Charles de Harlez (1832-1899)

FLEURS DE L'ANTIQUE ORIENT

Extraits des œuvres inédites des quatre plus anciens philosophes de la Chine


Journal asiatique, septembre-octobre 1896, pages 181-233

  • Introduction : "C'est l'opinion généralement admise que la philosophie chinoise commença avec Lao-tze et Kong-fou-tze, qu'avant eux l'Empire des Fleurs n'avait point eu de penseurs dignes de ce nom et qu'en eux seuls se résume même tout le mouvement intellectuel de leur époque.
    Les sinologues savent bien que c'est une erreur incontestable ; les manuels européens eux-mêmes qu'ils consultent communément, tels que ceux de Mayers et de Wylie, comme les catalogues et les encyclopédies chinoises, leur ont appris depuis longtemps les noms d'hommes de lettres qui, à leur époque et après eux encore, ont été tenus en grande estime par les docteurs chinois ; ils y ont vu les titres et la nature de leurs ouvrages. Mais il y en a bien peu, je pense, qui aient été dans le cas de pouvoir prendre connaissance de leurs écrits, d'en consulter les textes et de s'assurer, par eux-mêmes, du mérite des œuvres que des témoignages plus ou moins désintéressés ne suffisent pas à établir d'une manière sûre et définitive."
  • "Il sera donc agréable aux uns et aux autres, je pense bien, d'avoir sous les yeux quelques-uns ou du moins quelques extraits de ces monuments des vieux âges qui attestent de l'activité intellectuelle des anciens Chinois, et de la valeur de leurs spéculations philosophiques. Je ne puis pas, malheureusement, me vanter de posséder les textes complets, et je ne sais pas comment on pourrait se les procurer. Mais un empereur de la dynastie Ming, l'avant-dernier de la race, Hi-tsong, nous a épargné cette peine en faisant faire une anthologie soignée des passages les plus importants des philosophes de tous les siècles, et en choisissant à cette fin un comité de lettrés en renom pour faire un choix judicieux des chapitres à reproduire et des commentaires les plus propres à expliquer le sens."
  • "Ce recueil a été publié en 1625, par les soins de la commission formée par Hi-tsong et sous sa direction, avec le titre de Tchou-tze hoei hân ou Recueil complet des Docteurs. La publication en fut spécialement confiée à un annaliste du nom de Wen-Shen-meng qui en fit la préface et probablement aussi les notices qui la suivent, et qui donnent de courts renseignements sur les collaborateurs de Shen-meng et sur les commentateurs de l'œuvre. Celle-ci contient, en sa partie principale, outre de longs extraits, des chapitres entiers des œuvres d'une centaine de philosophes, des notices biographiques réparties, les unes en globe au commencement de l'ouvrage, les autres avant chaque série d'extraits ; et de plus des fragments de commentaires forts rares malheureusement et trop restreints pour être d'un grand secours."

Texte in extenso :
Yü-tze - Tze-ya-tze - Kuan-Yin-tze - Tze-hwa-tze - Note. Sens des mots Tao et Teh
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Yü-tze

Yü-tze, ou de son nom familier Yu-hiong, est certainement le patriarche des auteurs chinois, puisqu'il vivait au commencement du XIIe siècle avant notre ère et fut, dans un âgé très avancé, le maître du roi Wen (Wen-Wang), qui mourut en l'an 1135.

Yu-hiong était originaire du pays de Tsou et appartenait ainsi à l'une des races préchinoises. Il était âgé de 90 ans quand il rencontra Wen-Wang qui le salua avec respect. Le vieillard lui dit :

— Chargez votre serviteur d'attraper les bêtes sauvages et de poursuivre les cerfs.

Mais le roi le chargea, au contraire, de présider à la rédaction des annales et des pièces officielles du royaume. Il devint ainsi le précepteur du prince, et composa un traité en vingt-deux livres. L'incendie des bibliothèques par Shi-Hoang-ti des Ts'ins en fit malheureusement périr une grande partie. Cette perte a été réparée jusqu'à un certain point, grâce à ce fait que Yü-tze avait été cité par un grand nombre d'auteurs. On put ainsi recueillir ces textes épars et reconstruire une bonne partie de l'ouvrage primitif. Le plus grand dommage est que les diascévastes se sont permis d'intercaler du leur entre les fragments rassemblés. C'est là, du moins, ce que plusieurs critiques ont supposé. L'édition actuelle date de l'époque des Tang.

Yü connaissait à fond le Tao, dit Liu-Yen-ho, et fut le premier des philosophes ; il n'y en eut point avant lui. Et Fong-heng-kuei ajoute qu'il propagea la doctrine du Tao, prépara et rédigea les règles des offices, illustra les doctrines universelles par sa vérité, discourut des châtiments, et fit connaître le vrai et le faux en ce qui concerne la vertu. Ses paroles valent 1.000 pesants d'or et atteignent une hauteur prodigieuse. Il éclaire sa pensée, comme si le Tao était suspendu à la lumière du soleil et de la lune.

I. Principes du gouvernement

Wen-Wang demandait un jour à Yu-tze :

— Oserai-je vous demander si les hommes commettent un grand manquement ?

— Sans doute, répondit le philosophe.

— Puis-je vous demander, reprit le roi, quel est le manquement suprême ?

— C'est, répondit Yü-tze, de connaître ses propres défauts et fautes et de ne point les corriger. — En agissant ainsi on se perd soi-même et l'on détruit son propre corps. C'est la ruine des principes de gouvernement et de morale.

Le sage n'agit point sans prendre conseil, sans délibérer avec d'autres. Quand il s'est éclairé de cette manière, il connaît ce qui n'est pas conforme à la sagesse, et alors il peut agir suivant ses principes.

La sagesse et le vice se témoignent par les paroles, se manifestent dans la conduite. Aussi celui qui rejette l'erreur, sait le vrai ; celui qui hait le mal pratique le bien. Ainsi la sagesse (le tao) est dans ses discours. Ce qui a rendu célèbres les empereurs et les rois des temps antiques c'étaient leurs officiers. Les princes sages qui ont acquis des mérites autrefois, les ont acquis par leur peuple.

La force provient de la puissance intellectuelle, et les belles actions sont recueillies par les officiers royaux. Le bonheur (qui en résulte) revient au prince (qui en jouit). Quand les cinq empereurs gouvernaient le monde leur sagesse brillait comme le soleil, comme le jour succédant à la nuit. Elle a fait ainsi le bonheur et l'instruction du monde.

Il en fut ainsi de Hoang-ti jusqu'à Yu le Grand, et ce fut tout. Les monarques qui s'attacheront aux principes des cinq Tis et ne les abandonneront pas, auront un long règne, une longue mémoire.

Le ministère dans les États doit toujours être aux mains des gens vertueux. Mais avec ou sans pouvoir gouvernemental les hommes éclairés doivent toujours diriger les gouvernements.

La sagesse n'est pas l'œuvre d'une volonté d'un jour ; le gouvernement n'est pas un objet de délibération d'une journée. La volonté, le conseil qui gouverne sont dans le souverain quand ils se manifestent. Le peuple sait alors ce qu'il doit faire et observer, comme aussi ce qu'il doit éviter. La doctrine propagée jusqu'aujourd'hui et qui a donné le bonheur au monde est ce qu'on appelle le tao. L'affection mutuelle des chefs et des sujets est ce qu'on appelle la concorde, ho.

Ce qui procure au peuple ce dont il a besoin sans qu'il le cherche, c'est sin la sincère bienveillance.

Écarter les maux de ce monde c'est (l'œuvre de) la bonté. La bonté et la loyauté, la concorde et la justice (tao) sont les principes d'action des souverains ; tous les êtres en sont les instruments. Celui qui veut agir sans en user n'arrivera pas à ses fins. Les princes doivent imiter en cela le souverain, ou bien ils ne réussiront pas.

II. Cosmogonie

Ce morceau est d'une haute importance. Il prouve qu'à cette époque ia théorie du Yin et du Yang n'était point encore connue, et que si le dualisme « ciel et terre » était admis, c'était uniquement au point de vue cosmologique.

« Le ciel et la terre produisirent, et tous les êtres naquirent. Tous les êtres étant nés, l'homme les gouverna ; on peut tuer ce qu'on n'a pas pu faire naître ; mais ce que le ciel et la terre font périr, l'homme ne peut le rendre à la vie.

L'homme se modifie pour devenir meilleur ; l'animal ne change que pour être pire. L'homme qui ne peut être bon est justement appelé un animal.

Il y eut d'abord le ciel, puis la terre. Quand il y eut terre, il y eut ensuite distinction ; de la distinction vinrent le droit et le devoir. Après les droits et devoirs, il y eut enseignement, et après l'enseignement, le corps des principes. Des principes vinrent les règles d'action, puis les nombres se formèrent.

Le soleil a son obscurcissement et sa clarté, le jour et la nuit, et cela produit les nombres ; la lune a son plein et sa diminution, ses conjonctions et ses disjonctions qui comptent les périodes (Ki). Ces quatre faits par leur fixité règlent les nombres.

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Tze-ya-tze

Ce philosophe était contemporain du Yü-tze ; plus jeune peut-être que celui-ci, mais également conseiller de Wen-Wang. Il appartenait à la famille Kiang qui prétendait descendre de Hoang-ti et porta pour premier nom celui de Shang. Un de ses ancêtres avait été ministre de Yü le Grand et avait aidé ce prince dans ses grands travaux de régularisation des cours d'eau et de division des terres ; il avait reçu en récompense la principauté de Lu, d'où son descendant est appelé aussi Lu Shang ou Shang de Lu.

Son entrée à la cour de Wen-Wang se fit de la manière suivante, d'après la légende. Ce prince partant pour une expédition cynégétique en tira l'horoscope. La réponse fut celle-ci :

« Ce que vous prendrez ne sera ni dragon, ni léopard, ni ours, ni tigre, mais un ministre royal ».

En effet, Wen-Wang s'étant avancé jusqu'à la rive septentrionale du Wei rencontra un vénérable vieillard qui pêchait dans ce fleuve. Il entra en conversation avec lui et ses sages paroles causèrent au prince une vive joie :

— Mon ancêtre, le Tai-kong, dit-il, avait prédit que si Tcheou trouvait un saint pour le diriger, il prospérerait grandement. Vous êtes cet homme, maître, que mon aïeul avait aperçu depuis longtemps.

Tze-ya accepta la proposition du roi ; celui-ci lui donna le nom de Tai-kong-wang. « Le taï-kong l'aperçut » et le constitua son ministre directeur.

Tze-ya vécut, dit-on, jusqu'en l'an 1120, et vit ainsi Wou-Wang sur le trône impérial.

Les amateurs de légendes s'en sont donné à cœur joie relativement à notre philosophe et lui ont attribué cent exploits fabuleux dont nous ne parlerons point. Ce n'est point sans motif, puisque, selon Min-ho et d'autres encore, c'est lui qui affermit le pouvoir des Tcheous et assura à leur dynastie plus de 800 ans de règne.


I. Principes du gouvernement.

Wen-wang demanda à Tze-ya :

— Comment doit-on fixer ses désirs pour que le monde se porte vers leur objet ?

— Le monde, l'empire est à la fois le monde d'un seul homme et celui de tout le monde.

« Celui qui identifie ses intérêts à ceux du monde gagne celui-ci ; celui qui usurpe les intérêts du monde le perd certainement. Le ciel a ses temps et ses richesses ; ce qui fait qu'il les communique aux hommes, c'est la bonté. Là où est la bonté, le monde se porte avec ardeur.

« Ce qui écarte la mort de l'homme, l'arrache aux difficultés, le sauve de ses maux, apaise ses querelles, c'est la vertu.

« Le monde se porte là où est la vertu.

« Ce qui fait partager avec les autres hommes la douleur et la joie, l'amour et l'aversion, c'est la rectitude. Là où elle est, le monde se porte avec précipitation.

« Tout homme déteste la mort et se plaît à vivre ; il aime la vertu et cherche les avantages. Ce qui peut procurer un vrai avantage, c'est la justice ; là où est la justice, le monde se porte en foule. »

(Entendant ces sages paroles), Wen-Wang s'inclina deux fois et s'écria :

— Oserais-je ne point accepter le mandat que le ciel m'a conféré ?


II. Le Tao.

Wen-Wang, étant tombé gravement malade, fit appeler Tai-kong-Wang et, en présence de son fils héritier, il lui dit en soupirant :

— Hélas ! hélas ! le Ciel veut me faire mourir. Je désire que notre maître me parle du Tao afin d'éclairer mes descendants. Qu'est-ce qui fait prospérer les règles de sagesse des anciens saints ? Qu'est-ce qui en arrête le progrès, l'influence ?

Tai-kong répondit :

— Trois choses entravent le tao : c'est voir le bien à faire, et le négliger ; hésiter quand l'occasion se présente (et la perdre) ; connaître ce qui est le mal, et s'y adonner.

« Quatre choses, au contraire, le font prospérer : c'est le calme parfait avec la douceur, le respect avec la diligence à remplir ses devoirs, la condescendance dans la force, la fermeté avec l'endurance. Si la rectitude l'emporte sur les appétitions, on est éclairé, florissant. Si la diligence triomphe de la négligence on est heureux ; si c'est la négligence, on périra, certainement. »

Wen-Wang continua :

— Comment doit-on faire pour garder des domaines intacts ?

Tai-kong répondit :

— Pour cela, on doit ne point négliger ses parents, ne point négliger son peuple ; tenir en bienveillance ses ministres, diriger ses aides, ne point abandonner à d'autres le gouvernail de l'État, ne point élargir les fossés et agrandir les montagnes.


III. De la conduite des rois.

Wen-Wang, étant dans sa capitale de Fong, appela Taï-Kong et lui dit :

— Le roi de la dynastie Shang est tyrannique au souverain point. Les cruautés, les exécutions capitales ne lui font aucune peine. Duc Shang, aidez-moi. Comment dois-je témoigner au peuple ma bienveillance ?

Le grand duc répondit :

— Que mon roi, pour pratiquer la vertu, abaisse (ses regards) vers les sages ; que, pour aimer sincèrement le peuple, il considère la conduite du Ciel.

« Que l'ordonnance du Ciel soit sans opposition ; rien ne peut le prévenir. Que la voie de l'homme soit sans maux, sans calamités : c'est ce qu'il ne peut effectuer par des combinaisons antérieures. Aussi, quand on voit une opposition aux ordonnances du ciel, on voit (aussitôt) une calamité pour l'homme. Alors on peut la prévoir. Quand on a vu le côté brillant, on voit après le côté obscur, et ainsi on connaît le cœur. Quand on a vu l'extérieur, on voit après l'intérieur, et ainsi on connaît les pensées.

« Quand on a vu ce dont on s'éloigne, on voit ce à quoi on est attaché, et ainsi on connaît les dispositions de l'âme. Quand on suit un chemin, on peut aboutir à son terme ; quand on prend une porte on peut entrer par elle. Si l'on observe fermement un rite, ce rite s'accomplira parfaitement. La force que l'on exerce pourra triompher. Ce triomphe complet se fera sans combat, sans lutte meurtrière. On sera en communion avec les esprits. O mystère ! mystère !

« Si l'on partage les maux d'autrui, on l'aide à s'en guérir ; si l'on partage ses sentiments, on l'aide à se perfectionner ; si l'on s'anime de ses aversions on contribue à l'en délivrer ; si c'est de ses affections, on les rend plus vivaces. Ainsi on triomphe sans armes, on combat sans soldats ni engins de guerre ; on se défend sans fossé ni muraille. L'extrême sagesse n'est point la vraie sagesse ; la prudence et la bravoure poussées à l'extrême ne sont ni la vraie prudence, ni la vraie bravoure. Le profit recherché à l'extrême n'est point le vrai profit. Le monde n'est point le bien d'un seul homme, mais de tous. Ceux qui possèdent le monde doivent être comme des chasseurs à la poursuite du gibier sauvage dont tous entendent partager les chairs des animaux saisis. Ou bien comme des gens traversant un fleuve dans un même bateau et partageant les gains et les pertes. S'ils agissent ainsi, le monde, les hommes les exaltent ; sinon il les déprime.


IV. Les qualités d'un général.

Ces paroles furent adressées à Wou-Wang, fils de Wen-Wang :

« Les généraux ont cinq qualités et dix défauts.

« Les cinq qualités du général sont : la bravoure, la sagesse, la bonté, la sincérité et la loyauté. S'il est brave, rien ne lui résiste ; s'il est sage, il ne se laisse pas troubler. S'il est bon, il aime les hommes ; sincère, il ne trompe pas ; loyal, il n'a pas le cœur double.

« Les dix défauts sont ainsi expliqués : 1° une bravoure qui fait trop peu de cas de la mort ; 2° une ardeur qui rend le cœur trop hâté ; 3° un amour des richesses qui s'attache trop au gain ; 4° une bonté qui ne sait pas contenir les autres ; 5° une sagesse qui rend le cœur timide ; 6° une sincérité qui porte à trop se fier aux autres ; 7° un esprit d'économie qui éloigne de l'amour des hommes ; 8° une prudence qui rend trop circonspect et empêche d'agir ; 9° une vigueur qui fait trop agir par soi-même ; 10° une retenue, une modestie qui fait trop accorder aux autres.

« Les conséquences de ces défauts sont les suivantes : la bravoure exagérée engendre la cruauté ; l'ardeur, trop précipitée peut durer outre mesure ; la cupidité attachée au gain porte à la tromperie ; la bonté qui ne sait point comprimer se crée des difficultés ; la sagesse timide s'attache trop aux autres ; une sincérité trop confiante peut être trompée, conduite au mal ; une trop grande économie, égoïste, rend insouciant pour les autres ; une prudence trop circonspecte expose à des surprises désagréables ; une force qui abuse d'elle-même entraîne des différends ; une modestie trop déférente peut être circonvenue.

« L'armée est l'affaire la plus importante pour un État... Les généraux en sont les soutiens ; aussi les anciens rois les tenaient en haute considération ; leur nomination doit être faite avec le plus grand soin. »

Un autre jour Wou-Wang demanda au tai-kong comment un souverain devait s'y prendre pour connaître les qualités des hommes qu'il devait mettre à la tête de ses troupes et choisir sûrement un général héroïque. Tze-ya lui répondit :

— L'extérieur d'un guerrier ne doit pas être semblable à celui des autres hommes. Quant à la nature intime, elle a quinze traits communs à tous :

« Avoir un air de sagesse et être incapable ; avoir l'air doux et bon et être cruel, voleur ; avoir un air plein de dignité et de respect, et un cœur faible, timide ; paraître modeste, réfléchi, et n'avoir intérieurement considération, respect pour quoi que ce soit ; paraître habile, et manquer des dispositions nécessaires ; paraître bon et sincère, et manquer de droiture ; paraître aimer les conseils, les délibérations, et manquer de décision, de fermeté ; avoir l'air hardi, et être incapable d'action ; paraître simple et droit, et ne point mériter la confiance ; être craintif sans espérance, et repousser les amis sincères ; être facilement irritable et rendre des services ; avoir un air de grande bravoure, et intérieurement perdre facilement contenance ; avoir un air digne et grave, et fréquenter des gens légers ; être vif et difficile, et repousser les gens paisibles et doux ; être d'une force herculéenne, d'un aspect rude et grossier, et dans ses déportements n'avoir point de bornes, pousser aux extrêmes.

« Ce que le monde méprise et que les saints estiment hautement, le vulgaire ne le comprend pas. Quiconque n'a pas de hautes lumières ne peut en saisir les rapports.

« Tels sont les dehors des guerriers et les sentiments qui leur sont communs avec les autres hommes.

« Voici les moyens de distinguer les habiles des incapables, ils sont au nombre de huit :

« En les interrogeant on connaîtra leur art de parler, d'expliquer ; en les scrutant à fond par la conversation, on connaîtra leur science ; en épiant leurs actes on verra leur droiture, leur sincérité ; par des interrogations précises et claires, on fera paraître leurs capacités ; par l'usage qu'ils feront de leurs richesses, on verra leur esprit d'économie ; en les éprouvant par la tentation du plaisir sensuel, on voit leur intégrité ; en les lançant dans les difficultés on éprouve leur bravoure ; en cherchant à les faire boire jusqu'à l'ivresse, on connaîtra leur conduite.

« Tels sont les huit moyens de distinguer les capables des inhabiles. Dès qu'un État est menacé de difficultés, le roi doit quitter ses appartements royaux, appeler son général et lui dire :

« La sécurité ou les dangers des génies tutélaires du pays sont entre les mains d'un seul homme, le généralissime de ses troupes. Notre État ne doit pas être asservi, c'est pourquoi il a la volonté que son général prenne le commandement de ses armées pour y répondre.

« Ayant reçu et accepté cet ordre, le général fait tirer l'horoscope. Après trois jours de jeûne au tai-miao, on consulte la tortue sacrée. Ayant obtenu la désignation d'un jour propice, le général prend la hachette et la hache. Le prince se rend au tai-miao et s'y place du côté de l'ouest. Le commandant y vient ensuite et se met en face du prince. Celui-ci prend la hachette par le fer, et en présente le manche en lui disant : « Qu'avec cette hachette, le général qui la manie s'élève jusqu'au ciel. »

« Puis il prend la grande hache, et la tenant par le manche, en présente la lame au général en lui disant : « Que le général qui manie cette arme descende jusqu'aux abîmes ; que, quand il en montre le creux, on avance ; que, quand on en montre le plein, on s'arrête. Sans cela les trois armées ne seront qu'une multitude informe et mépriseront follement l'ennemi. Sans cela, la mission reçue par le général sera lourde et il périra. Sans cela, lui seul sera tenu en considération, et il comptera pour rien ses soldats. Sans cela, lui seul paraîtra et il négligera ses gens. Sans cela, les enquêtes, les procès surgiront et les soldats n'auront point de repos ; ils n'auront point la nourriture nécessaire et conséquemment l'hiver et l'été seraient égaux pour eux, ils perdront leur force, ils périront. »

« Ayant reçu ses ordres, le général s'incline, et remercie le prince en ces termes : « Votre sujet a entendu (le chef de) l'État, il ne peut suivre des ordres extérieurs, ni l'armée écouter des ordres de l'intérieur. Avec un cœur double, on ne peut servir son prince ; avec une volonté hésitante, on ne peut faire face à l'ennemi. Votre sujet, ayant reçu ses ordres, n'a plus d'autre pensée que (de répandre) la terreur de ses armes ; c'est pourquoi il n'oserait accomplir sa promesse envers son prince sans sacrifier sa vie. Mon souverain n'a qu'une seule parole à faire descendre vers son sujet: s'il ne l'approuve pas, son sujet n'oserait agir en vertu de cette mission. Si son prince l'approuve et le dit, il saura agir. »

« Soigner les affaires publiques et ne point tenir à l'écart les ordres du prince, cela dépend du général. Si devant l'ennemi, au combat, il a le cœur double, qu'il n'y ait plus de ciel sur sa tête, ni de terre sous ses pieds.

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Kuan-Yin-tze

Kuan-Yin, de son premier nom Lu, est un philosophe qui ne semble point indigne de ce nom, et qui se distingue de la plupart des penseurs chinois, restés dans l'obscurité, par des conceptions supérieures qui méritent l'attention de tous ceux qu'intéresse l'histoire de l'esprit humain. Cependant son nom est resté presque entièrement dans l'oubli, on le chercherait vainement dans les recueils bibliographiques tels que ceux de Wylie et de Mayers, comme dans les encyclopédies chinoises. Il n'a point même reçu de titre posthume ; wuh hao, disent les commentateurs du Tchou-tze. Il passe pour contemporain de Lao-tze ; comme celui-ci, les guerres qui ensanglantaient alors la Chine le déterminèrent à se retirer dans la solitude au bord de la mer, où il médita et écrivit ses pensées. On possède un livre en neuf piens qui porte son nom et qui, en tout cas, appartient à une époque ancienne. C'est encore le taoïsme dans sa pureté primitive, mais développé avec une intelligence remarquable. En bien des cas, il s'éloigne des doctrines du Tao-te-king, pour en adopter de plus logiques et plus compréhensibles.

Il y a tout lieu de croire que le livre de Kuan-Yin est authentique ; il a un caractère de vérité, de sincérité qui en fait foi. Mais, selon toute probabilité, il a été plus ou moins interpolé, comme la plupart des livres antérieurs à l'époque des Hans, par des lettrés désireux de faire confirmer leurs doctrines par le témoignage de l'antiquité. Rien ne le prouve mieux que la contradiction suivante que l'on trouve dans le pien 3. Kuan-Yin y expose un système cosmogonique qui exclut la théorie du Yin et du Yang ; il y revient à la fin de cette section. Mais, au milieu, le duo Yin-Yang apparaît sans aucun motif, sans trouver aucune place dans le système et comme une véritable superfétation.

La date de la mort de Kuan-Yin est aussi incertaine que celle de sa naissance. On a voulu l'identifier au Yin hi qui persuada à Lao-tze d'écrire son célèbre manuel. Mais cette supposition n'a rien qui la justifie.

Le Hong Siang vante la profondeur de ses pensées, le mesuré et le coulant de ses expressions, bien qu'il n'atteigne pas la profondeur de Lao-tze.


I. Le Tao.

Il est faux qu'il y ait un Tao qu'on ne puisse exprimer par la parole. Cela ne se peut. Quand on parle, c'est le Tao. Il est faux qu'il y ait un Tao qu'on ne puisse concevoir par la pensée. Quand on pense, c'est le Tao.

Quand le Ciel et les êtres sont irrités, ils dissipent les entreprises des hommes. Que d'erreurs alors! On s'imite dans la perversité ; on est en trouble par querelles ; on est ardent à l'imitation, et l'on commet des fautes. De là les rivalités et la servilité, le parler inconsidéré et injurieux, les abandons et les importunités. On parle comme soufflant une ombre ; on pense comme gravant dans le sable. Les saints et les sages eux-mêmes commettent des erreurs. Les esprits ne comprennent plus ce qui se fait et sont pleins de tristesse. On ne sait plus agir, atteindre un but, ni pénétrer les secrets, ni distinguer comme il le faudrait. On dit alors : C'est le Ciel qui fait cela ; ou : C'est le destin ; ou : Ce sont les esprits ; ou : C'est l'Empyrée ; ou, en un mot : C'est le Tao.

Là où il n'y a point d'être, là n'est point le Ciel, ni le destin céleste, ni les esprits, ni l'Empyrée.

S'il en est ainsi des choses, à bien plus forte raison des hommes. Tous sont hommes du Ciel et des esprits, tous acquièrent un destin et pénètrent l'Empyrée. On ne peut pas dire qu'il y en ait qui appartiennent au Ciel, aux esprits et d'autres pas ; que les uns ont un destin, sont faits pour l'Empyrée et les autres point. Aussi ceux qui connaissent bien mon Tao en un seul et même objet, connaissent le Ciel et pénètrent la nature des esprits, achèvent leur destin et atteignent l'Empyrée. Tous ces noms différents entre eux ne désignent qu'une même chose : le Tao.

Celui qui connaît le Tao est comme celui qui connaît l'eau ; qu'il aille au Ho, au Kiang ou à la mer, il ne lui donne qu'un seul nom : c'est de l'eau. Notre salive et nos larmes, c'est aussi de l'eau. Le Tao sans l'homme, sans moi, c'est ce que le saint ne conçoit point. Il n'a point le Tao de manière à s'en approcher ou à s'en éloigner, car il n'est pas sans le Tao ; il ne l'acquiert pas et conséquemment ne le perd pas (il l'a essentiellement). Aussi dit-on : celui qui ne possède pas le Tao, comment peut-il penser ?

Celui-là seul qui a constitué les êtres les connaît parfaitement. Il est comme le foyer à poterie ; il peut faire dix mille vases, et à la fin il ne lui en reste rien. Celui qui a pu faire ce foyer peut le détruire. Ainsi l'unique Tao peut faire tous les êtres, et à la fin il ne lui en reste rien. Celui qui peut faire le Tao peut le détruire.

C'est pourquoi on dit : le Tao est immense, et on ne le connaît pas ; le cœur est en mouvement perpétuel, et n'a point de maître qui le retienne. Les êtres se succèdent sans manquer jamais. L'éclair s'échappe ; le sable vole en l'air. Le saint connaît ainsi trois choses : le cœur, l'être particulier et le Tao. Ces trois réunis ne font qu'un, mais de telle façon que l'unité ne détruit pas la diversité, ni la diversité l'unité.

D'un bassin on forme un étang ; d'une pierre on fait un oiseau, un poisson. Quand on le fait flotter çà et là, on ne comprend pas la force secrète qui l'anime et qui le porte à 10.000 lis sans s'épuiser. C'est une eau sans source ni confluent. Ainsi le Tao du saint a une racine, mais pas de tête ni de queue ; se prêtant à tous les êtres, il ne s'épuise pas. Aussi l'on dit : ce n'est point le Tao qui regarde, c'est le feu. Ce n'est point lui qui repousse, c'est le bois ; ce qui parle, ce qui pense, ce n'est point le Tao, mais le métal, la terre. Le saint seul ne se départit pas des sentiments de sa nature fondamentale, mais atteint le Tao suprême. Avant que son cœur ait engendré ses sentiments, le Tao l'a mis en action.

Le poisson trompé par un appât que lui dérobe l'obscurité, se prend à l'hameçon et meurt. Ainsi celui qui ne distingue pas le moi du non moi et repousse le Tao (périra également).

Le monde a de nombreux artifices ; les uns usent principalement de l'inintelligence, les autres de l'intelligence, de la force ou de la faiblesse. Tout ce qui y a recours est affaire de ce monde, ce qui n'y recourt point est Tao. Le Tao ne peut être atteint de cette manière. Ce qui s'atteint ainsi est la vertu.

Ce Tao ne peut être mis en action i ; ce qui peut l'être ce sont les actes des êtres particuliers qui ne peuvent être qualifiés de Tao.

Les saints savent acquérir ces vertus et produire ces actes, et ainsi favoriser les cinq sources de vie. Si on ne peut ni les acquérir ni agir, on favorise les cinq causes de mort.


II. Cosmogonie.

Comme une coupe, un bassin, une jarre, un pot bu, une cruche, une terrine, tout peut servir à constituer le Ciel et la Terre.

La tortue divinatrice, la plante sacrée aux feuilles nombreuses, une poterie, une pierre gravée peuvent donner des pronostics de bonheur ou de malheur. Ils nous apprennent le principe rationnel du Ciel, de la Terre et de tous les êtres. Ce qu'un être comprend, deux êtres le comprennent sans que l'un emprunte à l'autre. En unissant mon principe sensible à celui d'un autre, nos deux principes se prêtent et se complètent, et l'esprit vient s'y ajouter.

Quand il y a une poule et un coq, un œuf engendre (un poulet). Quand il y a un taureau et une vache un sein produit (un veau). Le corps est l'essence matérielle de ces êtres, le principe rationnel en est l'esprit. Ce qui aime est le principe sensible, ce qui voit et comprend est le principe spirituel. C'est comme l'eau et le feu. (Ce qui produit est comme le bois ; ce qui maintient en repos et sûreté est comme le métal.)

Tout doit être considéré d'abord dans la substance (Khi ) d'un principe unique qui se concentra dans chaque être particulier, qui l'embrassa avec sentiment et s'unit à sa forme sensible, qui, le considérant invisiblement, s'adapta à son principe rationnel. Quand cela fut, alors l'être visible exista, et cette forme qui a sa vie, ses évolutions propres, se mut dans le vide immense.

Puis, ayant atteint le milieu, elle s'éleva et forma le Ciel ; elle descendit et forma la Terre. Il n'est rien qui monte sans plus descendre, ni qui descende et ne monte plus. Ce qui monte forme le feu, ce qui descend constitue l'eau. Ce qui cherche à monter et ne peut y parvenir forme le bois, les arbres. Ce qui cherche à descendre et ne réussit point forme le métal. Le bois a une substance telle que quand on le fore il prend feu, et quand on le tord il prend l'eau.

Le métal, quand on le frappe, prend feu ; quand on le fond, il prend eau.

Le métal et le bois sont la combinaison de l'eau et du feu.

L'eau est la substance matérielle, atomale, et forma le Ciel, le feu forma les esprits et la Terre. Le bois forma les kueis et l'homme. Le métal forma les êtres matériels et les êtres vivants. Ce qui évolue sans s'arrêter jamais forme les temps. Ce qui enveloppe et se tient en place forme les régions de l'univers.

Ce qui de la Terre, en toutes ses périodes, sait expliquer et énoncer, s'appelle l'homme d'ici-bas. Mais, il ne peut pas lui-même prévoir et calculer, combiner sûrement ce qu'il doit faire. Les rêves des hommes diffèrent beaucoup selon le sujet. Ce que ces rêves de chaque nuit ont pour objet sont le Ciel, la Terre, les hommes, les autres êtres. Tous considèrent ces choses et cherchent à les épuiser, mais, par nos conceptions obscures et sensibles, nous ne pouvons atteindre à la connaissance. Comment savoir cela ?

Le cœur correspond au dattier, et le foie à l'orme.

Si je pénètre le Ciel et la Terre, alors à l'obscurité je rêve de l'eau ; en plein jour, du feu. Si c'est au contraire le Ciel et la Terre qui me pénètrent, alors je suis avec eux en communauté de relation et d'exclusion. Chaque chose suit son cours selon sa simple nature.


III. Des qualités du cœur et de leurs effets.

Quand le cœur comprend en soi le bonheur et le malheur, c'est son esprit éclairé qui le domine. Si c'est (les sentiments) des hommes et des femmes l'un pour l'autre, c'est un esprit lascif. Si c'est un chagrin profond, mystérieux, c'est un esprit confus, troublé. Si ce cœur contient des tendances au relâchement, au plaisir, c'est un esprit corrompu qui le mène. S'il recouvre une tendance au serment, au jurement, c'est un esprit porté à l'étrange, au magique. Enfin, celui qui aime les charmes, les philtres, est sous l'empire d'un esprit corrompu. Ce genre d'esprit prend corps par l'obscurité, les ténèbres, le vent, le Khi, en une figure de terre, un corps peint, un vieil animal domestique, un vase brisé.

Quand deux kueis de ce genre se correspondent, l'esprit en fait autant, et de là résulte ce que le kuei domine. Les uns font alors des choses magiques ; les autres, des choses d'une beauté extraordinaire ; d'autres encore, des affaires d'un heureux augure. Si ces hommes enorgueillis par ces actes ne disent pas : « Un kuei est en moi », mais « Le Tao est en moi », ils mourront les uns par le bois, les autres par le métal, les autres par la corde, les autres dans un puits. Le saint seul peut reconnaître en lui l'esprit céleste.

S'il ne sait pas se spiritualiser, mais sert tous les êtres, en est dominé et prend en main leur principe d'action (pour le diriger à son gré), il saura les réunir, les disperser, les régir ou correspondre constamment à leurs tendances, mais son cœur perdra toute voix, tout sentiment.

Sans un cœur simple, les cinq sens s'échappent également et le cœur ne peut garder son unité. Sans un cœur vide, les cinq éléments s'y réunissent par leur action, et le cœur ne peut plus se vider. Sans un cœur calme, toutes les modifications, les passions s'y multiplient et le calme ne peut être rétabli. Si, au contraire, le cœur est simple, il pourra se doubler (aimer un autre). S'il et vide, il pourra se remplir. S'il est calme, il pourra se mouvoir.

Mais le saint seul peut aspirer à cet état.

Ce qui pense c'est le cœur ; mais ce par quoi il pense c'est l'esprit et non le cœur. De même que ce qui flotte c'est le bateau, mais ce par quoi le bateau flotte c'est l'eau et non le bateau. Ce qui chemine c'est le char, mais ce par quoi il chemine c'est le bœuf et non le char.

Mais on ne sait pas comment le cœur et l'esprit opèrent. C'est pourquoi la venue de la pensée ne peut être suivie, son départ ne peut être arrêté. Elle a son fondement, une origine semblable à celle du Ciel et de la Terre. Rien en elle n'est ni ancien ni nouveau.

Quand on connaît le cœur dépouillé de tout être extérieur, on connaît l'être sans (autre) être ; connaissant l'être sans être (particulier), on connaît le Tao sans être spécial, et alors on n'estime plus ce qui sépare de l'être supérieur, on ne craint plus les paroles mystérieuses, sublimes.

Quand un autre être et moi entrons en relation, (les sentiments de) mon cœur naissent comme le feu quand deux bois sont frottés l'un contre l'autre. Je ne puis pas dire que cela est en moi ou dans l'autre, je ne puis pas dire que ce n'est pas moi, que ce n'est pas l'autre. Si je m'attribue ce qui est de l'autre, je commets une lourde erreur.

La pensée diffère de la représentation intellectuelle. Par la seconde, par exemple, je vois un kuei et je suis ému, je vois un voleur et je m'effraie.

Par la première, je sais que le millet est un grain, que le jade est une pierre. Quand ma pensée flotte sans image, elle n'a pas de point d'arrêt, de fondement. Ainsi, quand je vois paraître un objet merveilleux, cet objet en lui-même est de la connaissance, sa naissance est de la pensée. Le principe de cette pensée, de cette connaissance n'est pas en moi. De même que le jour présent et son cours jusqu'au jour de demain, ainsi la connaissance et la pensée diffèrent, car la connaissance ne peut atteindre le jour qui n'est pas encore. Ainsi ces deux actes de l'intelligence sont en rapport avec ce qui les engendre, leur naissance (dans l'esprit humain).

De ce que je connais par la pensée, je ne vois point l'être qui est hors de moi, ni la pensée qu'il produit au dedans de moi. Les êtres naissent en haut d'abord, puis se transforment en objets terrestres. Une chose qui se fait, naît dans ma pensée, puis se transforme en ma pensée. Quand j'en ai conscience, j'affirme ou nie son existence, je l'approuve ou le rejette. Ainsi la volonté change sans que le cœur change pour cela.

La pensée s'éveille, le cœur est toujours en éveil ; le cœur est un, la pensée varie, ses particules vont et viennent. Les actes se produisent, et cessent comme un feu qui s'élève et s'abat ; le cœur ayant un principe stable reste le même.

Les sentiments naissent du cœur, le cœur provient de la nature, de la substance. La substance se meut, le cœur suit ses impulsions.


Jadis ceux qui savaient manier les baguettes divinatoires et brûler la tortue pouvaient voir le passé dans le présent, le présent dans le passe, le grand dans le petit et le petit dans le grand, le bas dans le haut et le haut dans le bas, l'un dans le multiple et le multiple dans l'un ; les choses dans l'homme et l'homme dans les choses ; une personnalité dans l'autre. C'était le Tao (qu'ils voyaient ainsi). En lui il n'y a ni présent ni passé, rien au-dessus qui le recouvre, rien en dessous qui le soutienne. Immense, il n'est rien hors de lui ; en sa petitesse, il ne contient rien. En dehors de lui, il n'est rien ; en son intérieur, il n'est point d'homme. Près de moi, il est sans moi ; plus loin, il est sans autre être humain. On ne peut le diviser ni le réunir ; on ne peut ni l'élucider ni le concevoir. On ne sait de lui que ses actes par lesquels il est le Tao. L'eau jaillit, se répand, et par son pouvoir générateur, elle produit les cinq passions. Le feu vole et, par sa pénétration, forme les cinq senteurs. Le bois produit une abondante végétation, c'est pourquoi sa floraison engendre les cinq couleurs. Le métal est dur, c'est pourquoi sa solidité engendre les cinq sons. La terre est molle et maniable, et par sa cessibilité forme les cinq goûts.

Le nombre fondamental de toutes ces choses est cinq ; quant à leurs variations il est impossible de les compter, non plus que leurs mélanges.

Ainsi, de tous les êtres qui sont entre le Ciel et la Terre, on ne peut dire qu'ils sont cent mille, ou bien cinq, ou bien un, et l'on ne peut davantage soutenir qu'ils ne sont rien de tout cela.

C'est en réunissant ou en séparant que se produisent les formes et les nombres et le Khi : la substance générale suit toutes ces opérations spontanées. Les êtres ne me connaissent pas, et moi je les ignore ; mais ils peuvent agir au sein de mon cœur et se révéler. Alors mon cœur a un objet sur lequel il se porte ; l'affection l'y suit, la passion en substance atomale l'accompagne. L'eau engendre le bois, le bois engendre le feu, lequel engendre la terre ; la terre engendre le métal qui, à son tour, engendre l'eau, et cela se reproduit indéfiniment.

Les hommes vulgaires ne voient en toute chose que l'être particulier et non le Tao. Le sage y voit le Tao et pas l'être particulier. Le saint, comprenant le Ciel, ne voit ni les choses ni le Tao (de chaque être), mais le Tao un et universel.

Si on ne peut pas le saisir, c'est le Tao ; si on saisit, c'est un être particulier. On le dit : celui qui comprend l'illusion des êtres créés ne doit pas pour cela les rejeter. C'est comme celui qui voit un bœuf de terre ou un cheval de bois, instinctivement il s'arrête au nom du bœuf ou du cheval, son esprit oublie les animaux réels.

Cette théorie psychologique de Kuan-yin-tze vaut la peine d'être reconstruite systématiquement en la dépouillant de tout ce que le langage imagé de l'oriental lui donne d'obscurité et de singularité.

En somme, voici ce qu'il veut dire :

L'origine des idées, des pensées est dans l'intelligence, mais celle-ci les actualise dans le cœur ou dans l'organe du sentiment et de la volonté. Comment ces opérations se font-elles, quel en est le premier principe, c'est ce que personne ne peut dire. Elles s'exécutent dans un fond mystérieux que l'intelligence humaine ne peut pénétrer ; aussi la pensée, l'idée se produit en notre esprit sans que nous sachions comment et d'où elle jaillit ; elle s'en efface très souvent sans que nous soyons en état de la retenir.

Pour analyser avec précision les actes intellectuels, il faut distinguer la simple idée, l'image interne ou la notion simple, la représentation intellectuelle, la connaissance nue, de la pensée qui implique réflexion, comparaison, association et jugement. Par la simple idée, nous connaissons indirectement l'existence de l'objet, et directement la conception en notre intelligence. Par la pensée, nous en connaissons la nature, les propriétés, ainsi que la représentation intellectuelle en nous.

L'idée est le fondement de la réflexion, de la pensée, et celle-ci n'opère pas, ne se produit pas sans image. Le principe de la connaissance et de la pensée, n'est pas en nous. — Par ces deux aphorismes trop brièvement exprimés, Kuan-Yin rejette à la fois l'idéalisme et le sensualisme même mitigé. S'il n'existe pas en nous, à son avis, d'être intellectuel sans image, c'est qu'il ne parle que de la réflexion, de la pensée dont nous avons conscience ; il n'exclut pas l'acte intellectuel qui se fait en nous à notre insu. Il distingue très bien l'idée qui se produit par l'effet d'un objet externe et la réflexion qui s'opère en nous par un acte personnel interne. Quant à l'objet externe, ce n'est pas lui-même, mais son image et son opération sur nous que nous percevons ; image, du reste, très fidèle.

Après ces réflexions sur les actes de notre intelligence, Kuan-Yin étudie la nature de nos facultés intellectuelles dont, à ses yeux, le fonds est le cœur lui-même. La mobilité, la variabilité de nos actes impliquent-elles la même mutabilité de ces facultés et de leurs principes de raison ? Nullement. Ces facultés sont toujours identiques à elles-mêmes tant qu'elles restent saines. Quand nous nions, affirmons, louons ou blâmons c'est un seul et même principe qui nous guide et dicte nos jugements, « le vrai, le bon ».

Enfin Kuan-Yin proclame que les êtres finis, bien qu'ayant une existence réelle propre — ce qui exclut le panthéisme — ont existé d'abord idéalement dans le Ciel, dans l'Être infini, le Tao, et qu'on ne les connaît réellement que quand on les voit dans leur source et immanents dans leur cause : l'Être infini.

Voilà assurément des conceptions psychologiques qui valent la peine d'être connues, et n'oublions pas que Kuan-Yin a précédé Platon de plus d'un siècle.

*

Tze-hwa-tze

Ce philosophe porte le même nom littéraire qu'un disciple de Confucius dont il est fait plusieurs fois mention dans les Mémoires de l'école connue sous le nom de Lun-Yu. Mais ses autres noms diffèrent entièrement de ceux que portait le compagnon du grand homme dont les condisciples nous ont conservé le souvenir : il n'est pas présumable que ce soit un seul et même personnage. Le nôtre appartenait à la famille Tcheng. Son premier nom avait été Pen et son nom d'adulte Yu-hoa. Le Tze-hwa des Lun-Yu s'appelait Kong-tsi-hwa et Tchih de son premier nom. En tout cas, notre Tze-hwa était contemporain de Kong-tze. Un jour l'ayant rencontré, il s'écria en soupirant :

— Voilà le plus sage lettré de ce monde !

Son biographe ajoute que ses leçons étaient en grande faveur auprès des princes grands vassaux qui l'écoutaient avec grande satisfaction. Il eut de nombreux disciples, et écrivit un ouvrage qui fut intitulé de son nom, ou de celui de sa famille : Tcheng-tze, le Tcheng-tze, le Livre du docteur de Tcheng.

Tze-hwa était né au duché de Tsin, mais sa réputation et ses doctrines eurent bientôt franchi la frontière de son État natal. Le quatrième chapitre de son livre nous le montre voyageant dans l'État barbare de Yue, tout au sud-est de la Chine. Dans d'autres, nous le voyons en conversation avec ses disciples Kong-Tchong-tching, Pe-Kuan-tze, Gan-tze, etc.

On vante notre philosophe pour son caractère franc et ouvert, joyeux et aimable, qui rendait agréables ses entretiens et ses leçons. Son livre traite principalement de matières gouvernementales ; mais nous ne pouvons pas en parler d'une manière générale, il ne nous est connu que par ses six premiers chapitres.

Nous en donnerons à nos lecteurs ce qui nous paraît le plus important. Il ne plaisait pas, du reste, à tout le monde, car Tchu-Yuen-hoei dit que son langage est dur et acerbe, ses pensées peu profondes, malgré sa recherche de l'élévation et des ornements de style.

Des légendes merveilleuses.

Le chapitre 1er est intitulé : « Questions de Kong-Tchong-tching ». Il s'ouvre, en effet, par une question que ce disciple pose à son maître. Il demande à celui-ci si ce que l'on dit de l'ascension de Hoang-ti vers la demeure de Shang-ti, et de ce que ses officiers ont fait de ses armes et de ses vêtements, est digne de confiance.

Tcheng-tze, car il est introduit ici sous ce nom, répond qu'il n'en est rien : puh shen i. Les gens du siècle sont amis de tromperies et des faits merveilleux. Les saints sont de la même espèce que les hommes du commun. Ils ont ainsi même forme corporelle, et conséquemment même substance essentielle (Khi) et de là, même intelligence, même principe de connaissance. Quand l'espèce est différente, la forme, la substance, l'intelligence diffèrent également.

Ce qui fait que les hommes peuvent se régir les uns les autres, c'est la communauté d'espèce. Ce qui leur permet de se servir les uns des autres, c'est la communauté de forme extérieure. Celle du Khi les met à même de se contrôler les uns les autres. Celle de la connaissance, de l'intelligence les met en relation mutuelle.

L'homme diffère du dragon, le dragon d'un vase, le vase du nuage (et sont sans relation entre eux ).

La colère suffit pour émouvoir et faire agir ; mais un appel, une injonction, ne peut forcer à exécuter une charge. Cela ne se peut.

Mais les gens du monde aiment les fables mensongères et les miracles. Je l'ai entendu dire, les saints de la haute antiquité, pour instruire le monde et régir le vulgaire, usaient de paroles vraies et d'autres détournées.

Par la vérité ils enseignaient (?) ; par les récits fictifs, supposés, ils inculquaient leurs leçons ; les fables se sont propagées par tradition, ont induit le peuple en erreur, parce qu'on les a prises pour vraies. Alors ceux qui en connaissaient la nature ont cherché à les corriger, à en arrêter le cours, car elles provoquaient le trouble.

Le gouvernement de Hoang-ti avait son principe dans des sentiments secrets et mystérieux qui élevaient son âme bien haut, la portaient au fond des choses. C'est pourquoi il fut la cause de mille félicités pour le peuple, et pour ce motif les esprits reçurent eux-mêmes des leçons à sa cour.

Hoang-ti sut préparer le cuivre, et fondit l'élément dur ; il monta le mont Sheou et fit un vaste fourneau ; il y opéra les transformations magiques. Sa cuve magique fondit et fit les instruments servant aux êtres du monde. L'eau était en haut, le feu en dessous. Ces deux éléments, montant et descendant, se pénétraient mutuellement, se combinaient et se solidifiaient. Les dragons sont de la substance du Yang, les nuages leur sont apparentés.

Le champ d'action de Hoang-ti était le rayon de son intelligence et le cercle des changements des artifices du cœur. Par son espèce, son corps, sa substance, ses connaissances, il était semblable aux autres hommes, et conséquemment il n'avait point atteint la perfection, ni le plus haut degré : mais par sa perspicacité, sa pénétration subtile et merveilleuse des êtres, par l'élévation de ses facultés intellectuelles, il était de beaucoup au-dessus du reste des mortels. La connaissance, l'intelligence de tous les officiers inférieurs ne pouvaient atteindre à ce degré. D'en bas, ils pouvaient voir la couleur noirâtre des dragons, mais ils ne pouvaient s'élever en l'air.



Gan-tze, disciple de Tze-hwa, avait été en fonctions pendant trois ans, et s'était attiré de justes blâmes. Le prince l'ayant appris en fut profondément affligé ; il l'appela à sa cour (pour le réprimander), mais il voulait lui pardonner. Gan-tze refusa.

— Non, dit-il, votre sujet reconnaît sa faute ; il demande de pouvoir la réparer.

Trois ans après il présenta une poésie au prince qui voulut le récompenser ; Gan-tze refusa.

— Jadis, dit-il, il arrivait que les magistrats, après avoir bien administré, étaient punis malgré cela. Aujourd'hui, pour avoir mal gouverné ils seraient récompensés, votre sujet ne désire point une pareille chose.

Tze-kwa-tze ayant appris cela dit :

— On peut dire que Gan-tze a parlé selon la vérité, et non selon la pensée du prince ; son refus peut servir de leçon.

(Il y a deux manières d'agir) : tout aplanir en recouvrant les fautes, ou s'en tenir rigidement au droit. La nature de l'homme est telle, qu'il loue ce qui lui ressemble, qu'il l'aime. Cet amour fait que la haine (du mal) peut s'arrêter (à tort) ; cette faveur fait donner une base à ce que l'on appuie (à tort) ; cette louange fait que le (juste) blâme peut être repoussé (fautivement). Les chefs ne réfléchissant pas à cela, alors leurs officiers recherchent (uniquement) ce qu'ils désirent, et l'ayant obtenu, ils ne se préoccupent nullement de bien faire. Le moyen d'arrêter les troubles en ce monde et de maintenir l'ordre, c'est de tenir le juste milieu entre ces deux lignes de conduite : tenir tout en paix en cachant les fautes, ou maintenir rigidement les principes du droit, sans indulgence.

*

Note. Sens des mots Tao et Teh

Ces termes, comme on le sait, désignent les sujets principaux du livre célèbre de Lao-tze : le Tao teh king ; mais on n'est pas d'accord quant à la manière de les traduire. J'ai déjà discuté cette question dans mon introduction à la traduction de ce livre ; mais comme on y est revenu depuis, je dois en dire encore quelques mots, d'autant plus que la petite étude que nous venons de donner au public nous ramène forcément à cette explication.

Il n'est pas nécessaire de combattre l'idée que le Tao est identique au λόγος philonien. Le Tao n'a rien d'un verbe divin, le mot Tao ne signifie pas : parole, verbum, λόγος. Le sens de dire ne lui a été donné que tardivement. Mais le mot Tao taotzéien a été rendu de nouveau par le terme soi-disant correspondant de « voie, chemin », tant dans l'opuscule de M. de Pouvourville que dans le Lao-tze du savant sinologue Dr. J. Legge. C'est ce qui nous oblige à nous arrêter un instant à ce sujet.

M. de Pouvourville a reçu cette explication de son maître, un tao-she du Tonkin ou de l'Annam, et juge que celui-là seul peut comprendre ces termes et le livre de Lao-tze, qui a reçu l'enseignement des disciples modernes du vieux philosophe. Les sinologues européens n'y entendent rien.

Il nous est impossible d'admettre ce principe. Il est certain que les prétendus disciples modernes de Lao-tze ne le sont en aucune manière, les Tonkinois tout spécialement, et que la doctrine du maître a été altérée, transformée au point de n'être plus qu'une charlatanerie indigne du dernier des philosophes. M. de Pouvourville oublie, en outre, que les sinologues occidentaux ne se basent point sur leurs propres conceptions, mais sur les explications des anciens commentateurs chinois qui comprenaient certainement mieux leur philosophie que les lettrés actuels de l'Indo-Chine. Ils ont donc été à meilleure école que le nouvel exégète du Tao-te-king. Il suffit, du reste, de jeter un coup d'œil sur la traduction de M. de Pouvourville pour s'assurer que ses docteurs n'ont pas été pour lui des guides fidèles.

Plus étonnante est l'accession du savant sinologue d'Oxford à l'interprétation de Tao par way «chemin». Nous regrettons énormément de ne pouvoir nous ranger à un avis qui est en lui-même d'un si grand poids. Il est vrai que le mot Tao a pour sens propre celui de « chemin, voie » ; mais, dès la plus haute antiquité, il avait également celui de «principe de conduite, de sagesse, règle, loi». Il suffit d'ouvrir les lexiques du professeur Legge lui-même pour le constater. Wuh tao « sans tao » dans le Shou-King, équivaut à notre « sans foi ni loi ». Mais dans le Tao-te-king, Tao n'a aucun de ces deux sens. Il n'est point « un chemin », puisqu'il est considéré comme l'être infini, producteur de tous les êtres, les contenant tous, dans le sein duquel tous doivent rentrer ; à la fois « immense » et tellement « subtil » qu'il est comme un atome imperceptible (le sûxma du brahmanisme) ; il est qualifié d'esprit des profondeurs, etc. Tout cela est incompatible avec l'idée d'un chemin ou d'un simple principe de morale.

Si même Lao-tze dit que le Tao est large et vaste, et que le peuple aime les chemins étroits, cela n'a pas d'autre sens que la sentence évangélique Ego sum via. Il est donc évident que le mot Tao a trois acceptions différentes se rapportant à trois ordres d'idées distinctes : au physique, c'est un chemin ; au sens moral, c'est un principe, une règle de conduite, la sagesse, etc. ; en métaphysique, c'est l'être premier, infini, source productrice de tous les êtres particuliers.

C'est ce qui ressort évidemment de tous les passages des quatre philosophes dont nous venons de voir les divers systèmes.

Lao-tze n'en connaît pas la nature, c'est pourquoi il lui donne un nom vague, sans détermination précise. C'est le Tao, mot qui correspond au dharma bouddhique et qui a la même valeur que le tad, l'idam des brahmanes. C'est l'être infini qu'on ne peut expliquer, puh ho tao ; qu'on ne peut nommer, puh ho ming, parce que pour expliquer ou nommer il faut « définir », c'est-à-dire «limiter». Quand cet être produit des êtres particuliers, distincts de lui, alors il existe un rapport entre lui et ces êtres ; dès lors il y a prise à une détermination, on peut expliquer, on peut donner un nom. C'est la haute pensée renfermée dans les termes des deux premières phrases du Tao-te-king. Y introduire l'idée de chemin, c'est détruire le parallélisme et rendre les idées tout à fait disparates.

Du reste, voici comment un disciple certain et autorisé du vieux philosophe explique les conceptions de son maître :

« Le Tao était sans forme, profond et en parfait repos, obscur et silencieux, solitaire, léger, subtil, pur (de tout autre essence), couvrant le Ciel et la Terre, soutenant tout, élevé et sans rien au-dessus de lui, se mouvant en tous sens, immense, vide, jamais rempli, sans limite, ni épuisement, sans matin ni soir, inapparent, étendant le contraste, illuminant l'obscur, rendant fort le faible. Il tient en bouche le Yang et émet le Yin.

Il entretient et gouverne tout, il engendre tout ce qui appartient aux êtres visibles et invisibles, etc..

Quant au mot teh que nous rendrons par « vertu », Wen-tze met dans la bouche de Lao-tze les paroles suivantes :

« Teh, c'est nourrir, entretenir, façonner, faire grandir, servir tous les êtres sans arbitraire, s'unir dans son action au Ciel et à la Terre.

C'est bien là ce que nous entendons par « vertu, bonté », et non la puissance d'action du Tao (voir kiuen V, § 3). Rappelons-nous, en outre, les paroles de Kuan-Yin-tze : « Ce qui s'obtient en dehors des artifices du monde, c'est le teh » et ce commentaire de Wen shen meng : « la vertu, teh, consiste en qualités acquises par l'exercice . »

Nous pourrions ajouter cent autres citations corroborant notre interprétation ; bornons-nous à cet extrait de Ku-Yun-tze, contemporain de Wou-ti :

« (Le sage) considère le Tao et le Teh comme (les sources de) la beauté majestueuse ; la bonté et l'équité comme les règles des actes. »


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