, un poinçon d’os ou d’ivoire qui servait à défaire les nœuds, une épingle d’ivoire qui servait à gratter la tête et à démêler la chevelure. I. V. 6, I. IX. 1. Les femmes avaient une serviette à la ceinture. I. II. 12.

Les personnes de distinction, hommes et femmes, portaient à la ceinture des pierres de prix unies ensemble par des cordons. La forme de ces pierres était toujours la même : mais la qualité et la couleur variaient. La principale était une grande agrafe hêng, d’où pendaient trois cordons tsou. Le cordon du milieu portait une pierre ronde et une pierre triangulaire hèng ià. Les deux autres avaient en leur milieu une pierre carrée kiū, et à leur extrémité une pierre semi-circulaire houang. I. V. 10. Ces pierres s’entrechoquaient et faisaient entendre un son, lorsqu’on marchait. I. V. 5. On en donnait en présent. I.V.10, I.VII.8, I.XI, 9.

A la campagne, les hommes portaient le chapeau de paille en été, et le manteau de jonc contre la pluie. II. IV. 6. A la capitale, en été, les officiers portaient des chapeaux de jonc et des bonnets de toile noire. Ils avaient de longues ceintures pendantes. II. VIII. 1. Le chapeau ou le bonnet était retenu par deux cordons, dont les extrémités étaient nouées et pendaient sous le menton. I. VIII. 6.

Des pierres de prix ou des ornements d’ivoire, suspendus au bonnet par des cordons, couvraient les oreilles tch’ōung éul. I. V. 1, I. VIII. 3, II. VIII. 1.

Où, prince de Wéi, avait de belles pierres de prix sur les oreilles, et les perles brillaient comme des étoiles sur les coutures de son bonnet. I. V. 1.

Lorsqu’une princesse aidait son mari à faire une offrande, elle avait sur la tête un ornement fóu composé de cheveux. Deux épingles dont la tête représentait une poule , y étaient enfoncées, et portaient des cordons tàn ornés de six pierres de prix kiā, qui pendaient sur les oreilles. Une troisième épingle tch’éu servait à démêler la chevelure. I. IV. 3.

Sous Wenn wang, la femme d’un prince préparant une offrande ou soignant les vers à soie, portait sur la tête un ornement pi formé de cheveux étrangers tressés ensemble. I. II. 2.

Trois mois après la naissance d’un enfant, garçon ou fille, on lui coupait les cheveux, à l’exception de deux touffes qu’on lui laissait sur les tempes, et qu’on liait en forme de cornes. Ces deux touffes de cheveux devaient lui rappeler sans cesse les devoirs de la piété filiale. A la mort de son père, il coupait celle qui était sur la tempe gauche ; à la mort de sa mère, il coupait l’autre. I. IV. 1, I. V. 4, I. VIII. 7.

*

Téléchargement

cheu_king.doc
Document Microsoft Word 2.2 MB
cheu_king.pdf
Document Adobe Acrobat 2.5 MB