Nicolas Longobardi (1559-1654)

Nicolas Longobardi (1559-1654) : Traité sur quelques points de la religion des Chinois. Paris, 1701.

TRAITÉ SUR QUELQUES POINTS DE LA RELIGION DES CHINOIS

Imprimé à Paris l'an 1701, auquel on a joint quelques remarques de M. G. W. Leibniz

cf. Leibniz, Lettre sur la philosophie chinoise à M. de Rémond.

  • Extraits de l'avant-propos : "Il y a plus de vingt-cinq ans, que le Xangti de la Chine (terme qui signifie le Roi d'en haut) commença à me faire quelque peine, parce qu'à mon entrée dans le royaume, ayant lu, selon la coutume de notre Compagnie, les quatre livres de Confucius, je remarquai, que l'idée que divers commentateurs donnaient du Xangti, était opposée à la nature divine. Mais comme nos Pères, qui depuis longtemps faisaient la mission, m'avaient dit, que le Xangti était notre Dieu, je rejetais mes scrupules, & je m'imaginais que la différence qui se trouvait entre le texte ainsi entendu, & les commentaires chinois, venait de l'erreur de quelque interprète, qui n'avait pas bien pris le sens du texte, & qui s'était éloigné de la doctrine des Anciens. Je demeurai dans cette pensée pendant les treize premières années de mon séjour en la ville Xao-Cheu, sans m'éclaircir, comme je le devais, sur ces difficultés, & sans le pouvoir même."
  • "....Nous autres qui étions convaincus que la vérité ne paraissait pas dans son jour, nous nous appliquâmes avec soin à rapporter les difficultés qu'il y avait de part & d'autre ; & pour en faciliter la décision, nous exposâmes le plus clairement que nous pûmes, les principaux fondements des trois sectes iu-xe-tao, c'est-à-dire, la secte des lettrés, la secte des idolâtres, & la secte des sorciers."
  • "Je ne pus consulter alors les docteurs gentils comme le Père Visiteur me l'avait recommandé, à cause de la persécution qui m'empêchait d'avoir un libre accès auprès d'eux ; c'est ce qui m'obligea de tarder plus longtemps que je ne voulais à envoyer cette réponse, afin que personne ne se plaignît que j'avais précipité mon jugement, & qu'on ne m'accusât pas d'avoir prononcé avant que d'écouter les parties. La persécution finie, je n'ai négligé aucune des occasions qui se sont présentées, d'avoir des entretiens avec plusieurs lettrés pendant les dernières années que j'ai été dans les provinces du Sud, & surtout pendant les deux années que j'ai demeuré à la cour. Ainsi me voilà instruit, & très instruit de la doctrine chinoise qui regarde les matières dont il est question. C'est pourquoi je vais dire ici mon avis le plus clairement, & le plus succinctement que je pourrai."

Extraits : Comment le monde a été fait et produit - Toutes choses sont un - Corruption et génération
Des esprits ou des dieux - La vie et la mort
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De la science antécédente, c'est-à-dire, comment le monde a été fait & produit selon les Chinois

1. Comme les Chinois n'ont pu s'imaginer, que du néant il en pût sortir quelque chose, & qu'ils n'ont point connu une puissance infinie, qui eût le pouvoir de tirer toutes choses de rien ; voyant d'un autre côté, que dans le monde il y avait des choses qui existaient dans un temps, & qui dans un autre n'existaient plus ; que les choses n'ont point été éternelles ; ils ont cru qu'il était nécessaire, que de toute éternité il y eut une cause qui précédât toutes les autres, & qui fût leur principe, & leur origine ; ils ont donné à cette cause le nom de Li, c'est à-dire, raison ou fondement de toute la nature ; ils ont conçu que cette cause était une entité infinie, incorruptible, sans principe, & sans fin ; parce que, disent-ils, comme il ne se fait rien de rien, aussi ce qui a un principe doit avoir une fin, & la fin retourne à son principe. D'où a pris naissance l'opinion reçue de toute la Chine, que le monde finira, & renaîtra de nouveau. Ils appellent cet espace qui est entre le commencement & la fin Ta-Sui, c'est-à-dire, la grande année. Cette grande & universelle cause, selon leur sentiment, n'a ni vie, ni savoir, ni aucune autorité ; mais elle est pure, quiete, subtile, diaphane, sans corps & sans figure, qui ne se peut connaître que par l'entendement, de la même manière que nous autres nous connaissons les choses spirituelles ; & quoiqu'elle ne soit pas spirituelle, elle n'a pourtant aucune des qualités actives ni passives des éléments.

2. Voici la méthode qu'ils ont gardée, pour chercher comment le monde visible est sorti du premier principe, ou chaos nommé Li. Voyant qu'il était nécessaire qu'il y eût une cause éternelle des causes visibles, & considérant d'un autre côté, qu'elle n'avait de soi ni l'efficace, ni l'action propre à donner la naissance aux choses qui en devaient sortir ; voyant aussi par une expérience journalière, que le chaud & le froid sont les principes de la génération & de la corruption, & qu'ils en sont de plus les causes efficientes, ils ont tâché de découvrir comment de la matière première, ou de la Li, est sortie la matière prochaine, dont toutes les choses sont composées ; & comment le chaud & le froid, qui sont la source & l'origine de toutes choses, ont été produits. Ils ont ainsi imaginé, que de cette matière première Li, est sorti l'air naturellement & au hasard, par cinq émanations & changements qu'ils marquent, qui se sont succédés, jusqu'à ce qu'il se soit fait matériel comme il l'est présentement, demeurant au milieu de ce chaos infini. Li, air, devenu lui-même un globe infini qu'ils nomment Taikie, c'est-à-dire, arrivé au dernier degré de perfection & de consommation ; ils l'appellent aussi hoen tien, hoen lun, avant qu'il eût produit ses actes. Cet air qui est sorti du chaos, par les cinq émanations, est aussi incorruptible quant à la substance, & de la même essence que la Li, quoiqu'un peu plus matériel, & plus altérable par la condensation & par la raréfaction, par le mouvement, par le repos, par le chaud & par le froid. Il n'est pas nécessaire de représenter ici ce second chaos Ta Kie, qu'ils ont peint à leur manière.

3. La connaissance qu'ils avaient, que le chaud & le froid étaient les causes génératives & destructives de toutes choses, & que le chaud venait du mouvement, & le froid du repos, cette connaissance, dis-je, leur a fait dire que naturellement & par hasard, l'air entassé s'était agité dans le second chaos ; que le mouvement produisit la chaleur, & que la cessation naturelle de ce mouvement, c'est-à-dire, le repos, produisit le froid, une partie de l'air demeurant chaude & l'autre froide, non essentiellement & intrinsèquement, mais seulement d'une manière extrinsèque. De sorte que l'air demeura partagé en froid & en chaud, ce qu'ils appellent, Liang-y-Iniang. Le chaud est pur, clair, diaphane & léger ; le froid est impur, sale, opaque & pesant.

4. De cette façon les causes efficientes générales du monde, sont, le mouvement & le repos, le chaud & le froid, qu'ils nomment Tung cing-in-iang. Le chaud & le froid s'unirent entre eux fort étroitement, comme le mari & la femme, le père & la mère, & produisirent l'eau, qui appartient à Li. Dans la seconde jonction, ils produisirent le feu qui appartient à Liang ; & par là les cinq éléments furent produits, lesquels sont le Taikie ou In iang, ou l'air qualifié, comme parmi nous les qualités des éléments. Leurs cinq éléments sont l'eau dans le Nord, le feu dans le Sud, le bois dans l'Est, le métal dans l'Ouest, & la terre au milieu. L'in-iang & les cinq éléments produisirent le ciel, la terre, le soleil, la lune & les planètes. L'air pur, chaud, diaphane & léger s'élevant en haut, forma le ciel. L'air grossier, impur, opaque & pesant descendant en bas, forma la terre. Ensuite le ciel & la terre se joignant & se communiquant également leur vertu, produisirent l'homme & la femme ; le Iang étant propre à l'homme & au ciel, & l'In à la femme & à la terre. C'est pour cela que le roi de la Chine s'appelle Tienzu, c'est-à-dire, fils du Ciel, & il sacrifie au Ciel & à la terre, comme aux pères communs. Dans le ciel, dans la terre & dans l'homme, toutes les autres choses sont renfermées, comme dans leur source & leur origine.

5. Voilà comment se forma la création du monde, selon le sentiment des Chinois anciens & modernes. Sa machine est composée de trois choses principales, qui sont les principes de toutes les autres choses. La première est le ciel, dans lequel sont compris le soleil, la lune, les étoiles, les planètes avec la région de l'air qui est entre le ciel & la terre ; & c'est dans cette région de l'air, qu'ils mettent leurs cinq éléments, qui sont la matière immédiate de laquelle les choses corporelles, qui sont en bas, sont produites. Elle se divise en huit kuas, qui sont huit parties de l'air, où éléments affectés de différentes qualités, qui correspondent aux causes universelles efficientes qu'ils ont imaginées. La seconde cause principale est la terre, qui comprend les montagnes, les rivières, les lacs, la mer &c. Toutes ces choses sont aussi des causes universelles efficientes, qui ont leur vertu & leur opération. La terre de même a ses parties, qui comprennent le Kang & le Ieu, le fort & le faible, ou le dur & le mou, le rude & le doux.

6. La troisième cause est l'homme, qui a ses générations & productions propres & particulières. Il faut remarquer ici, que cette production du monde s'est faite purement par hasard, comme l'on a dit ; parce que les premières causes efficientes ont été le mouvement & le repos, le chaud & le froid ; la matière prochaine a été l'air corporel & homogène. La production du ciel & de la terre s'est aussi faite par hasard, & d'une manière toute naturelle, sans délibération & sans conseil. Et pour preuve de cela, c'est qu'ils disent que l'air pur & léger a formé le ciel ; l'air impur & grossier a formé la terre.

7. Du reste, voici la figure qu'ils donnent au monde. Le ciel est rond, c'est pourquoi il se remue, & ses influences se font en rond. La terre est carrée, c'est pour cela qu'elle est au milieu, comme en un lieu de repos ; ses influences se font en carré ; elle a quatre éléments à ses quatre coins. Outre le ciel ils ont encore imaginé cette matière première infinie appelée Li, de laquelle le Taikie est émané. Ils l'appellent aussi Kung-hiu, Tao-vu-vû-kie, laquelle est en repos, d'une nature diaphane & subtile au souverain degré, sans connaissance, sans activité, enfin une pure puissance. Ils divisent l'air, qui sépare le ciel & la terre en huit parties, comme nous avons déjà dit, quatre desquelles ils attribuent au Sud, la partie méridionale du monde, où règne le Iang ou le chaud ; les autres quatre au Nord, la partie septentrionale du monde, où règne le In ou le froid. A chacune de ces parties répond une portion de l'air qu'ils nomment Kua, conformément à la qualité qu'il a. Fohi a inventé cette production du monde. Elle est représentée dans la figure de Liekin, appelée Hotu, qui contient les quatre espaces blancs & les quatre noirs. La tradition constante est, que c'est là le sens de cette figure. Cette même manière d'expliquer la production du monde est aussi représentée dans une figure qui est dans le Xu. Elle est composée de points noirs & blancs en nombre pair & impair ; cinq impairs 1, 3, 5, 7, 9, & cinq pairs 2, 4, 6, 8, 10, lesquels ont rapport aux Kua, ou causes générales du monde. Confucius a développé ces mystères dans son exposition de Liekin, commençant par le Taikie de la manière que voici. Le chaos a produit le chaud & le froid qui renferment les cinq éléments. Le chaud & le froid se sont multipliés en quatre ; savoir chaud & froid, degré extrême d'extension, degré extrême de rémission. Ces quatre ont produit huit qualités ; le chaud, le froid, le fort & le faible ; quatre en un degré intense ; quatre en un degré remis. Ces huit causes en supposent trois autres antécédentes & principales : le ciel, la terre & l'homme. Ainsi ces huit causes, qui sont les causes principales, ont produit tout ce qu'il y a dans le monde ; ce qui est établi, pour donner plus de force aux trois causes, principes des choses, qui souffrent génération & corruption.

8. Les lettrés depuis Confucius ont expliqué plus en détail dans leurs commentaires & leurs gloses, cette production du monde, commençant par la première origine, & par la matière infinie appelée Li, comme il est écrit dans leur philosophie imprimée, qui s'appelle Sing Li, & qui commence par Vûeie, qu'ils nomment aussi zao. Le Laozu, chef de la secte des tao-çu, explique aussi de la même manière la production du monde, dans son livre nommé Laozukin, se servant de nombres & de termes métaphoriques en la manière suivante : Le Tao ou premier chaos, a produit l'unité qui est le Taikie, ou la seconde matière. Un a produit deux, Leang & In. Deux ont produit trois, Tien ty, Gin san, zay, le ciel, la terre & l'homme. Trois ont produit toutes choses. D'où l'on peut voir, que sa doctrine est la même que celle des lettrés.

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Du célèbre axiome de la Chine toutes choses sont un, ou une même chose

1. Un des principes de la Chine auquel on doit plus faire d'attention pour la fin qu'on se propose en ces questions, c'est que toutes choses sont une même substance. Et parce que ce sentiment a été celui de quelques anciens philosophes européens, il ne sera pas hors de propos d'expliquer ici quel sens ils donnaient à ces paroles. Aristote parlant en différents endroits des plus fameux philosophes, fait mention de ceux qui disaient que toutes choses étaient contiguës, & si fort une en nature & en raison, qu'encore qu'elles paraissent plusieurs, selon la manière de les apercevoir, elles n'étaient nullement différentes en effet & en substance.

2. Dans la philosophie de Conimbre, Fonseca & quelques autres, fondés sur le texte d'Aristote, disent que les anciens philosophes n'ont connu que la cause matérielle, & encore fort grossièrement ; parce qu'ils ont cru que la matière était toute l'essence des causes naturelles, & n'en composait qu'une même & seule continuée, très conforme aux sens extérieurs, sans avoir entre elles aucune différence essentielle. Par exemple, si quelqu'un disait que l'eau & l'air sont les principes des causes naturelles, il serait obligé d'avouer, que toutes choses en leur principe sont eau ou air, & qu'elles n'ont de diversité que dans les accidents, tels que sont la condensation, la raréfaction, la chaleur, & le froid ; comme nous disons, que les choses qui sont faites de bois ne sont qu'une même chose selon leur substance, c'est-à-dire, ne sont effectivement que du bois, & ne diffèrent entre elles que par les diverses configurations de ce bois. C'est en ce sens que Parménide & Meliton ont soutenu, que toutes choses n'étaient qu'une. Aristote rapporte leur sentiment & le réfute. Voyez Fonseca sur le premier livre de la Physique, d'où l'on a tiré ce qu'on vient de dire.

3. Les philosophes modernes ne pouvant se persuader, que de si grands hommes eussent eu des sentiments si peu raisonnables, & qu'Aristote eût bien pris leur sens, donnent diverses interprétations à leurs paroles. Les uns disent qu'Aristote ne s'étant arrêté qu'au son, & à l'écorce des paroles, n'a pas assez pénétré le sens qu'elles cachent. Quelques autres, qu'il leur a imputé des sentiments qu'ils n'ont jamais eu : mais ces philosophes modernes se trompent, & l'auteur le prouve fort bien.

4. On le peut d'ailleurs prouver, puisque d'autres philosophes plus anciens qu'eux, ont été dans le même sentiment. Tels sont les gymnosophistes des Indes & les bonzes de la Chine, qui ont emprunté d'eux leur doctrine. Laozu & les tao-su ses disciples ont été de ce sentiment ; comme les lettrés chinois, depuis le premier jusqu'au dernier, anciens & modernes. Ces trois sectes sont plus anciennes que les philosophes grecs, ayant tiré leur origine de Zoroastre mage & prince des Chaldéens, qui l'a enseignée & répandue dans le monde, établissant un chaos éternel, &c. D'où l'on peut voir, quel sens les anciens philosophes grecs, & les trois sectes des philosophes de la Chine attachent à ces paroles tout est un, & qu'ils conviennent tous dans l'explication qu'ils en donnent.

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Ce que c'est que la corruption & la génération selon les lettrés chinois

1. Ils ont établi deux sortes de matière, dont le monde a été fait, toutes deux incorruptibles. La première est le chaos infini, nommé Li. La seconde est l'air, première émanation ou production de ce chaos, nommé Taikie, dans lequel l'être & la substance de la matière première est renfermée, & par conséquent toujours unie à toutes les choses produites, & ne s'en sépare jamais. Après que le ciel & la terre eurent été formés, l'air qui est entre le ciel & la terre devint la matière prochaine de toutes les choses corruptibles, comme nous le disons des éléments. Cet air est le principe de la génération & de la corruption ; d'où il s'ensuit qu'il est l'être, l'essence, & la nature de toutes choses, qui se forment de lui par la condensation, prenant une figure corporelle, & sa modification différente, selon les différentes qualités du ciel, du soleil, de la lune, des étoiles, des planètes, des éléments, de la terre, & des causes universelles ; conformément au temps, heure, jour, mois, année, & signe, où les choses ont été produites. De sorte que ces qualités sont comme la forme & le principe des opérations intérieures & extérieures des corps composés.

2. La génération n'est donc autre chose, selon cette secte, que recevoir l'être ou la substance de l'air ou du chaos modifié, par des figures, par des qualités plus ou moins pures, pénétrantes & obtuses, & qui en sont comme la forme. Le soleil, & les causes particulières par leurs concours, en sont l'union & l'arrangement. La corruption n'est autre chose selon eux, que la destruction de la figure extérieure, & la séparation des qualités, des humeurs, & des esprits vitaux, qui se réunissent à l'air ; les parties pures, légères & chaudes montant en haut ; les parties grossières, pesantes & froides descendant en bas. Monter a relation à ces paroles xin & hoen ; descendre à celles de kvei & pe. Il faut remarquer ici, que par le mot de xin les Chinois entendent les esprits purs ; par celui de hoen, les âmes séparées de leurs corps ; par celui de kvei, les esprits impurs ; & par celui de pe, les corps morts.

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Des esprits ou des dieux, que la secte des lettrés adore

1. Quoiqu'on puisse assez comprendre par tout ce qu'on vient de dire, quels sont les esprits que les Chinois regardent comme des dieux ; toutefois comme cette matière est une des plus importantes pour la décision de nos controverses, il est à propos de l'expliquer un peu plus au long, considérant en général quels sont les sentiments des lettrés touchant les esprits.

2. Il faut savoir, que selon le sentiment de cette secte des lettrés, tout ce qui est & peut être dans le monde, vient & sort du Taikie, qui renferme en soi la Li, qui est la matière première, ou la substance universelle de toutes choses, & l'air primitif, qui est la matière prochaine des mêmes choses. De la Li (en tant que Li) il en émane cinq vertus, qui sont la piété, la justice, la religion, la prudence, & la foi avec ses habitudes. De la Li qualifiée, & unie avec l'air primitif, émanent les cinq éléments dont on a déjà parlé, & toutes les autres qualités & figures corporelles ; de sorte que, selon les philosophes chinois, toutes les choses physiques & morales sortent de la même source, la Li, qui est elle-même l'Être de toutes choses. C'est ce qui fait dire à Confucius, que toute sa doctrine se réduit à un point qui est la Li, raison & substance très universelle.

3. Il faut encore savoir, que comme la Li ne produit les choses de ce monde que par le moyen du Ki, qui est l'instrument dont elle se sert, aussi ne les gouverne-t-elle que par ce même moyen : d'où il s'ensuit que les opérations qui ont rapport à la production des choses, & à leur gouvernement, s'attribuent uniquement au Ki, comme à la seule cause instrumentale & formelle de la Li ; de la même manière à peu près qu'on dit que l'entendement entend, & que la volonté aime, quoique ce soit l'âme qui entende & qui aime, par le moyen de ses puissances.

4. Il faut de plus remarquer, que selon ces philosophes, après la révolution du nombre d'années que le monde doit durer, le monde finira, & tout retournera au principe d'où il est sorti ; de telle sorte qu'il n'y aura que la Li qui subsistera, accompagnée du Ki, qui est aussi ancien qu'elle ; la Li commencera à produire un autre monde, lequel étant aussi fini, elle en produira un autre, & ainsi elle produira des mondes à l'infini.

5. D'ailleurs, les Chinois & les autres philosophes gentils, ont eu deux fondements d'établir & de reconnaître des esprits. Le premier, le bon ordre qu'ils ont vu qu'il y avait dans le ciel, dans la terre & dans toutes les choses de ce monde, dont les opérations se font avec une justesse qui ne se dérègle jamais. Cela leur fait conjecturer que toutes ces choses avaient en elles un auteur & un principe invisible qui les gouvernait ; ils l'ont appelé chu, c'est-à-dire, seigneur, chu-tai, seigneur dominant, xin-kuei, esprit qui sort & qui rentre, ti-kiun, roi ou empereur. Le second fondement a été la remarque qu'ils ont faite, des grands avantages que les hommes recevaient de ces esprits ; c'est ce qui les a porté à les honorer, & à leur faire des sacrifices, comme il est marqué dans le Li Ki, livre 8, page 4. C'est le livre des Rites & des Cérémonies.

6. Il est encore à remarquer, que les Chinois dès le temps de Iao & Xun (qui sont les fondateurs de l'empire) ont adoré les esprits, comme il se voit dans le Xu-King, livre 1, page 11, où il est dit qu'il y a quatre genres de sacrifices, qu'ils faisaient à quatre sortes d'esprits ; le premier appelé lui, se faisait au Ciel, & tout ensemble à son esprit appelé Xangti. Le second appelé in, se faisait à l'esprit des six principales causes, c'est-à-dire, des quatre saisons de l'année, du chaud, du froid, du soleil, de la lune, des étoiles, de la pluie & de la sécheresse. Le troisième nommé vuang, se faisait aux esprits des montagnes & des grandes rivières. Le quatrième nommé pien, se faisait aux esprits des choses les moins considérables de l'univers, & aux hommes illustres de la République.

Première conclusion

7. Tous les esprits que les Chinois adorent, sont une même substance avec les choses auxquelles ils sont unis. Cela se prouve, 1° par l'axiome qu'on a rapporté : Toutes choses sont un. 2° Parce que le Ching Cheu, auteur classique, dit expressément, que le Xangti est la même chose que le Ciel ; on peut donc dire à plus forte raison, qu'il en est de même des esprits. 3° Parce que Confucius dit dans le Chung-Jung, page 11, parlant de tous les esprits, que ce sont eux qui donnent l'être & la substance aux choses, & qu'elles se détruisent aussitôt qu'ils s'en séparent.

8. Si quelqu'un dit que ces esprits se prennent fort souvent pour la vertu opérative, & pour l'activité des choses, je réponds ; 1° Que cela est vrai ; mais qu'on ne peut pas nier qu'ils ne se prennent aussi pour la substance douée de cette vertu opérative, & que c'est même là le sens le plus ordinaire qu'on donne ; puisque, comme dit Confucius, ce sont eux qui donnent l'être aux choses. Je réponds, 2° que si l'on prend les esprits pour la pure vertu & activité des choses, l'idée que l'on s'en forme en devient plus basse, & n'est autre que celle qu'on s'est formée des qualités & des accidents, qui ne peuvent subsister par eux-mêmes.

Seconde conclusion

9. Tous les esprits ont eu un principe. Cela se prouve ainsi, parce que tous les esprits sont sortis du Taikie & de la substance universelle des choses, à laquelle ils sont postérieurs & inférieurs. C'est ce qui a fait dire au docteur v-Puen Lu, que le Xangti était le fils & la créature du Taikie, & qu'on devait dire la même chose de notre Tien-Chu, c'est-à-dire de Notre Dieu, si notre Dieu était la même chose que Xangti. Il est donc constant, que ce que les Chinois entendent sous le nom de Xangti, ne peut être notre Dieu.

Troisième conclusion

10. Les esprits finiront, quand le monde finira ; ils retourneront à leur principe, comme toutes les autres choses. Cela se prouve par ce qu'on a dit au troisième article, & se confirme par ce qu'a dit le docteur Cheu-King-Lu, qui était du tribunal des Finances, que le Tien Chu & le Xangti & tous les autres esprits auront leur fin, & qu'il n'y aura que la Li qui demeurera : d'où il conclut, que selon la doctrine chinoise, il n'y a rien de meilleur ni de plus grand que la Li.

Quatrième conclusion

11. Tous les esprits ou dieux de cette secte font, par rapport à leur être & à leur substance, d'une égale perfection. Toute leur différence consiste seulement, en ce qu'ils président en des lieux plus grands ou plus petits. Cela se prouve par l'exemple d'une eau, qui est dans des vases d'or, d'argent & de cuivre ; l'eau est toujours la même, & si elle a quelque différence, cela vient des différents vases. Il en est de même des esprits, qui dans leur substance sont la même Li, ou le même Taikie ; mais appliqués à divers sujets, comme sont le ciel, la terre, les montagnes, &c.

Cinquième conclusion

12. Tous les esprits sont sans vie, sans science, sans intelligence, & sans liberté. On le prouve, 1° Parce qu'ils naissent tous de cette substance universelle Li, qui suivant les principes de cette secte est privée de toutes ces qualités, comme on le voit au nombre 2 de la section 5. 2° Parce que dans le Xu-King, livre 1, page 33, il est dit que le ciel, qui est la chose la plus considérable du monde, ne voit ni n'entend, ne hait ni n'aime ; d'où il s'ensuit qu'il n'y a dans le ciel aucun esprit ; & s'il y en a, il est une même substance avec le ciel, & ainsi il ne voit ni n'entend.

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Ce que c'est que la vie & la mort selon les lettrés chinois

1. On suppose, 1° Que toutes choses sont un, & que la différence qui se rencontre entre les choses, ne consiste que dans la figure extérieure. 2° Que la substance produit par émanation, les qualités qu'on a dites, comme une cause matérielle, & qu'ainsi leur séparation d'un tel principe, est leur entière destruction. 3° Que la substance universelle étant modifiée, & disposée par son air primogène, est répandue, & distribuée dans les causes secondes, le ciel, la terre, les éléments ; de sorte que quand les causes secondes agissent, le principe universel agit en elles, & est le premier moteur, quoiqu'on n'attribue l'action qu'aux causes secondes, de même que nous ne donnons pas le nom de matière première aux productions qui se font par l'union des corps mixtes, quoiqu'elle soit dans les éléments, dont ces corps mixtes sont composés.

2. Il faut aussi supposer les quatre noms qui conviennent à la substance universelle, & qui servent au sujet que nous traitons. 1° Lorsqu'on la considère en elle-même, ou selon l'état qu'elle a dans le Ciel, elle s'appelle Li. 2° Lorsqu'elle est donnée du Ciel, comme une cause très générale, cela s'appelle Ming. 3° Quand elle s'unit à divers sujets, on l'appelle Sing. 4° Enfin lorsqu'elle agit, elle s'appelle Chuzay. Ainsi le cœur, par exemple, est le chuzay de l'homme, parce qu'il règle toutes ses actions physiques & morales.

3. Je dis, 1° Que les Chinois sont consister la vie de l'homme dans l'étroite union des parties qui sont en lui ; ce qu'ils appellent l'entité du ciel & de la terre. L'entité du ciel est un air très pur, très léger & de la nature du feu, dont l'âme se forme, ou les esprits vitaux & animaux, qu'ils appellent hoen, c'est-à-dire âme. L'entité de la terre est un air grossier, pesant, & d'une nature terrestre, dont est formé le corps avec toutes les humeurs ; c'est ce qu'ils appellent pe, c'est-à-dire corps humain ou cadavre.

4. Je dis, 2° Que la mort de l'homme n'est que la séparation des parties dont il est composé, & qui après cette séparation retournent aux lieux qui leur sont propres. Ainsi le hoen ou l'âme monte au ciel ; le pe ou le corps retourne en terre : c'est ce qui est dit dans le Xu-King livre premier, page 16, où la mort du roi Iao est décrite en ces termes : il est monté & descendu. Ce que le commentaire explique de cette manière : Il est monté & descendu, c'est-à-dire, il est mort ; parce que quand l'homme meurt, l'entité de feu ou d'air monte au ciel, & le corps retourne en terre. Il faut remarquer, que les Chinois donnent le nom d'air à l'âme en plusieurs autres livres ; de sorte qu'ils la conçoivent comme une chose corporelle, quoique fort subtile.

5. Je dis en troisième lieu touchant l'immortalité, qu'elle consiste, selon eux, en ce qu'après que l'âme est séparée du corps, ces deux parties perdent cet être de parties d'un composé. Il ne reste que le entités du ciel & de la terre, qui demeurent dans l'état où elles étaient avant leur union. Ainsi l'immortalité n'est pas propre à l'âme de l'homme qui est mort, mais au ciel à la terre, qui se perpétuent dans leur être substantiel. Cela se doit aussi entendre de la Li, & encore avec bien plus de fondement : car la Li est une substance universelle qui est toujours dans les causes générales, & qui ne souffre jamais aucun changement, ni dans son être, ni dans ses lieux. Tout cela est en termes exprès au vingt-huitième livre, page 41 de la Philosophie, qu'il serait trop long de rapporter. Je me contente ici seulement d'une sentence de Chin-Zu, qui dit : « Quand la composition de l'homme se fait, & qu'il vient au monde, c'est-à-dire quand le ciel & la terre s'unissent, la nature universelle ne vient pas. Quand l'homme meurt, c'est-à-dire quand le ciel & la terre se séparent, la nature universelle ne s'en va pas ; mais l'air pur qui est l'entité du ciel, retourne au ciel ; & le composé corporel, qui est l'entité de la terre, retourne en terre ; & en ce sens l'on peut dire que la nature universelle s'en va. »

6. De ce qu'on vient de rapporter, on peut juger, en quel sens il est dit dans le Xi-King, Livre 6, page 1, que le Vuen Vuang est à côté du Roi d'en haut, tantôt montant & tantôt descendant ; parce que, 1° le Vuen-Vuang n'est pas son âme, mais seulement cette portion de l'air céleste, dont son âme était formée lorsqu'il vivait. 2° Il est dit de cet air qu'il monte & qu'il descend, & qu'il est à côté du Roi d'en haut, pour faire entendre qu'il est de la même nature que tout l'air céleste, qui n'a nulle consistance & va de toutes parts. C'est aussi pour cela que l'âme séparée de son corps est appelée ieu-hoen, c'est-à-dire, âme errante. 3° L'air du ciel est nommé en cet endroit-là, le Roi d'en haut, pour faire voir la ressemblance qu'il a avec l'air de l'âme, & que comme l'air dont l'âme est formée meut & gouverne le corps humain, ainsi l'air du ciel meut & gouverne les corps célestes.

7. Je dis en quatrième lieu, que les Chinois n'attribuent de vraie immortalité qu'à la Li, ou substance universelle, qui a précédé toutes choses, & qui restera après qu'elles seront détruites, de la même sorte que nous le disons de la matière première.

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