Charles de Harlez (1832-1899)

Charles de HARLEZ (1832-1899) : L'infanticide en Chine. Le Muséon, 1884, vol. IV, pages 205-210, 273-280, 428-436.


L'INFANTICIDE EN CHINE

Le Muséon, 1884, vol. IV, pages 205-210, 273-280, 428-436.

  • "Chacun sait la controverse qui, dans ces derniers temps, s'est élevée sur cette question. Les uns affirment que les Chinois pratiquent l'infanticide sur une assez large échelle et réclament le secours de l'Europe pour élever les malheureux abandonnés et arracher, à prix d'argent, les victimes aux mains de leurs bourreaux. Les autres soutiennent qu'il est parfaitement inutile de s'occuper des enfants chinois, attendu que les habitants du céleste empire sont trop bons parents pour se défaire jamais de leur progéniture et qu'en tous cas il y a en Chine des orphelinats officiels pour recueillir ceux que leurs parents auraient pu délaisser."
  • "Nous recevons aujourd'hui de Chine une série de documents qui donnent à cette intéressante question une solution définitive, ce sont des décrets des empereurs ou des préfets, des extraits de journaux, de livres répandus en Chine, de copies même d'images populaires dont le contenu ne laisse plus aucun doute à ce sujet.
    Nous ne saurions reproduire ici ces textes, qui forment du reste, tout une grosse liasse ; ni même en donner la traduction complète ; mais quelques extraits suffiront pour la solution désirée. Ils ont du reste été autographiés et réunis dans une collection publiée à Shang-haï."
  • "Il résulte de ces documents que l'infanticide est réellement pratiqué en Chine et même assez fréquemment, qu'il sévit surtout dans la classe pauvre et dans certaines provinces spécialement. Comme telles on peut notamment citer, le Honan, le Kiang-si, le Kiang-nan, le Fo-kien etc."


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Ce sont principalement les filles qui en sont victimes, les garçons sont très rarement sacrifiés. En tuant leurs filles ou, pour mieux dire, en les noyant aussitôt après leur naissance, les parents veulent éviter les frais que leur causent l'éducation et l'entretien d'enfants qui ne leur rapporteront rien, et surtout le paiement de la dot du mariage.

Cette criminelle coutume est condamnée par les sages et les écrivains de la Chine qui la flétrissent de tout leur pouvoir et font de grands efforts pour en détourner les parents. Ils ont recours aux écrits, aux images, à la poésie populaire. Le gouvernement ne la tolère pas non plus, les gouverneurs de province s'efforcent également de l'extirper, mais en vain et cela principalement, parce qu'on n'a pas établi de pénalité spéciale pour ce crime. Tout se borne le plus souvent, suivant la méthode chinoise, à des exhortations, des imprécations, en un mot à des paroles. On pourra voir des exemples de ce genre de pièces gouvernementales dans les décrets de Yong-tcheng, dont quelques-uns ont été donnés dans le Muséon 1884, IV. Les peuples, comme dit un gouverneur chinois, prennent ces décrets pour de belles pièces de littérature et s'en soucient très peu.

Le gouvernement a réellement établi des orphelinats pour recueillir les pauvres petits êtres abandonnés par des parents dénaturés. Mais ces établissements se trouvent dans quelques villes, clairsemées ; dans ce vaste empire de Chine, les distances sont immenses et les parents ne peuvent ou ne veulent point le plus souvent faire ces grands voyages pour atteindre les lieux de refuge. C'est trop coûteux ou trop fatigant.

Ainsi flétris par l'autorité morale et gouvernementale, les parents infanticides n'étalent pas leur crime au grand jour ; les sages femmes, leurs complices, les aident à les tenir secrets. De la sorte, les Européens qui se rendent en Chine et ne pénètrent que dans quelques grandes villes, peuvent y habiter de longues années sans avoir pu constater de visu un seul meurtre de nouveau-né.

Voilà la réalité qui n'est plus contestable aujourd'hui. Il y a quelques jours, Le Temps de Paris constatait la coutume de la vente des filles chinoises ; l'infanticide n'est qu'un degré de plus sur cette pente et les parents chinois l'ont franchi.

Donnons maintenant quelques extraits des pièces officielles sur lesquelles nous appuyons notre affirmation.

Voici d'abord, ce que dit l'auteur du Kiai-ni-niu-tou-chouo (récits à images pour empêcher de noyer les filles) publié sous le règne de Tong-che le prédécesseur de l'empereur actuel (à Houtcheou-fou dans le Tche-Kiang), p. 8 :

« La coutume de noyer les filles prévaut partout mais elle se montre spécialement dans les familles des gens pauvres. Déjà de vertueux lettrés et des hommes plein d'humanité ont gravé des images et des instructions exhortant de toutes manières à éviter (ce crime)... »

Si je consulte tous les livres plein de sagesse (je trouve qu')il n'y a que deux manières de l'empêcher ; la première est de la prohiber par les lois ; l'autre est de la prévenir en donnant des sommes pécuniaires (aux nécessiteux).

L'auteur continue par ses réflexions qui expliquent bien des choses :

« Les mandarins supérieurs ont déjà publié des ordonnances dans ce but ; mais quand il s'est agi d'exécuter les ordres on a manqué d'énergie. Les mandarins inférieurs les ont regardées comme de belles pièces de littérature et le peuple a continué, comme par le passé, à noyer les filles et pas un coupable n'a été puni. »

Peu après cet ouvrage et lorsque la révolte des Taï-pings était écrasée, on publiait à Sou-Tcheou une relation des malheurs occasionnés par cette guerre civile. Elle est appelée Kiang-nan-tie-lei-toû-siu-pien et sort de librairie Ten-Kien-Tchai. Nous y trouvons entre autres choses ces paroles :
« Actuellement dans toutes les contrées (villages) la coutume de noyer des filles est pratiquée par beaucoup de gens. On en vient même à cette extrémité de noyer les garçons »
(Op. cit. p. 30) et l'auteur ajoute force considération sur l'horreur de ce crime et les moyens d'empêcher les parents de le commettre.

Un autre livre écrite en 1869, le Te-i-lou-Pao-yng-hoei-koei-tiao, porte ceci au T. I, 2e partie, p. 1. L'auteur nous apprend que la coutume de noyer les filles est très répandue dans les campagnes ; que l'on a établi des orphelinats dans les villes, mais que les pauvres ne peuvent faire la dépense d'un voyage jusqu'à la ville, en craignent les fatigues et ne veulent point porter leurs enfants dans ce refuge. Ils les noient habituellement dès leur naissance. On dit même joyeusement que c'est une manière de marier les filles ou que grâce à la métempsycose on leur fait l'avantage de pouvoir renaître garçons. À la p. 18 il ajoute que
« chez le peuple du Tchang-nan la coutume est de n'élever qu'une fille et de noyer les autres. »

Les écrivains taoïstes tiennent le même langage à cela près que leurs objurgations sont plus pressantes et qu'ils y joignent des menaces d'ordre spirituel.

Citons seulement le Hio-tang Kiang-in ou discours moraux à l'usage des écoles. Nous y trouvons entr'autres discours les paroles suivantes à la page 19 :
« Il y a une classe de femmes qui ne se conforment pas à la morale et au droit, qui mettant au monde des enfants du sexe féminin, s'en défont en les plongeant dans l'eau et les faisant mourir (104). Pensez-y bien ! former le corps d'un homme n'est pas facile, que ce soit fille ou garçon, la création est la même. Vous mêmes êtes femmes ; vos mères l'étaient. Peut-on mépriser ainsi la vie d'une femme ?... Autant de fois que vous noierez votre enfant, autant de fois il renaîtra pour se venger et il se remuera continuellement dans votre sein pour vous faire mourir. »

Ce n'est pas quatre ou cinq mais plus de vingt ouvrages que nous pourrions citer de la même manière. Mentionnons en passant le Ngan-che-teng-tchou-kiai f. 46 ; le Hio-tang-je-ki f. 15 et 28, 29, 36-39 ; le Je-ki-kou-che-su-tsi f. 28 ; le Tcheng-yng-pao-yng-lou f. 1, 5, 7, 8, 11, 12, 14 ; le Kou-pao-so f. 1, 3, 5, 8, 9 ; le Tse-hang-pou-tou-tse f. 1, 27 ; le Ni-niu-hien-pao-lou, dont le nom seul vaut tout un traité : « châtiment manifeste de qui noie des filles » f. 2, etc., etc.

Puis ce sont des articles de journaux chinois, des images avec légendes répandues dans le peuple, enfin de nombreux décrets impériaux ou préfectoraux dont nous allons donner quelques exemples.

Le premier qui s'occupa de la chose fut le premier empereur de la race mandchoue Chun-tsi. Or, en 1659, le 2e jour de la 2e lune il rendit le décret suivant sur la proposition du censeur Wei-i-hi :

« Nous avions entendu dire qu'on avait la coutume de noyer les petites filles ; mais nous n'avions pu le croire. Aujourd'hui que notre censeur I-Kiai nous adresse un mémoire sur cette habitude souverainement détestable, nous commençons à croire qu'elle existe véritablement.

Les sentiments paternels viennent de la nature, et on ne doit établir aucune différence dans la manière de traiter les filles et les garçons. Pourquoi se conduire cruellement envers les filles et les faire périr ? Mais puisque tous les hommes sont émus de compassion et de pitié, à la vue d'un enfant encore privé de l'usage de la raison, qui tombe dans un lieu où il doit trouver la mort ; comment des parents peuvent-ils eux-mêmes être assez cruels pour oser noyer leurs propres enfants ? De quel excès ne sont-ils pas capables, après avoir commis froidement un pareil crime ?

Le roi suprême aime à donner la vie et veut que tous les êtres en jouissent ensemble, sans se nuire. Si un père et une mère détruisent les enfants qu'ils ont engendrés, comment ne pas voir dans ce forfait une atteinte portée à l'harmonie céleste ? Si les inondations, la sécheresse, les calamités publiques, la peste et la guerre exercent partout leurs ravages, et empêchent le peuple de jouir du repos, tous ces malheurs sont des châtiments infligés au crime, dont nous venons de parler.

Quoique les mandarins locaux défendent cette coutume, toutes les familles n'ont peut-être pas eu connaissance de cette prohibition. Il faut prendre les moyens nécessaires pour ranimer dans le peuple les sentiments de la nature, et extirper jusqu'à sa racine l'habitude barbare de de l'infanticide. Alors nous serons joyeux et content.

Ko-long-tou, dans sa pièce intitulée : « S'abstenir de noyer les petites filles », a écrit ces paroles : « Le tigre et le loup sont très cruels, cependant ils connaissent les relations qui existent entre le père et l'enfant ; d'où vient donc que l'homme, doué seul, entre tous les êtres, d'une nature spirituelle, se montre inférieur à ces animaux ? Vos enfants, garçons ou filles, sont également le fruit de votre sein. J'ai entendu dire, que la douleur des petites filles, que l'on noie, est inexprimable. Encore tout inondées du sang maternel, elles ont une bouche et ne peuvent faire entendre aucun accent plaintif ; et plongées dans un vase d'eau, ce n'est qu'après un temps assez long qu'elles expirent. Hélas ! comment le cœur d'un père et d'une mère peut-il arriver à cet excès de cruauté ? »

Touché par toutes ces raisons, nous exhortons maintenant notre peuple à ne point faire périr les petites filles. Quelques simples ornements de tête et des habits de toile ne vous rendront pas plus pauvres. »

Voir le Kang-Yng-Hien, t. VIII, p. 23. Nous en donnerons plus loin le texte.

La première page de la feuille autographiée ci-jointe et la seconde jusqu'à n° II contiennent le texte de l'édit de Chun-tchi dans ses parties importantes. Son successeur l'illustre Kang-Hi eut aussi à se préoccuper de la détestable coutume de l'infanticide. Il eut, entr'autres affaires, à statuer sur la requête adressée par le préfet de Yen-Tcheou, Ki-el-hia, au gouvernement du Tche-Kiang.

« Le ciel et la terre aiment à favoriser les hommes en préservant leur vie. Cependant les habitants de Yen-Tcheou ont l'habitude de noyer les filles, et les riches aussi bien que les pauvres commettent ce crime. Les tigres, tout cruels qu'ils sont, ne dévorent pas leurs enfants ; comment les hommes peuvent-ils être insensibles aux cris de leurs enfants et leur enlever la vie quand ils viennent de naître ? — J'ai vu moi-même commettre ce forfait et j'en suis extrêmement affligé. C'est pourquoi je vous prie d'envoyer une proclamation dans mes six préfectures pour défendre sévèrement le meurtre des enfants ; elle sera gravée sur la pierre. Si quelqu'un se rend coupable de ce crime, que l'on permette à ses voisins de le dénoncer aux magistrats afin qu'il soit puni comme il le mérite. »

À Kang-Hi succéda Kien-Long, non moins grand prince que son prédécesseur. Son attention dut aussi se porter sur le fait qui nous occupe. Nous possédons de lui un édit entier ou plutôt une requête sanctionnée de son autorité. Cette requête était adressée par le grand-juge Ngeou Yang-yun-ki au tribunal Nei ko qui l'approuva et le soumit à la sanction de l'empereur. En voici le contenu pour autant qu'il nous intéresse :

« La 37e année du règne de Kien-Long, le 15 de la 9e lune, le Nei-Ko transmit un article d'une requête écrite par le grand-juge du Kiang-si, appelé Ngeou Yang-yun-ki. Il est dit dans cette pièce, que la mauvaise habitude de noyer les petites filles est ordinaire dans le Kiang-si ; et en voici la raison. Les familles pauvres peuvent difficilement les élever ; d'autres sans être dans l'indigence, redoutent les dépenses nécessitées par les mariages ; il en est enfin qui souhaitent vivement la prompte naissance d'un enfant mâle, et craignent que les soins donnés à une petite fille ne retardent ce moment tant désiré : on s'empresse ordinairement de noyer les petites filles à leur naissance. Il est nécessaire d'infliger désormais une année d'exil et une punition de soixante coups de bâton à ceux qui noient ces enfants, selon la loi portée contre ceux qui mettent à mort leurs fils et petit-fils. Les parents, les voisins et officiers ruraux, qui connaîtront le mauvais dessein d'une famille, et n'essaieront pas de s'y opposer par leurs bons conseils, subiront la punition réservée à ceux qui n'empêchent pas les malfaiteurs de nuire au prochain, quand ils ont connaissance de leurs mauvais projets.

En examinant la loi relative à ceux qui se rendent coupables d'homicide envers leurs fils et petit-fils, on voit qu'elle a pour but de punir les grands parents, les pères et mères, et de les condamner à la bastonnade et à l'exil, parce qu'ils ont fait preuve d'inhumanité, en enlevant la vie à des enfants qui n'ont point encore violé les lois. Que dire alors d'un petit enfant qui vient de naître ? Dépourvu d'intelligence, quel crime a-t-il pu commettre ? La cruauté de ceux qui, dominés par une coutume perverse, vont de gaieté de cœur noyer leurs enfants, ne le cède point à la barbarie des parents qui les tuent. Si la vérité d'un crime d'infanticide dénoncé au mandarin est démontrée, les coupables doivent être punis conformément à la loi susdite, et il n'est pas nécessaire d'en porter une nouvelle.

Toutefois, puisque c'est dans l'intérieur des maisons que l'on s'abandonne à cette barbare habitude, les étrangers ne peuvent en avoir connaissance ; et jusqu'ici on n'a point eu à juger de pareils crimes. Il est donc nécessaire que les mandarins locaux mettent tous leurs soins à instruire le peuple, à réveiller dans son cœur les sentiments de la nature, et à lui faire connaître les lois de l'empire. Si les coupables sont punis, cette horrible coutume disparaîtra peu à peu, et les parents n'enlèveront plus la vie à leurs enfants. »

La 37e année du règne de Kien-Long, le 27, de la 10e lune, nous avons présenté cette requête à l'empereur. Le 29e jour de la même lune, de la même année. Sa Majesté nous a fait connaître qu'elle l'approuvait et la confirmait.

Le Te-i-lou mentionne encore un autre édit dans sa deuxième partie, p. 11, mais il ne donne pas le texte. C'est le Kiang-sou cette fois qui en est l'objet.

À Kien-Long succéda Kia-King. Sous son règne les mêmes faits se reproduisent, les mêmes édits sont portés. En 1815, l'empereur avait été saisi d'une requête présentée par une lettre de Wu-Wen-Hien au magistrat de Ngan-Hoei, du nom de Wou Sing-king. Kia-King fit à cette occasion publier l'édit suivant :

« Le 1er jour de la 12e lune de la 20e année de Kia-king l'empereur a permis au grand conseiller d'État de publier cette pièce.

Le 18e jour de la 11e lune de la 20e année de Kia-King, le Nei-ko a reçu la communication suivante.

Notre censeur nous a représenté qu'un homme du Ngan-Hoei, de la ville de Wou-Wen-Hien, nommé Wou Sing-king, a demandé conformément aux lois, par requête et acte d'accusation qu'on défendît la coupable coutume de noyer les filles et de vendre les femmes ?...

D'après le rapport que nous a fait Wou Sing-king, dans sa contrée, les familles pauvres où naissent des filles les font ordinairement périr en les noyant... Ce sont là vraiment de très méchantes coutumes. Nous ordonnons donc qu'on accueille la requête de Wou Sing-king et que l'on charge Pe-hing de l'examiner et d'y faire droit. Avant tout il faut publier des décrets pour réprimer l'infanticide, pour convertir le peuple et remettre dans l'ordre les relations. Cette mesure doit être étendue aux autres provinces. Que Wou Sing-king soit autorisé à retourner en son pays. Qu'on obéisse avec respect. »

Le sceptre de l'empire chinois passe de main en main, les empereurs se succèdent sur le trône du céleste empire et le criminel usage de l'infanticide se perpétue sans qu'aucune proclamation, aucune menace puisse y mettre un terme.

Le règne de Tao-Koang fournit à notre étude des pièces non moins importantes que les précédentes. Voici, entr'autres, une proclamation du gouverneur de la province de Tche-Kiang qui déjà s'est signalée par ses habitudes homicides. On voit par sa longueur, par les efforts nouveaux que fait le haut magistrat, que jusqu'alors tous les efforts de l'autorité ont échoué et qu'il faut de nouveaux moyens. Il a recours aux exemples pour effrayer les populations coupables.

« Nous Tchen, gouverneur général du Tche-Kiang, nous publions cet édit pour prohiber sévèrement de noyer les filles et nous ordonnons de les préserver.

Les obligations réciproques du père et du fils proviennent du ciel.

Le tigre, bien que cruel, ne dévore pas sa progéniture. À plus forte raison combien ne doit-il pas en être de même de l'homme. Votre corps d'où vient-il ? C'est votre mère qui l'a produit. C'est de votre femme que votre fils est né. Vous-même avec vos fils vous êtes tous nés d'une femme. Faire périr en les noyant ces femmes dont vous naissez est un acte criminel.

Vous direz peut-être qu'il est difficile de les nourrir ; ne savez-vous pas que le ciel ne produit aucun homme sans lui donner ce qui est nécessaire à la vie ? Vous vous plaignez de n'engendrer que des filles et de n'avoir point de garçons ; ignorez-vous que beaucoup de familles ont des garçons qui ne font que les déshonorer alors que d'autres élèvent des filles qui sont sages et pieuses. Vous direz encore que vous noyez les filles pour avoir des garçons ; mais ignorez-vous que le ciel ne donne pas de bons fils à ceux dont le cœur cruel viole ainsi la loi morale. Bien plus ils exciteront par ces meurtres la colère du ciel, et les malheurs les accableront. Ainsi Lou Wen-kao au moment où il passait son examen, fut saisi par un grand nombre de petites mains qui l'empêchèrent d'écrire. À Ho-keou, une femme de la famille Tsai, en mettant au monde un enfant, eut le corps fendu en deux et mourut. Wen Sieou étant malade vit une troupe de petites filles qui le poursuivaient pour le tuer et mourut. La femme de Tchen-i-tsing enfanta un serpent qui se roula autour de ses jambes et elle mourut... L'épouse de Yng eut un violent écoulement de sang et mourut.

À Youen-Tcheou, la femme Tchen vit en songe un petit bœuf qui la frappait de ses cornes et elle mourut. La femme Wang mit au monde un serpent et mourut. Une sage-femme, nommée Fan, qui servait à faire avorter et à noyer les filles, vit les personnes de sa famille, onze personnes, mourir d'une manière terrible.

Ces faits nous montrent que depuis les temps anciens jusqu'à nos jours, les familles qui ont noyé les filles sont inévitablement punies de leurs crimes. Le ciel aime à donner la vie. Les génies et les esprits ont le meurtre en horreur. Les actions méchantes sont une cause de malheurs, cela est selon la loi morale. »

« Au Tche-Kiang, l'habitude de noyer les filles a prévalu généralement. Les fonctionnaires ont plusieurs fois publié des édits pour la faire cesser ; mais elle n'a point disparu. »

On le voit, les autorités chinoises se sont constamment préoccupées à leur manière du crime de l'infanticide et sous aucun règne, depuis le premier empereur de la dynastie mandchoue, on ne fit de trêve dans la guerre organisée contre lui. Nous pourrions citer de nombreuses pièces, mais elles n'ajouteraient rien à notre démonstration ; nous nous bornerons à deux extraits d'édit dont la date se rapproche de plus en plus du temps présent.

En 1867, sixième année du règne de Tong-Tche, le trésorier général de la province de Shang-haï adressait au gouverneur de cette ville la proclamation suivante que le dit gouverneur promulguait à son tour pour ses administrés. Cette pièce se trouve encore aux greffes du tribunal du gouverneur.

« Nous, sous-préfet de Shang-haï, nous transcrivons la circulaire que nous avons reçue de Wang, trésorier général de la province.

Nous savons (dit ce magistrat) que la détestable coutume de noyer les petites filles existe parmi les peuples. Déjà sous le règne de Kia-King, un édit impérial fut envoyé aux mandarins pour l'extirper ; de plus, il existe dans le Code un article pour punir ce crime, et les sages et prudents officiers locaux ont publié un grand nombre de proclamations destinées à le faire disparaître. Malgré ces précautions, les mœurs, loin de s'améliorer, sont devenues, après la grande rébellion, pires que par le passé, et aujourd'hui l'infanticide est tellement passé en usage qu'on n'en fait plus de cas et qu'il ne semble plus monstrueux. Non seulement on noie les petites filles, mais on en vient encore à noyer le second des garçons ; et, chose déplorable ! des gens qui ne sont point réduits à la misère se rendent coupables de ce crime comme les pauvres eux-mêmes. La raison de ce mal c'est que les orphelinats n'ont pu être établis en tout lieu ; il en résulte que les habitants des campagnes éloignées redoutent la difficulté des chemins, et, par suite de leur grossièreté et de leur ignorance, ils contractent l'habitude de l'infanticide.

Il existait autrefois dans chaque contrée des associations protectrices de l'enfance, destinées à venir en aide aux femmes en couches. Le comité, informé de leur état, leur fournissait ce dont elles avaient alors besoin ; puis on leur distribuait chaque mois de l'argent et du riz, et ces secours leur étaient accordés pendant un nombre d'années déterminé. Si à cette époque définitive les parents se voyaient dans l'impuissance de nourrir leurs enfants, on les portait à l'orphelinat. Le père et la mère ainsi aidés songeaient à leurs enfants ; en les gardant, ils leur témoignaient de l'affection, et grâce à cette affection, les enfants étaient sauvés et protégés.

Ces moyens sont bons et la pensée qui les a suggérés est excellente ; mais, pour en assurer le succès, il est nécessaire de réclamer l'appui des mandarins locaux.

Les sous-préfets doivent mettre tous leurs soins à prendre des informations, à châtier sévèrement une ou deux personnes, afin d'effrayer les autres. Ils nous communiqueront ensuite les raisons des mesures qu'ils auront prises relativement à cette affaire, en nous indiquant le nom des lieux où ils auront établi des maisons et des associations.

Maintenant, aux premiers jours de paix dont nous jouissons après nos malheurs, et qui sont si favorables pour procurer l'aisance et l'accroissement de la population, il est absolument nécessaire de redoubler d'efforts pour lutter contre la corruption des mœurs. Ne gardez point cette proclamation comme une pièce de littérature, et ne déshonorez pas cette dignité de Père et de Mère du peuple dont vous êtes revêtus. J'espère que vous vous efforcerez d'exécuter mes ordres.»

Enfin, le Chen pao du 15 février 1878 publiait la proclamation suivante du gouverneur de Han-Yang-Hien, le mandarin Tsai, inspecteur des salines impériales, etc.

« Nous avons reçu du fonctionnaire Tchao, gouverneur de Han-Tchuen-Hien, un avis où il dit : Tchong-Tien-Siang et autres lettrés ou gens ordinaires nous ont adressé cette requête : «Naguère pour faire le bien nous avons réparé l'Institut nommé Touen-Chen-Tang.» — Considérant attentivement que l'habitude de noyer les petites filles est devenue endémique, nous désirerions tous avec une grande joie fonder un établissement d'orphelins qui soit un dépôt général pour élever les enfants ; car des hommes stupides, des femmes insensées, au cœur méchant, violent la loi morale et injurient la bonté du ciel et de la terre qui aiment la vie. Déjà la 8e année de Tong-Tche, les hauts fonctionnaires de la province ont publié des édits que l'on a décidé de faire imprimer, comme livres, pour les distribuer dans les divers districts et rendre la direction de l'œuvre uniforme. Nous tenons ces pièces et nous avons constaté dans ce livre qui expose une nouvelle méthode pour sauver les enfants, que chaque lettre a son effet, que chaque parole est d'or et de pierre précieuse. La méthode est facile et tous ces préceptes peuvent être mis facilement en pratique. En conséquence nous vous demandons de publier un édit pour la faire connaître et insister sur la pratique »...

Le pétitionnaire ajoute qu'il a communiqué ces règlements à ses collègues pour tâcher d'arriver à l'harmonie et à l'efficacité des mesures, il demande au gouverneur de sanctionner ses propositions et de porter les édits convenables.

Tsai termine sa proclamation en satisfaisant à ce désir.

« Nous, dit-il, après avoir reçu cette communication, nous avons constaté, d'après nos archives, que notre prédécesseur, pour obéir aux ordres des fonctionnaires supérieurs, avait déjà publié un règlement pour les faire exécuter... Nous publions donc une proclamation pour exhorter les principaux, les ouvriers, les soldats et le peuple de notre juridiction. Nous y ajoutons les règlements indiqués ci-dessus ; chacun pourra en prendre connaissance, avec discernement, s'y soumettre et la mettre à exécution sincèrement et l'on ne désobéira en rien à cette proclamation impériale. »

Nous avons cité jusqu'ici les docteurs officiels et les actes de l'autorité du Céleste-Empire. Nous avons à nous occuper encore des écrits de nature privée que l'on a répandus en Chine dans ces derniers temps avec la plus grande abondance. Bien des publicistes chinois se sont, en effet, donné la mission ou ont fait la tentative de réformer les mœurs de leurs concitoyens et de ramener dans l'empire les vertus antiques. Il ont eu recours à tous les moyens que la publicité mettait à leur disposition ; livres pour l'enfance, la jeunesse et l'âge adulte ; images avec légendes étendues, poésies, articles de journaux, etc., etc. Or dans ces essais de réforme, dans cette lutte contre le vice, l'infanticide occupe une très large place ; on voit que sa répression est une des préoccupations principales de ces moralisateurs du peuple.

Quoi de plus significatif, par exemple, que ces paroles du Te-i-lou, livre dont nous avons déjà donné quelques extraits. L'auteur réfute l'opinion de ceux qui croient que l'infanticide est chose rare et s'efforce de leur ouvrir les yeux sur l'étendue du mal. À ce sujet il dit à la page 9 :

« Quant à la coutume de noyer les filles, le lettré en retraite Sou-Tong-Po dit qu'elle règne au Honan et au Hupe. Wei-J-Kiai affirme dans un mémoire qu'au Kiang-si et au Kiang-nân c'est une coutume établie et suivie chez tous. Le docteur Pang-I-She dit qu'au Kia-Hing-fou et au Hu-kuang elle existe également. Mais si l'on examine avec sincérité les mémoires et annales on trouve qu'elle règne dans toutes les provinces. »

Nos moralistes s'inspirant de l'exemple que donnait dans son rapport Peling, vice-roi du Kiang-Nân, emploient comme moyen principal de réformation les histoires morales ; c'est une morale en action, en exemples, qui compose la plupart de leurs livres. En voici quelques extraits avec le texte.

C'est d'abord, comme exposé de système, la préface du Tcheng-yng-pao-yng-lou ou recueil d'histoires relatives aux récompenses (obtenues par ceux qui) sauvent les enfants nouveau-nés. C'est un traité direct et exclusif sur le sujet. Il a été publié avec de nombreuses illustrations par le lettré Ho-tong-tse à Shang-haï en 1869, huitième année de Tong-Tche. Voici ce qu'on lit à la première page.

« La coutume de noyer les filles existant partout, dit l'auteur, en est venue à ce point de méchanceté qu'elle dépasse celle des tigres et des loups. Si vous avertissez (les parents) selon la justice et la raison ils ne savent point vous comprendre. Si on leur fait une remontrance on ne parvient pas à les émouvoir. Si on les menace de la loi, on n'arrive point à les ébranler. Mais en leur dépeignant les récompenses et les châtiments (qui attendent ceux qui sauvent ou tuent les petites filles), on pourra peut-être les détourner (de ce crime). (Voy. op. cit. préface f. 1).

L'écrivain continue en racontant diverses anecdotes propres à atteindre son but, nous nous bornerons à en reproduire une des plus saillantes. Elle est intitulée de cette manière :

Noyer les filles prive les garçons

« Introduction. J'exhorte tous les parents à ne point noyer les filles. Si on les fait mourir de la sorte pour avoir des garçons, qui ne sait qu'en noyant ainsi les filles dans ce but, si même il y avait un décret du ciel (décidant) que l'on aurait des enfants mâles ce décret serait et resterait brisé. »

Suit cette anecdote.

« À Kin-Hoa-Hien, au Tche-Kiang, l'épouse de Tchang-Kin-lan âgée de trente ans, enfanta d'abord une fille.

Tchang-kin-lan irrité, lui dit :

— Nourrir une fille est sans aucun profit. En outre si tu l'allaites et la nourris pendant 3 ans, tu épuiseras tes forces et ton sang ; cette charge t'écrasera et tu ne pourras plus mettre au monde (d'autre enfant). Il n'est rien de tel que de faire périr (cette fille) en la noyant ; après cela tu pourras donner le jour à un garçon.

(Ainsi dit, ainsi fait). Mais pendant la nuit (suivante), le père défunt de Tchang-kin-lan lui apparut en songe. Il se lamentait fortement et interpellant son fils, il lui dit :

— Je n'ai engendré que toi, il était de ton destin d'avoir un fils ; mais parce que tu as noyé ta fille, le roi des enfers s'est fortement irrité et il a justement empêché que tu aies un fils pour te succéder, selon ton destin. Cela me prive aussi de succession.

Tchang-kin-lan s'éveilla en ce moment et raconta (le fait) à sa femme. Celle-ci avait eu le même rêve.

Ils restèrent sans enfants jusqu'à la fin et tous leurs regrets furent vains et sans effet. »

Dans un autre livre intitulé : Hio-tang-je-ki ou récits quotidiens pour les écoles, nous trouvons de nombreuses historiettes du même genre. En voici un modèle :

En noyant les filles on compromet sa propre vie.

« Jadis un certain Tcheng, habitant au nord d'Ou se avait l'habitude de noyer ses filles. Dans la suite il fut atteint d'une maladie pestilentielle et vit trois petits enfants s'appuyant sur son lit pour y monter, et lui criant : « Fais revenir la vie en nous !

Les gens de la maison les conjuraient avec larmes, les suppliaient. Alors Tcheng, accablant sa femme d'injures, lui dit :

— Méchante épouse ! tu m'as perdu par tes tromperies,

et là-dessus il mourut. »

Comme on l'a vu par les titres, pour faire plus d'impression sur le peuple, les lettrés ont illustré leurs ouvrages de nombreuses gravures qui représentent les châtiments ou les récompenses distribués à ceux qui ont fait périr ou élevé leurs filles.

Ici c'est un lettré auquel le Dieu de la littérature a donné un visage agréable à voir alors qu'auparavant sa figure était des moins belles et qui se regarde avec complaisance dans un miroir. Plus loin c'est une femme au lit se relevant de ses couches. Près d'elle dans un vase plein d'eau, on voit sa petite fille qu'elle a noyée tandis que son garçon tombe comme foudroyé à la tête de son lit et qu'un serpent à tête humaine s'enroule autour de son corps et menace de l'étouffer.

Ailleurs c'est une femme sur le point d'enfanter ; de mauvais génies l'entourent et veulent l'étrangler ou l'assommer. Ce sont un père et une mère infanticides transformés en pourceau et en chiens et conduits à la chaîne par le génie infernal, c'est une femme qui a conseillé la noyade d'une fille et qui subit l'amputation de la langue, châtiment de ce crime, etc. etc..

Dans le Kouo-pao-tou ou exposé des récompenses, ouvrage imprimé et vendu partout à Shang-haï, nous trouvons entre autres une gravure représentant le dernier enfant, un fils d'une famille, meurtrier du dernier héritier d'une autre maison, conduit à la mort par le bourreau qui écarte ses parents désolés. Le tout est arrivé en punition des noyades de petites filles pratiquées dans ces deux maisons. (Voir Kouo-pao-tou, p. 3). — À la feuille 5 nous en avons deux. Dans l'une nous voyons un tigre dévorant un malheureux couple coupable d'avoir conseillé l'infanticide ; dans l'autre une femme qui a noyé ses deux petites filles est renversée à terre et deux enfants viennent lui dévorer le sein. — À la page 9, quatre petites filles noyées par leurs parents reviennent étrangler le dernier héritier de ces monstres à face humaine.

Un autre traité, le Tse-Hang-pou-toû-tse, imprimé sous Tong-Tche, insiste principalement sur les récompenses des parents vertueux. Il nous montre : ici les esprits applaudissant aux efforts d'une femme vertueuse qui exhorte sa voisine à élever ses filles ; là, une sage femme vertueuse richement parée, ainsi que son époux, s'avançant d'un air noble, entourée d'enfants qui font sa gloire et son bonheur.

Citons encore pour mémoire le Ni-niu-hien-pao-lou ou Châtiments manifestes de ceux qui noient les filles, dont nous avons déjà parlé et l'on pourra se faire une idée de cette littérature anti-infanticide.

Après les « Morales illustrées » les lettrés chinois ont eu recours à l'imagerie populaire. Il nous est malheureusement impossible de reproduire les estampes que nous avons sous les yeux. Elles sont assez grossières, mais très expressives et représentent des scènes analogues à celles que nous ont donné les illustrations des morales en exemples. La plupart sont éditées et répandues aux frais non d'Européens, encore moins de missionnaires, mais de vrais Chinois confucianistes ou taoïstes. Ainsi la première que nous tenons en main porte cette souscription : imprimée aux frais de Shen. Ces images sont surtout importantes par les légendes qu'elles portent, légendes qui tantôt sont uniquement l'explication du sujet, le récit du fait qui a fourni la matière au graveur, tantôt contiennent de longues instructions et exhortations.

En voici une, que nous citerons, où se trouvent représentés un père et une mère tenant dans leurs bras leurs garçons atteints de la petite vérole, tandis que quatre petites filles apparaissent sur des nuages et semblent vouloir assaillir les garçons malades. La légende porte : « Tcheng-ta du bourg de Tha teou au Tai Tcheng-Tcheou, mit au monde quatre garçons puis fit mourir en les noyant quatre filles. Dans la suite ses quatre garçons déjà grands furent subitement atteints de la petite vérole et en l'espace de deux mois tous quatre moururent. La mère devenue folle mourut (aussi) et Tcheng-ta fut tué par les rebelles (les bonnets rouges) la dixième année (du règne) de Hien-fong. C'est là un exemple certain, clair et frappant des conséquences et du châtiment de l'infanticide. » Cette légende est suivie d'une longue complainte qui raconte le fait en détails. Cette complainte a 12 couplets de quatre vers, chacun formé de cinq mots ou caractères.

1. Nous sommes de Tai-Tchang
Habitons le bourg de Tha-teou.
Le concitoyen Tcheng Cao-ta
Révèle et apprend une rumeur étrange.

2. Tcheng-ta tenait magasin à Teou-fou
Il faisait ses affaires au décuple.
Il engendra quatre fils
Chacun d'eux était déjà homme fait.

3. Il eut en outre quatre filles
Il les fit mourir dans un vase (plein) d'eau.
Il vantait sa prévoyance et sa conduite habile
Et d'avoir évité d'être impliqué dans des maux nombreux.

4. Son fils aîné avait trente-trois ans
Son second, vingt-sept printemps
Son troisième vingt-quatre ans
Le cadet treize ans.

5. Les deux premiers avaient pris femme l'un et l'autre
Tous disaient que c'étaient d'heureuses gens
Mais le ciel a des yeux, on le sait,
Les malheurs fondirent sur eux subitement.

6. La dix-huitième année de Tao-koang
À la deuxième lune, la fleur du ciel, (la petite vérole), se montra
Les deux époux eurent un songe
Quatre esprits venaient réclamer des vies.

7. Les quatre fils furent tous pris de la petite vérole
En deux mois ils moururent tous deux par les armes
La femme attrapa une maladie et devint folle
Et peu de temps après elle mourut,

8. Tcheng-ta se lamentait en pleurant
Ses cris exprimaient sa douleur et son repentir
Ses biens furent bientôt épuisés
Dans sa vieillesse il gardait une porte de rue.

9. Ensuite il fut tué par les longs cheveux.
Les chiens dévorèrent son corps et ses os.
Pour avoir noyé quatre filles
Toute la famille perdit la vie.

Le reste est une exhortation à empêcher l'infanticide.

D'autres images représentent des sujets multiples. Nous en avons sur papier de chine, partagées en 4 tableaux et portant pour en-tête « Récompense et châtiment de ceux qui noient ou sauvent les filles ».

À gauche en haut de la première, on voit deux époux comblés d'honneur ; en bas un homme reçoit une longue prolongation de ses jours fixés par le destin à 47 années. À droite c'est, au-dessus, un esprit qui prend note des mérites acquis par une sage femme ; en dessous ce sont des mères qui, poursuivies par les rebelles, se jettent dans un canal ou dans des puits pour leur échapper. Le tout arrive selon que ces personnages ont sauvé ou fait périr des filles.

Au 4e compartiment il est dit dans la légende qu'au pays de Tchang-Hing on noyait un très grand nombre de filles pour éviter les dépenses du mariage.

La seconde image a des sujets tout analogues. Ces images ont été faites et vendues à Sou-Tcheou où la planche se conservait dans la pagode Yun-miao-Kouan et à la librairie Te-kien-Tchi-Tchai qui en fait le tirage.

Il ne nous reste plus qu'à interroger les feuilles et journaux pour voir si eux aussi nous fournissent des renseignements à recueillir.

Voici cinq feuilles publiées à Shang-haï : le Wei pao, le Min pao, le Chen pao, le Sin pao et le Wan-Kouo-Kong pao, qui toutes rivalisent de zèle pour combattre l'infanticide.

Le Wei pao se distingue spécialement. En 1874 déjà il publiait toute une série d'articles ; le 5 janvier 1875, il insiste sur les statuts d'une société protectrice de l'enfance et pour engager à y entrer, il invoque comme motif la multiplicité des infanticides qu'il prouve spécialement par une requête adressée au vice-roi de Nan-king et au gouverneur du Kiang-sou par Chen, tai-tao de Shang-haï, où il est dit que

« ce crime est habituel parmi le peuple et que si l'œuvre des sociétés et des orphelinats vient à fleurir, on sauvera la vie d'une foule innombrable d'enfants. »

Le règlement de ces sociétés est très curieux. Le Wei pao nous en donne un extrait dans le n° du 7 janvier. C'est l'art. 8, dont voici la teneur.

« Quand on commencera à former des sociétés, on devra publier auparavant des édits courts et clairs pour prohiber l'infanticide. Puis chaque officier des petites localités se mettra à parcourir le territoire soumis à sa juridiction avec une affiche portée à côté de lui. Puis il ira battant du tam-tam et annonçant à chaque famille que si quelqu'un noie encore une petite fille, les voisins et le chef local qui ne l'auront pas arrêté seront passibles d'une même peine.

Deux fois par an les mandarins devront parcourir les campagnes avec accompagnement de tam-tam et affiche afin que tous et chacun soient dûment avertis. »

Le Chen pao n'est pas moins explicite. Voici ce que ce journal portait le 16 septembre 1875 :

« Les mandarins et les notables ont fondé dans toutes les localités des établissements pour protéger les enfants, car les pauvres après avoir mis au monde une petite fille, ont l'habitude de la noyer. »

Mais, le croirait-on, les lettrés eux-mêmes cèdent à ce funeste entraînement et le journal continue à raconter un fait qui s'est passé à Shang-haï même, où la femme d'un lettré ayant déjà un fils, noya les deux enfants qui lui vinrent après et qui avaient le malheur d'être des filles, puis un troisième qu'au moment de la naissance on prit, sans examen, pour une fille et qui se trouva être au contraire un garçon. Peu après leur unique héritier se noya dans une masse boueuse. »

Le Sin pao du 9 ou 10 mars 1877 reproduisait ses articles antérieurs montrant ainsi que les efforts faits par les philanthropes chinois étaient restés sans grand succès et le Wan-Kouo-Kong pao disait le 28 avril 1877 :

« La noyade des petites filles en est venue à être pratiquée par tous dans l'empire chinois. En réalité c'est une coutume qu'il est extrêmement difficile de faire disparaître. Tchòàng Kouô ni niù-yi-shé-tò-tchoù-kiài-yeoù-shî shé tuî fang-tsui nán-nàn. »

Nous n'en dirons pas davantage ici.

Une considération qui arrêtait beaucoup de gens, c'est que les Chinois passent pour les meilleurs parents du monde.

C'est là une erreur profonde. Les Chinois sont des enfants modèles ; mais comme parents ils laissent beaucoup à désirer.

Nous n'en voulons pour preuve que cet article publié récemment par Le Temps de Paris et dont l'exactitude est incontestable :

« Il n'est guère de famille riche ou simplement aisée qui ne possède une vingtaine d'esclaves, quoiqu'il soit très facile de se procurer d'excellents domestiques libres. Le prix d'un esclave varie naturellement suivant son âge, sa force et sa beauté. En temps de paix et de prospérité, ce prix monte jusqu'à cinq et six cents francs et au-dessus ; mais, en temps de guerre ou de famine, les familles surchargées d'enfants vendent leurs fils et leurs filles littéralement pour une poignée de riz. Gray cite des bandes de maraudeurs qu'il a vus de ses yeux offrir des jeunes filles en vente à raison de vingt francs par tête. Il a vu aussi à Canton un père qui s'était ruiné au jeu vendre ses deux garçons au prix de quatre cent vingt-cinq francs. »

Arrêtons-nous et concluons :

On ne soutiendra pas sans doute que les Chinois se calomnient eux-mêmes pour le plaisir de le faire, que tous, empereurs, mandarins de tout grade, philosophes, lettrés, moralistes, journalistes, etc. se sont donnés le mot pour combattre des moulins à vent, un crime imaginaire et déshonorer leur propre pays sans motif, comme sans utilité.

Il résulte donc de notre étude que l'on ne peut plus le contester de bonne foi.

L'infanticide se pratique en Chine sur un assez large échelle. Il sévit plus particulièrement dans certaines provinces, mais l'empire entier en est infecté. Les moralistes chinois ont fait les plus louables efforts pour corriger leurs concitoyens dénaturés. Le gouvernement a multiplié des lois et des proclamations pour prévenir ce crime et il a cherché par l'institution d'orphelinats à atténuer les conséquences des pratiques criminelles de trop nombreux parents.

Mais tous ces efforts privés et officiels ont été complètement insuffisants. L'habitude, la dépravation, la pauvreté et l'avarice favorisées par la mollesse des magistrats dans la répression ont triomphé des volontés contraires et jusqu'à nos temps il y a encore tous les jours en Chine de nombreux enfants à sauver.


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