Charlotte Devéria-Thomas (1856-1885)

ESSAI NOUVEAU SUR LA MUSIQUE CHEZ LES CHINOIS

Le Magasin Pittoresque, Paris, 1885, pages 234-238, 287-288, 327-328, 390-392.

 

  • Introduction : "...Où retrouverons-nous cette vraie musique chinoise, — déjà dégénérée au temps de Confucius, — cette musique céleste qui, 2.250 ans avant Jésus-Christ, sous le règne de l'empereur Choun, « non seulement domptait les bêtes féroces, mais encore faisait régner la bonne intelligence parmi les hauts fonctionnaires » ? Nous croyons que s'il en subsiste quelque chose, c'est dans le palais impérial de Pékin qu'il faut chercher ces chefs-d'œuvre de l'antiquité.
  • Il importe donc de parler d'abord des différents corps de musique du palais, d'en donner la description aussi complète que possible, et d'essayer de combler les lacunes laissées par Amiot, en nous référant à des ouvrages qu'il n'a probablement pas eus entre les mains.
  • Ce que nous mentionnons aujourd'hui dans cet essai est emprunté à des textes faisant foi en Chine, c'est-à-dire à la partie de l'Encyclopédie administrative qui traite spécialement de la musique officielle chinoise, en décrit minutieusement les instruments, et nous fournit le dessin de chacun d'eux".


Extraits : [Après Amiot] - Description des orchestres de la cour de Chine
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[Après Amiot]


En 1776, époque à laquelle Amiot écrivait sur la musique du Céleste Empire les notices que nous lisons dans les Mémoires concernant les Chinois, la cour de Pékin, désireuse de restaurer la musique nationale d'après ses traditions les plus anciennes et les plus pures, avait compulsé tout ce que les écrivains des siècles précédents avaient écrit sur cet art. Dès 1714, l'empereur Kang-hi publiait ainsi la notation des airs joués dans les grandes cérémonies de la cour. L'année suivante il publiait également deux ouvrages sur le même sujet contenant, l'un 820 airs classés d'après leur antiquité, l'autre traitant de la musique en général et formant quatre volumes d'airs chinois, à propos desquels le souverain s'applique à démontrer la différence existant entre la musique du nord et celle du sud du Céleste Empire.

En 1743, l'empereur Kien-long avait publié un ouvrage théorique en trente livres ; dix ans plus tard paraissait par son ordre un autre ouvrage en trente livres, donnant la notation des odes populaires de l'antiquité, recueillies par Confucius au cinquième siècle avant notre ère. Amiot, qui passe à bon droit pour être l'auteur de ce qui a été écrit de plus complet jusqu'ici sur la musique des Célestes, ne cite aucune de ces publications et semble n'en avoir pas eu connaissance ; ce fait peut s'expliquer par ce qu'il n'avait pas comme nous à sa disposition le grand Catalogue impérial qui fut publié en 1790 c'est-à-dire longtemps après qu'il eut terminé ses articles. En exploitant ces différents livres, ce missionnaire eût pu nous faire juger la musique chinoise d'après ce qu'elle est réellement ; au lieu de cela, ses efforts se renfermèrent exclusivement dans l'étude du traité de Li-koang-ti, publié en 1727 et dont la perte ne nous paraît pas si regrettable qu'on l'a dit, vu l'existence des ouvrages précités et la manière toute compilative dont travaillent les auteurs de l'Empire du Milieu. Il en résulte que nous ne connaissons la musique chinoise que par ce qu'en disent les Chinois. Amiot n'a pas été plus complet dans la description qu'il a donnée des instruments dont se compose la musique du palais ; il a décrit le premier orchestre et négligé les cinq autres, qui cependant nous fournissent la nomenclature complémentaire des instruments purement chinois ; ce qu'il dit de ce premier orchestre n'est pas toujours d'une exactitude rigoureuse, quant à la tablature de certains instruments.

Description des orchestres de la cour de Chine

Tambours de marche Hing-kou ou Fo-lo-kou.
Tambours de marche Hing-kou ou Fo-lo-kou.


La musique de la cour, nous l'avons dit, comprend six orchestres qui relèvent du ministère de la musique. Ce département, constitué en 1742, est une annexe du ministère des rites ; c'est plutôt une direction des maîtrises qu'un conservatoire. Il a pour président honoraire le ministre tartare placé à la tête du ministère des rites ; son personnel se compose d'un directeur, d'un sous-directeur, de cinq chefs de musique, de vingt-cinq sous-chefs, de cent quatre-vingts musiciens et de huit cents mimes ou chanteurs. Les employés du ministère de la musique se recrutent parmi les fonctionnaires des autres ministères versés dans cet art. Une bonne part du personnel exécutant est recrutée parmi les eunuques du palais ; ceux-ci relèvent d'une sous-direction spéciale de l'intendance de la cour.

1. Le premier orchestre du palais s'appelle : Tchong-ho-chao-yuo, ou orchestre de l'empereur Choun ; il joue dans les cérémonies rituelles qui s'accomplissent aux temples du Ciel, de la Terre, des Ancêtres, des Esprits tutélaires de l'État, et dans les réceptions solennelles de la cour, au moment ou l'empereur vient s'asseoir sur son trône, et après qu'il a pris le thé et l'a fait offrir aux grands dignitaires. Cet orchestre se compose de dix-sept instruments différents...

2. Deuxième orchestre. Le Tan-pi-ta-yuo, tel est le nom du grand orchestre de la terrasse sur laquelle s'échelonnent, selon leur rang, les fonctionnaires conviés au palais dans les occasions solennelles ; cet orchestre joue pendant que l'empereur reçoit leurs hommages et lorsque les femmes des fonctionnaires saluent l'impératrice chez elle. Il se compose de neuf instruments différents...

3. Troisième orchestre. Il joue quand l'empereur va prendre le thé et le faire servir aux fonctionnaires de la cour, pendant qu'il mange et pendant qu'on sert le thé ou le vin à l'impératrice. Il se compose de sept instruments différents...

4. Le cortège de l'empereur a son orchestre particulier. Ce quatrième orchestre forme cinq corps de musique :
— Le premier, appelé Tsien-pou-ta-yuo, précède le cortège impérial dans les circonstances ordinaires.

— Le deuxième précède le palanquin de l'empereur dans les grandes solennités.

— Le troisième, appelé Nao-ko-kou-tchouei, ne joue qu'à la porte méridionale du palais impérial lorsque l'empereur y passe.

— Le quatrième, appelé Nao-ko-tsing-yuo, accompagne le souverain à cheval.

— Le cinquième, appelé Tao-in-yuo, joue à la sortie ou à l'entrée de l'empereur dans l'intérieur du palais, et sert à marquer la fin des cérémonies du culte civil national des Chinois.

5. Cinquième orchestre. Cet orchestre des festins impériaux se divise en neuf corps de musique, dont un seul est chinois ; les autres sont d'origine étrangère, ce sont : l'orchestre mongol, l'orchestre coréen, l'orchestre kalmouk, l'orchestre turc, l'orchestre tibétain, l'orchestre népaulais, l'orchestre annamite (supprimé en 1803), et l'orchestre birman.

6. Le sixième orchestre se divise en deux corps de musique.
— Le premier, appelé Nao-ko, s'établit devant le trône lors des actions de grâces au ciel.

— Le second, appelé K'aï-ko, accompagne les hymnes de triomphe.


Il existe un corps de musique spécial qui joue lorsque les fonctionnaires sont députés pour faire des sacrifices aux esprits dans certains temples. On l'appelle le King-chen-hoan-yuo.


Trompe mongole Mongou-kuo. Trompe Hoa-kuo.
Trompe mongole Mongou-kuo. Trompe Hoa-kuo.



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