Charles de Harlez (1832-1899)

Les allusions historiques dans la littérature chinoise. Le Muséon, 1898, volume XVII, pages 173-194 et 255-273. Charles de Harlez (1832-1899)


LES ALLUSIONS HISTORIQUES DANS LA LITTÉRATURE CHINOISE

Faits remarquables de l'histoire de Chine

Le Muséon, 1898, volume XVII, pages 173-194 et 255-273.

  • Introduction : "C'est bien avec raison que les sinologues expérimentés signalent aux étudiants toutes les difficultés que rencontre, dans sa tâche, l'interprète des livres chinois. L'une des plus grandes et des plus fréquentes se trouve dans cette multitude d'idiotismes qui changent complètement le sens des mots dans leur réunion et forment ce que Schlegel appelait très pittoresquement des pit-falls ou trébuchets. Ainsi le dessous du trône est l'empereur lui-même, le palais de l'est est le prince impérial, et le cheval de devant, le précepteur de ce prince. Monter un dragon, c'est se marier et le vent du matin est un faucon."
  • "Non moins redoutables sont les écueils que présentent les innombrables allusions historiques dont les auteurs chinois se plaisent à émailler leurs phrases et qui fréquemment se rapportent à des faits si peu connus qu'on a toute la peine du monde à découvrir le point d'histoire auquel elles se réfèrent. Quelques compilateurs indigènes en ont composé des recueils plus ou moins incomplets, comme l'on doit s'y attendre, mais cependant d'une utilité incontestable. C'est pour donner un exemple de ce genre de travail et engager d'autres à procurer cet important moyen d'étude à la jeunesse, que nous avons entrepris d'en donner ici un spécimen. Bien qu'incomplet, ce travail ne sera pas dépourvu d'intérêt, car chaque explication rappelle un trait de mœurs chinoises anciennes ou modernes. Nous en avons puisé les éléments dans divers recueils, mais spécialement dans le Ki-sse-tchou ou « Joyaux historiques »."
  • "Quant aux explications, nous les avons cherchées un peu partout, tout en nous tenant principalement à l'ouvrage spécial qui a servi de base à notre œuvre d'initiation, et combinant son texte avec les autres, pour en extraire l'essentiel."

Extraits
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1. Bon jusque pour les animaux et les vers.

Il s'agit de l'empereur légendaire Hoang-ti, dont il est dit qu'il sut apprivoiser les bœufs, soumettre les chevaux au joug et dompter même les bêtes féroces. Sa bonté s'étendait jusqu'aux oiseaux, aux animaux terrestres, aux insectes, aux vers. Les choses les plus merveilleuses sont également racontées de sa haute intelligence qui se manifesta dès sa naissance et de toutes ses œuvres presque surhumaines.

2. Kao-sin de lui-même disait son nom.

Cette merveille est une de celles qui servent aux mythologues chinois pour prouver la précocité de l'intelligence de leurs héros. Kao-sin est Ti-ku, le deuxième successeur de Hoang-ti. Ce prince naquit plein d'intelligence, et disait son nom qu'il avait deviné sans qu'on le lui eut appris. Il pénétrait les choses lointaines et les mystères les plus secrets ; il comprenait les lois de la nature, du ciel et de la terre et s'y conformait. Il avait l'instinct de tout ce qui pouvait être favorable au peuple, etc., etc.

7. Le roi de Hia suspendit le tambour. — L'empereur de Yu fit vibrer les cordes des instruments de musique.

1. Yu le grand avait fait suspendre dans la cour de son palais un tambour, une cloche, des pierres sonores, une cymbale et un tambourin pour servir aux lettrés des quatre parties du monde. Chacun pouvait frapper de l'instrument affecté à la nature de sa cause et, de la sorte, avertir le souverain du cas qu'il aurait à examiner. Ceux qui venaient pour affaire publique, frappaient la cymbale ; les gens en procès battaient du tambourin ; le tambour était au service de ceux qui venaient enseigner les principes de sagesse, la cloche à la disposition de ceux qui venaient parler au nom de la justice ; la pierre sonore à celle des missions de tristesse, de deuil.

2. Shun, plein de modestie et de retenue, sans activité empressée, faisant résonner le kin à 5 cordes, chanta les vers du Nan-fong :
« Les parfums du vent du midi peuvent dissiper les sentiments de haine de mon peuple. Oh ! les vers du Nan-fong peuvent rendre plus abondantes les richesses de mon peuple. (Kia-yü).

8. Ceux qui comprennent l'universalité sont les Hoangs. — Ceux qui étudient le tao sont les Tis. Qui pénétraient la vertu sont les Wang ; ceux qui vainquirent en maniant les armes avec science, ce sont les pas (Kuan-tze).

9. Hiao-wen arrêtait son char. — Han-kao-tsou faisait tourner le disque (la roue).

1. La première phrase fait allusion à ce fait que Hiao-wen-ti tenait conseil chaque matin et ne montait point en char avant d'avoir délibéré avec ses conseillers et reçu leurs avertissements. S'il les rencontrait en route, il arrêtait son char pour leur parler. Ce prince, second fils de Hao-ti, régna 23 ans.

2. Kao-tsou des Hans cherchait le bien avec modestie comme convaincu qu'il n'y parviendrait pas et conséquemment réfléchissait, délibérait comme s'il tournait une roue. (Ces deux traits sont pris au Han-shu).

10. Yu le grand pleurait les crimes. — Wei de Tsi considérait les sages comme des objets les plus précieux.

1. Yu, étant un jour en promenade, vit un homme subissant un supplice. Il descendit de son char, s'informa de la cause et versa d'abondantes larmes. Puis il dit : les sujets de Yao et de Shun n'avaient d'autre cœur que celui de leur prince. Ceux de mon infimité, les cent familles ont chacun leur cœur, leurs tendances particulières et commettent des crimes.

2. Hoei, roi de Wei, demanda un jour à Wei, roi de Tsi :
— Est-ce que l'État de Tsi a des joyaux précieux ?
— Non, répondit Wei-wang, il n'en possède point.
— Le royaume de ma pauvreté, répartit Hoei, quoique bien petit, a des perles d'un pouce de diamètre, des chars richement ornés qui précèdent et suivent en nombre de dix corps de douze quadriges. Et un grand État comme celui de Tsi n'a pas d'objets précieux !
Wei-wang répondit :
— Ce que ma pauvreté estime bien précieux, diffère complètement de ce que votre Majesté considère comme tel. J'ai de vaillants officiers qui, placés dans nos forteresses, sur nos frontières arrêtent par la crainte de leurs armes toute invasion, toute déprédation de nos voisins, gardent nos routes contre les voleurs. Aussi on n'oserait y ramasser les objets perdus. Les officiers des quatre frontières brillent par leurs actions au-delà de mille lis. Que sont pour moi douze quadriges?

11. La vie solitaire de Ki-tchou. — Le sang bu par les chefs de Tchao.

1. Ki-tchou est un empereur de la haute antiquité, dit le Tchou de Tchuang-tze et l'un des successeurs de Fou-hi, qui dut comme ce dernier ses succès à sa rectitude. C'est à peu près tout ce qu'on en sait. Han-tze nous apprend que sous son règne il n'y avait ni ordre ni désordre et que les hommes vivaient isolés.

2. Les Tchao ou Tcheou étaient un peuple sauvage, aborigène, qui se faisaient des habitations comme des nids au moyen d'arbres. Ils ne savaient construire des murs ni semer et récolter ; ils mangeaient les fruits des arbres et des plantes, ils buvaient le sang des animaux ; ils se couvraient de peaux de bêtes qu'ils dépouillaient de leurs poils.

12. Kiu-tsiuen empoignait le feu. — Yu de Hia se peignait au vent.

1. Kiu-tsiuen était roi de l'État de Yue qui se trouvait le long de la mer de l'est en dessous des bouches du Kiang, et dont la population était composée entièrement de tribus préchinoises. La famille royale prétendait descendre de Yu. Ayant subi une défaite sanglante dans une guerre contre son voisin du nord également préchinois, l'État de Wou, il méditait de se venger. Pour s'endurcir et s'exciter, l'hiver il tenait en main de la glace ; l'été il poignait dans le feu. Il avait suspendu à sa porte une vessie de fiel, et en goûtait chaque fois qu'il entrait et sortait (Cf. le Wou-yue-tsun-tchiou).

2. Yu, dans ses travaux gigantesques, pour délivrer l'empire du fléau des inondations, ne craignait aucune intempérie des saisons. Toujours à l'ouvrage sous le ciel serein ou non, il se lavait dans l'eau de la pluie et ne se peignait que par l'effort du vent le plus violent (V. Hoei-nan-tze). Il passait devant sa maison sans jamais y entrer.

13. Dans la plaine du milieu on se tourne pour chasser le cerf.

Ce cerf est la dignité impériale (Tien-tze-shi-wei). La plaine est l'empire. On se tourne, on sort du désordre, disent les commentateurs. C'est le premier vers d'une ode qui fait allusion aux guerres qui précédèrent l'avènement du premier des Tangs en 618. La chasse au cerf est la compétition pour l'empire.

14. Le roi Yen naquit d'un œuf. — Ki de Hia naquit d'une pierre.

1. Au royaume de Sou, une femme du palais conçut et enfanta un œuf, ce qui parut de mauvais augure. Aussi on alla le déposer sur le bord d'un fleuve. Là une vieille chienne le prit dans ses dents et s'en allait en le portant ainsi. La mère apprenant cela y vit un signe de merveille, elle fit prendre l'œuf, le couvrit, le chauffa et il en sortit un enfant du sexe masculin. Au moment de sa naissance on le trouva étendu tout droit. Aussi l'appela-t-on Yen. Le prince de Su ayant appris ce fait le recueillit et l'éleva. L'enfant grandit, plein de bonté et de sagesse et devint héritier du trône de Su. Quand la chienne mourut, il lui poussa des cornes et neuf queues comme à un dragon jaune. Le roi la fit enterrer et lui donna le nom de Keou-long (le chien dragon).

2. Au temps où Yu mettait ordre au cours des eaux, il se transforma lui-même en ours pour pénétrer les voies de Huen-yuen. Les gens du mont Tu l'aperçurent et l'insultèrent. Alors il se changea en pierre. En ce même temps (son fils) Ki était conçu. Yu dit : je ferai entrer mon fils dans cette pierre. Alors celle-ci se fendit du côté du nord et Ki vint au jour.

15. Les nuages menaçants de Tang-Tai. — La pluie omineuse de Liang-wou.

1. Tai-tsong des Tangs eut de longues guerres à soutenir. Un jour se trouvant en une expédition, il aperçut de son logement des nuages d'aspect lugubre, puis il vit deux dragons jouant au milieu de la plaine sablonneuse. Cela dura trois jours, puis les deux jouteurs remontèrent au ciel et disparurent. (D'après le Tang-shu-Tai-tsong-ki.)

2. Au temps dit Ta-tong (535-546), sous Wou-ti des Liangs, il y eut de fréquentes pluies et il tomba plusieurs fois des perles précieuses de différentes couleurs devant le palais ; ce qui réjouit beaucoup l'empereur Wou-ti régnant à cette époque (Tchen-shu.)

16. Le pilier au cèdre de Yao. — La salle au sésame de Han-wou-ti.

1. Ceci fait allusion à des paroles que Fou-tze attribue à Yao :
— Je siège, disait ce prince, au haut du palais des Fleurs. Que c'est splendide ! le cèdre naît à mes piliers. Je siège à l'intérieur du seuil aux larges sommiers. Là, comme la neige, les nuages naissent à ma fenêtre.

2. Cette expression se réfère à un dire de Wou-ti des Hans, lequel la première année Yuen-feng inséra ces paroles dans une proclamation :
« Une source vive au milieu de mon palais a engendré neuf branches de sésame. Shang-ti m'accorde un appui généreux, il a pitié du monde.
Là dessus il composa le chant de « la salle au sésame ».

17. Les trois mots de Song-king. — Les six affaires de Tang.

1. Sous le règne de King, prince de Song, l'étoile Mars vint culminer sur la constellation Sin. Or Sin était l'aire céleste correspondant au territoire de Song, à lui consacré. Le prince s'émut de ce présage de malheur. Le grand astrologue Tze-wei lui dit :
— On peut détourner ce pronostic sur les ministres.
— Non, répondit le prince, mes ministres sont mes membres même.
— On peut transporter ces malheurs sur le peuple.
— Non point ; le prince doit soigner son peuple (et le préserver de mal).
— On le peut sur (la prospérité de) l'année.
— Pas davantage, répliqua le prince ; quand l'année est stérile, le peuple est misérable.
Entendant ces trois réponses, l'astrologue loua hautement ces belles paroles du souverain.
— Le ciel si élevé entend ce qui est plus bas. Mon prince a dit trois paroles de sage. Que l'astre menaçant émeuve, cela doit être, dit-il ; mais la droiture du prince ne s'écarte pas de ces trois règles. (Cf. Lin-shi-tchun-tsi-tsiou.)

2. Au temps de Tang de Shang il y eut une sécheresse qui dura sept ans. Les courants d'eau se desséchèrent ; le sable était brûlant, les pierres fendues par la chaleur. Le grand historiographe dit à l'empereur, qu'il fallait faire prier le peuple pour obtenir l'eau fertilisante. Mais Tang jugea que c'était à lui surtout à apaiser le ciel. Il se mit à jeûner, à se mortifier, il se coupa les cheveux et les ongles. Il se coucha sur les tiges dures du Mao blanc pour se faire victime d'intercession pour le peuple. Puis il offrit le sacrifice de propitiation dans les champs de Song-lin. Par ces six actes de pénitence, d'expiation et de déprécation, il fléchit le ciel ; une pluie abondante tomba sur un espace de nombreux milliers de lis.

Tang avait récité ces vers :
« Quand le gouvernement n'observe pas les règles, le peuple manque à son devoir. Quand le palais est luxueux, les femmes y abondent. Quand les présents y règnent, l'intrigue y prospère.
Ces mots n'étaient pas achevés que la pluie tombait.

18. Tchang de Han honorait (principalement) les lettrés. — Mou de Ts'in recherchait surtout (la possession) des territoires.

1. Tchang-ti souverain de la dynastie de Hans de l'Est, estimait, aimait les travaux littéraires et honorait les lettrés. Il les réunissait dans la salle dite du Tigre blanc où ils étudiaient, discutaient avec lui les cinq Kings.

2. Mou-kong de Ts'in avide de possessions terrestres s'agrandit dans les quatre directions au détriment des Jongs à l'ouest, comme des États de Yuen, de Song et de Tsin.

19. Le coussin d'ambre de Tsou des Song. — La fourrure de faisan de Wou des Tsin.

1. Sous Tai-tsou des Song, le Ning-tcheou lui offrit un coussin d'ambre d'un éclat merveilleux. Cette substance résineuse passait pour avoir la vertu de guérir les blessures, les ulcères. Comme les troupes de Song allaient se mettre en route pour une expédition vers le nord, Taï-tsou fit broyer le précieux coussin et distribua sa poussière entre les généraux pour qu'elle servît à guérir les blessés. (Nan-sze-song-wu-ti-ki.)

2. Sous Wou-ti des Tsin le chef médecin de l'État lui offrit un habit à tête de faisan. Cette prodigalité déplut au sage prince qui pour témoigner son mécontentement et décourager des entreprises de ce genre fit brûler cette étrange fourrure devant son palais. (Tsin-shu-wu-ti-ki.)

54. L'hameçon du loup de Tcheng-Tang. — Le tambour de K'wei du prince de Hiong.

1. Tcheng-Tang, Tang le parfait, le fondateur de la dynastie Yin et le libérateur de la Chine, armé de talismans mystérieux, vit un jour un loup entrer dans sa cour, un crochet en guise d'hameçon enfoncé dans sa gueule. C'était le présage de la haute fortune de sa dynastie.

2. Le prince de Hiong est Hoang-ti. Un jour qu'il chassait dans les montagnes voisines de la mer de l'Est, il prit un animal extraordinaire de la forme d'un bœuf sans cornes et de couleur verte. Quand cet animal sortait de l'eau ou y entrait, le vent s'élevait et la pluie tombait. Son corps brillait comme le soleil, sa voix retentissait comme le tonnerre. Il s'appelait K'wei : Hoang-ti le tua et de sa peau fit un tambour dont le bruit s'entendait à 500 lis à la ronde (Ti-wang-sze-ki).

55. Le malade éventé par Wou-wang. — La bonté de Si-pe à l'égard d'un cadavre.

1. Wou-wang, dans ses pérégrinations, trouva un jour sur le chemin un homme que la chaleur avait accablé au point de lui faire perdre les sens. Le bon roi le prit dans ses bras, le porta à l'ombre d'un arbre et là s'étant assis près de lui, il le frotta d'une main, tandis qu'il le ventait de l'autre et par ce moyen il le rappela à la vie. Tout l'empire connut ce trait d'humanité et s'enthousiasma pour la vertu de ce prince.

2. Si-Pe (le prince de l'Ouest) ou Wen-wang, père de Wou, était occupé à faire creuser un marais. Tout à coup le squelette d'un homme apparut sous les instruments des piocheurs. Wen-wang le fit tirer de là et ensevelir honorablement. Le peuple apprit cet acte si louable et chacun se dit : « Si Si-pe a une grande compassion qui s'étend jusqu'aux ossements desséchés, que sera-t-elle à l'égard des hommes ? »

56. L'oie rouge de Wu de Han. — L'oiseau vermillon de Keou-tsien.

1. L'oie de Wou-ti des Hans est célèbre parce qu'elle a fait l'objet d'une ode composée par ce prince et portant le titre de Tchu-Yuen-tchi-ko ou chant de l'oie rouge. Elle avait été prise sur les bords de la mer de l'Est.

2. L'oiseau rouge de Keou-tsien dernier roi de Yue est également historique. Au moment de rentrer dans ses États, un oiseau rouge-vermillon vint se mettre à ses côtés et voler de part et d'autre. Aussi rentré chez lui il éleva une terrasse avec tour à laquelle il donna le nom de « Terrasse de l'oiseau visiteur » Wang-niao-tai.

57. La jarretière reliée de Wen-wang. — La chaussure reliée du Heou de Tsin.

Les souverains chinois n'étaient pas habitués à se servir eux-mêmes. Aussi admirait-on les traits suivants qui sont restés parmi les exemples traditionnels.

1. Wen-wang pendant qu'il assiégeait Tsong, eut tout à coup sa jarretière déliée sans doute par suite des mouvements agités que commandaient les circonstances. Ce prince eut la magnanimité de la rattacher sans appeler personne à son aide.

2. Il en fut de même de Wen-kong, prince de Tsin, dans sa lutte contre l'État de Ts'ou. Quand il arriva au mont du Phénix jaune les cordons de ses chaussures se défirent ; il les relia lui-même comme Wen-wang. Ses lieutenants lui dirent :
— Prince, ne pouviez-vous pas le faire faire par un de vos hommes ?
À quoi le prince répondit :
— Je l'ai entendu dire, les princes de mérite supérieur sont craints de ceux qui les entourent ; les princes moyens en sont aimés ; les princes d'ordre inférieur en sont méprisés. Moi, pauvre homme, tout indigne que je suis, je me trouve au milieu des officiers des princes antérieurs (très méritants). C'est pourquoi j'ai considéré comme odieux (de m'en faire servir).

58. Tchao de Ts'ou tira ses fourrures (de ses garde-robes). — Ling de Wei prit lui-même les présents (impériaux).

1. Tchao, roi de Ts'ou, se tenait dans les appartements privés et là, transi et pâle de froid, il se dit : « Mon indignité a de doubles fourrures et a froid cependant. Que doit-il en être du peuple ? » Aussitôt il fait tirer des fourrures de sa garde-robe pour en revêtir les gens souffrant du froid et du grain de ses magasins pour nourrir les affamés. Aussi, lorsque plus tard la révolte de Ho-lin l'eut obligé de fuir à Sin, ceux qu'il avait obligés de la sorte prirent parti pour ce prince et le rétablirent en son pouvoir.

2. Ling-kong, prince de Wei, recevant un jour un envoyé impérial qui lui apportait de riches présents, s'avança vers lui et l'aida à les déposer. Ce fait fut fortement loué. Tchwang-tze le rapporte pour justifier le nom donné à ce prince Ling « intelligent » d'une intelligence surnaturelle. On objectait que le prince observait peu les convenances, qu'ayant trois épouses il se baignait dans le même bassin qu'elles. Mais Tchwang-tze oppose la conduite tenue par Ling-kong dans la circonstance mentionnée ci-dessus. Puisqu'il respectait ainsi les sages, ajoute le philosophe, il méritait d'être qualifié de cette manière.

59. Les six genres de caractères de Fou-hi. — Les quatre véhicules du grand Yu.

1. Fou-hi le premier traça les huit kouas ; il mit à son service des dragons ailés et inventa les 6 genres de caractères d'écriture ; à savoir : d'après la nature même indiquant le sujet, en le figurant, par le son, la combinaison, le changement de forme et l'analogie.

2. Tandis que Yu travaillait à régulariser les cours des eaux et à prévenir les inondations, il dut user de quatre moyens de transport : le char sur la terre, le bateau sur les fleuves, le radeau dans les marécages, les semelles à pointes sur les rochers.

60. Le faisan blanc de Young-Tcheng de Tcheou et le crabe rouge de Shun de Tang.

1. Tcheng était le fils et successeur de Wou-wang (1115-1078). Le crabe rouge lui fut apporté par les habitants d'un pays situé au midi de la Corée, le Yue-tchang. Ces gens venaient dans l'empire du Milieu pour y consulter les sages. Le ciel était sans vent violent ni pluie inondante ; la mer était calme et sans vagues. Ils étaient déjà venus précédemment, mais ils s'étaient égarés en retournant. Tcheou-kong leur donna pour les guider un char à boussole indiquant toujours le sud. (D'après le Tong kien ts'ien pien).

2. Le crabe rouge fut offert à Shun, quand il gouvernait au nom de Yao, par le peuple dit « aux oreilles en cymbales, à la poitrine percée ».

61. Le bœuf orné de Tcheng-Tang. — La danse aux plumes de l'empereur Shun.

Ces deux traits présentent une application de la maxime : « plus fait douceur que violence ».

1. Tcheng-tang, après avoir vaincu le tyran Kie, régnait avec justice et humanité ; tout l'empire s'était donné à lui ; le prince de King seul résistait encore. Tcheng-tang ne voulut point l'emporter par les armes. Il fit préparer et orner un bœuf pour le sacrifice et l'envoya au prince de King pour qu'il pût s'en servir. Ce trait de générosité fit honte au rebelle qui se soumit aussitôt. (Voir le Yue-tsiue-Shu).

2. Shun était en guerre contre les Miaos ; après trois décades de lutte inutile, il renonça aux moyens violents et s'appliqua à faire preuve de vertu et d'art. Il organisa des pantomimes avec plumes dans la cour du palais. Cette conduite si sage eut l'effet attendu. Après sept décades les chefs du Miao vinrent se soumettre à l'empereur. Ceci est raconté dans le Shou-King.

62. Le vers de glace de l'empereur Tang. — Le rat de feu de Ming-ti des Wei.

1. Le Ti de Tang dont il est ici question est Yao. Sous son règne des marins ou habitants des rives de la mer vinrent faire présent d'un animal extraordinaire d'une utilité commerciale remarquable que l'on appelle ping tsang ou « le vers à soie de glace » ; il est long de 10 pouces, il a des écailles et des cornes. Quand le givre et la neige le recouvrent, il se transforme en cocon ; il est bigarré de 5 couleurs et de son fil tressé on fait des étoffes de soie bigarrées. Dans l'eau il ne se mouille pas ; traversant le feu, il ne se brûle pas. (Voir le Shih-i-ki).

2. Le rat de feu est un autre animal merveilleux qui fut présenté à Ming-ti des Wei la 3e année Tsing-long ou 235.
Les premiers provenaient d'une montagne perpétuellement en feu qui se trouvait au delà des déserts du midi. Là le vent le plus violent ne pouvait ajouter à l'ardeur du feu, ni la plus forte pluie parvenir à l'éteindre. Au sein de ce feu il y avait un rat si gros qu'il pesait cent katties ; ses poils étaient longs de deux pieds, fins comme la soie et propres à faire de l'étoile. Quand il est dans le feu, il est rouge foncé ; de temps en temps il en sort et devient blanc. S'il vient à être atteint et submergé par un courant d'eau il en meurt. De ses poils on tressa des fils dont on fit de l'étoffe ; quand celle-ci vient à être salie on la nettoie en la passant dans le feu. (Voir le Wei-tchi, hoc anno).

63. Le pou cherché de Tchao de Han. — La corne du rhinocéros broyée de Jin Tsong des Songs.

1. Le prince Tchao de Han se grattait une partie du corps, souffrant d'un chatouillement intense ; il laissa échapper un pou. Aussitôt il se mit à le chercher avec grand empressement. Ses aides de camp accoururent en hâte, saisirent le méchant insecte et le tuèrent. Ainsi le prince éprouva la sincérité de leur zèle (Han-tze).

2. Au temps de Jin Tsong des Songs, la capitale fut éprouvée par une violente épidémie. L'empereur ordonna aux chefs médecins de préparer au moyen de cornes de rhinocéros un remède qui guérissait cette peste. Jin Tsong en avait une de l'espèce appelée Tong-tien (qui pénètre le ciel). Les courtisans voulaient qu'il la gardât pour l'ornementation des vêtements impériaux ; mais il s'y refusa.
— Comment pourrais-je, dit-il, tant estimer un objet matériel extraordinaire et si peu la vie du peuple.
Et là-dessus, il donna ordre de broyer la corne pour en faire le spécifique requis.

64. Les pierres précieuses du bassin de Ming-hoang. — Les brocards des étangs de Te-Tsong.

Ces deux expressions caractérisent le luxe effréné et efféminé de certains monarques.

1. Ming-hoang, ou Hiuen-tsong, qui régna de 713 à 756, a été justement appelé le Louis XV de la Chine. Faible souverain, il se laissait dominer par les femmes dont il avait peuplé son palais intérieur. Dans ce palais il y avait un bassin couvert de fleurs de lotus où les dames épouses allaient se baigner ; un escalier secret en pierre précieuse y conduisait. Sur l'eau flottaient des pièces de brocards avec des canards, des cygnes (ou des cygnes artificiels) ; un canal d'or conduisait les eaux au milieu du palais. Souvent l'empereur allait avec ses femmes se livrer à de joyeux ébats.

2. Te-tsong des Tang est aussi connu par ses folles dépenses. On raconte que pour amener les eaux au palais, il faisait couvrir le fond des étangs d'étoffe de brocard des plus riches. Ce prince régna de 780 à 805.

65. La communauté incestueuse de femmes de Tchu-wen. — Le boire à midi de Kie de Hia.

1. Tchu-wen de la dynastie des Liang postérieurs, connu sous le nom de Tai-tsou et fondateur de cette dynastie, était de mœurs dépravées. Tandis que ses fils secondaires habitaient au dehors, il tenait leurs épouses dans son palais. Parmi ces fils, il en était un qui s'appelait Yen-wen et l'autre Yen-kuai. L'épouse du premier nommée Wang-shi était très belle ; aussi l'empereur l'avait en faveur spéciale et voulait faire de son mari le prince héritier ; ce qui irritait son frère et compétiteur. Tai-tsou étant tombé gravement malade ordonna à Wang-shi d'appeler Yen-wen, parce qu'il voulait lui confier la gestion des affaires et se le donner comme successeur. L'épouse de Yen-kuai, Tchang shi, l'ayant appris, avertit son mari qui accourut, pénétra la nuit dans la chambre de l'empereur malade et fit enfoncer son glaive dans le ventre de son père, tellement que la pointe sortit par le dos. Puis il enveloppa le cadavre dans un tapis et le cacha dans un coin de la chambre à coucher.

2. Kie le tyran, le dernier des Hia, détrôné par Tcheng-tang, avait construit un palais de jaspe et une tour de pierreries ; il y faisait des monts de viande fraîche et des forêts de viande séchée, un lac de vin était assez grand pour qu'un bateau pût y circuler. À midi on donnait un coup de tambour et tout le monde pouvait venir y boire. Il y avait du vin pour 3.000 hommes.

66. Les nombreux désirs de Wou-ti des Hans. — Le sans-souci de Kao-wei.

1. Wou-ti des Hans, qui régna de 140 à 86, disait un jour devant les gens de sa cour et des lettrés : je désire ceci, cela... Entendant cela, Hi-tien, l'un de ses conseillers, homme intègre et d'une sincérité franche, répartit :
— Votre Majesté a bien des désirs en son cœur ; extérieurement elle témoigne un esprit de bonté et de justice. Comment ne désire-t-elle pas renouveler le gouvernement de Yao et de Shun ?
L'empereur changea de couleur ; ses ministres craignirent pour le hardi moniteur ; mais Wou-ti se retirant dit simplement :
— La rudesse de Hi-tien est vraiment grande ! (Hun-Shu. Hi-tien Tchuen).

2. Heou-tchou ou Kao-wei, souverain de la dynastie des Tsi du Nord (565 à 576) était réputé par le peuple comme le prince le plus heureux intérieurement, le plus exempt de peine qui eût existé. Dans son palais orné de toute façon et réunissant tous les agréments de la vie, il se plaisait à jouer du luth, à se promener au milieu des bois et des fleurs. On l'appelait : le fils du ciel Sans-souci. Dans ces riants enclos, il avait établi des familles de pauvres gens et se plaisait au milieu d'eux. Son palais avait trois tours assez vastes pour contenir tout le monde de sa cour. Les dépendances étaient peuplées de chiens, de chevaux, d'oiseaux de proie sans nombre qu'il se plaisait à regarder. Entre-temps il abandonnait les rênes du gouvernement à ses eunuques. Aussi le mécontentement du peuple fut tel que la conquête de l'État de Tsi et la chute du souverain chinois se fit avec la plus grande facilité. Yang-kien, prince de Sui, attaqua le faible monarque qui s'enfuit et se réfugia dans un puits. Tiré de là et mené devant son vainqueur, Heou-tchou fut envoyé à Tchang-ngan et gardé comme prince déchu. Le sans-souci ne dura pas jusqu'à la fin (Voir le Pe-tsi, Yen-tchu tchuen, le Tong-kien, etc.).


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